-Mais toi, qui es-tu ?

La fée hésita, les lèvres pincées, avant de répondre.

-Je suis Loënia Oppralin.

La fée avait volontairement diminué le volume de sa voix pour prononcer son nom de famille, mais elle se doutait bien que tous les vampires l’avaient entendue grâce à leur superbe ouïe.

Le meneur s’approcha encore plus près d’elle, si près qu’elle se retint de reculer quand il posa ses doigts sur sa joue pour l'effleurer. Elle releva le menton, pour essayer de se grandir un peu, ce qui était une pure perte d’énergie.

-Une princesse, donc. Une martyre encore plus magnifique.

Le cœur de la fée s’emballa. Malgré la proximité évidente avec le vampire, elle tenta un nouveau sort mais rien ne vint, c’était comme si elle avait voulu vider un verre vide. Loënia entendit sa voix intérieure gémir. Le meneur éclata de rire.

-C’est très mignon, vraiment.

-Qu’est-ce que vous avez mis dans l’air pour que nous n’ayons plus de pouvoirs ? Le questionna-t-elle d’une voix trop plaintive.

-Nous n’avons rien “mis dans l’air”, dit-il en faisant des guillemets avec ses mains et sans répondre à sa question.

Noé lui décocha un regard impénétrable. S’ils se tenaient à moins d’un mètre l’un de l’autre, ils n’avaient pourtant aucune chance de s’en sortir. Ils ne pouvaient pas s’unir pour faire de la magie. Courir serait une véritable perte de temps, face à la rapidité des êtres devant eux et supplier des vampires s'avérait foncièrement inutile.

-Laissez Noé partir, il n’est pas de la famille royale.

Le meneur haussa les sourcils.

-Tu ne comprends pas nos motivations, jeune princesse. En effet, il n’a pas de sang royal mais il est un sorcier apprécié à Cryset. Son meurtre serait un choc pour sa communauté. Je crois savoir que la paix est importante dans votre cité. Des meurtres troublent votre région, exposa-t-il tout en tournant autour d'eux. J'en suis le commanditaire. Le double assassinat d’un sorcier aimé et d’une fée royale fera beaucoup de bruits. J’admets que je ne m’attendais pas à te trouver là mais j’en suis profondément ravi. Jusque là, seuls des humains et quelques sorciers sans importance avaient été assassinés. Là, ton cher roi n’aura d’autres choix que de prendre en compte nos vindictes.

Loënia ne savait pas que des sorciers avaient été tués. Personne n’en avait parlé, probablement car elle en connaissait peu. Les informations qui lui étaient parvenue étaient alors fausses, si tant est que ce vampire disait la vérité, car elle pensait alors que des fées avaient été assassinées. Elle était scandalisée par ce fait et sentait ses doigts lui faire mal, à force d’être crispés sur son sac.

-Vous voulez avoir votre place dans la ville ? le questionna Noé.

-Pas ma place, non. Je veux régner.

Le silence prit place. Un silence pendant lequel, le chef des vampires et Loënia ne se quittèrent pas du regard.

-Nous allons avoir une petite discussion, tous les deux.

Il saisit la fée par le bras et entreprit de la guider dans la demeure. Elle protestait et criait inutilement, ne voulait pas laisser son meilleur ami tout seul avec deux vampires sans âme.

-Apaise-toi un peu, il ne va rien lui arriver.

-Vous voulez nous tuer ! Insista la fée qui cessait progressivement de lutter, comprenant qu’elle ne pouvait rien faire à ce moment-là.

Ses forces lui faisaient défaut. Elle suivit le vampire dans un dédale de pièces et de couloirs sombres puis de nouveau éclairés, le tout lui donnait le tourni.

Ils entrèrent enfin dans une chambre au grand lit à baldaquin du même bois brun que la salle à manger.

-Assieds-toi.

Il lâcha le bras de Loënia tout près du lit. Elle obéit docilement et, une fois assise, lissa les plis de sa robe coloré sans quitter le meneur des yeux.

-Je m’appelle Adrien De Val. J’ai 143 ans. Je suis né à Cryset. Je suis le meneur des vampires du Finistère. J’aime lire.

Il semblait avoir ajouté cette dernière information comme s'il ne savait pas quoi dire. Loënia le regardait sans comprendre pourquoi il lui révélait toutes ces choses sur lui alors qu'il venait de les menacer, elle et son meilleur ami, il n’y avait même pas deux minutes.

-J’aime beaucoup lire aussi mais, hum, je ne vois pas pourquoi vous me dites tout ça.

Ils se jaugèrent du regard. Loënia se rendit compte que les yeux sombres du vampire ne l'impressionnaient pas autant qu'elle l'avait imaginé.

-Tu es pâle, fit-il.

-Vous aussi.

-Je l’ai toujours été.

Loënia était à bout de nerfs. Cet échange laconique ne l’aidait pas du tout à comprendre l’étrangeté du comportement de vampire. Elle n’arrivait pas à le cerner. Elle n’était pas la personne la plus patiente au monde et elle était maintenant agacée du comportement du vampire.

-Qu’attendez-vous de moi ?

-Qui est ta mère ?

-Vous passez du coq à l’âne sans cesse, dit la fée en faisant des gestes du bras, c’est énervant ! Vous voulez nous tuer, oui ou non ?

Le vampire ne dit rien pendant plusieurs secondes, se contentant de la fixer du regard. Loënia songea qu'énerver un vampire alors qu’elle se retrouvait sans pouvoir magique n’était peut-être pas la chose la plus intelligente qu’elle ait un jour faite. Elle posa son sac sur le sol et entreprit de se calmer.

-Si vous nous tuez, les gens seront émus pendant une semaine, à tout casser, puis ils oublieront, comme à chaque attentat. Noé… Rashnoé est certes aimé par certains sorciers mais pas plus loin que Brest et moi, je ne suis pas une princesse. De un, parce que la descendance est déjà bien assurée avant que mon tour n’arrive et ensuite parce que j’ai été adoptée. Je n’ai aucune importance politique.

-Tu te trompes complètement. Tu t’es toujours appelée Loënia ?

La fée retint un soupire, exaspérée par les questions sans queue ni tête du vampire.

-De ce que je sais, oui. Ma mère a toujours refusé de me parler de mes parents biologiques alors je n’en sais vraiment rien.

Le vampire avait progressivement pris un ton plus doux avec la jeune fée en face de lui. Loënia ne savait pas s’il faisait ça parce qu’il n’avait plus besoin de se montrer dur ou s’il jouait simplement de sa voix. En tout cas, elle était bel et bien effrayée. Elle souhaitait retrouver Noé et courir loin de ce manoir, au plus vite, et ne plus jamais y songer. Et si son ami se faisait torturer en ce moment même ?

Adrien posa sa main sur sa hanche. Il semblait réfléchir

-En quelle année as-tu été adoptée ?

Loënia le dévisagea, elle n’avait pas l’intention de lui répondre.

-Donne-moi une réponse, lui intima le meneur.

Elle ne cessait de songer qu’elle se trouvait en face du commanditaire des meurtres qui se déroulaient à Cryset.

-J’ai été adopté quand j’avais trois ans, en 2003.

Le vampire se mit à marcher dans la pièce en passant sa main dans ses courts cheveux bruns puis sur sa bouche. Il fit plusieurs largeurs de la pièce. Loënia n’osait pas lui demander ce qu’il se passait. Elle suivait Adrien du regard depuis le lit où elle était assise, jusqu’à ce qu’il ne s’arrête devant un tableau représentant une femme à la robe bleue.

-Tu vas partir d’ici avec ton ami et ne jamais parler de votre venue ici.

Elle était si stupéfaite qu’elle ne réagit pas tout de suite. Elle se leva lentement, comme si elle n’était pas sûre d’avoir bien entendu ce qu’Adrien venait de dire.

Il alla ouvrir la porte de la chambre et d’un geste du menton, lui indiqua de la suivre. Elle courait presque derrière lui tant il marchait vite. A bout de souffle, elle arriva dans le salon où Noé était toujours entouré des deux gardes-vampires.

-Je les laisse partir, elle n’est pas ce qu’elle prétend être.

Loënia souriait timidement à son meilleur ami, encore sous le choc de la nouvelle de leur sortie proche.

-Partez, lui dit Adrien avec un regard d’une grande intensité. Ne revenez pas.

Elle hocha la tête et prit la main de Noé. Ils fuirent en courant du manoir, marchèrent sur l’herbe mouillée, traversèrent la cour et ne s’arrêtèrent que lorsqu’ils furent en plein dans le bourg de Cryset.

-Que lui as-tu dit ? lui demanda Noé qui reprenait son souffle.

Ils s’étaient arrêtés devant un centre commercial. Loënia dût lui demander d’attendre qu’elle reprenne sa respiration. Tout ce qu’elle entendait, c’était le bruit des battements de son cœur dans ses oreilles et “Partez, ne revenez pas. Partez, ne revenez pas. Partez, ne revenez pas. Partez, ne revenez pas.”.

-J’en sais rien, il a dû avoir un déclic et se dire qu’assassiner des gens, c’est mal. Tu as senti… ce qu’il y avait dans l’atmosphère ?

Noé secoua la tête de gauche à droite.

-Je t’ai vu incapable de repousser le vampire avec ton sortilège, pourtant tu avais réussi à le faire dans ma boutique.

Loënia prit le temps de respirer et de regarder autour d’eux. Les mains posées sur les côtes, elle reprit :

-Je suis persuadée qu’il y a un sortilège ou un enchantement dans le manoir. Je l’ai ressenti en entrant. Et il agit sur les fées et les sorciers, comme Adrien l'a dit.. .. A moins que tu aies été protégé par tes bagues et par la brosse que je t’ai offerte.

Noé regarda les bijoux sur ses mains. Celle sur son index droit avait pour but de le protéger des maléfices.

-Je me suis brossé les cheveux avec la brosse que tu m’as offerte et je portais mes bagues. Je n’ai rien ressenti du tout mais je n’ai pas cherché à me défendre face à eux. En revanche, fit Noé d’un ton de reproche, si ton sort avait réussi, nous aurions eu des problèmes. C’est un repère de vampires et je ne suis pas convaincu que nous aurions pu nous en sortir à deux contre un clan entier.

Loënia voulait lui répondre que le clan entier ne devait pas être présent mais elle s’en abstint. Elle réalisait bien que son comportement aurait pu leur être préjudiciable.

-Je suis désolée, je n’y avais pas pensé.

Noé ne lui en voulut pas longtemps. Il lui prit la main et ils s’assirent sur le banc, l’un contre l’autre. Leur cœur battait encore la chamade après cette course à travers la ville.

La fée, après avoir regardé les bâtiments hauts devant eux, tourna la tête vers son ami aux yeux verts.

Ils eurent la même idée. Ils rapprochèrent lentement leur tête de l’autre, peut-être par hésitation, et déposèrent leurs lèvres sur celles d’en face dans un doux baiser.

Loënia se réveilla parmi les draps chauds de son lit. A ce moment-là, encore peu lucide, les joues rougies par la chaleur et le réconfort que lui offrait son lit, elle ne pouvait s’empêcher de penser au baiser que Noé et elle avaient partagé.

Elle regarda l’heure sur son radio-réveil sur sa table de chevet puis son pendule qui dansait gentiement dans l’air. Ce matin, tout semblait calme. La maison n’avait pas dû faire des siennes. Dans un moment de courage, Loënia éloigna les draps chauds de son corps mais ne se leva pas.

Les souvenirs de sa rencontre avec le meneur des vampires du Finistère, qui se nommait également Adrien, lui revint en tête. Il était prêt à les tuer puis, d’un coup, seul avec elle, il avait changé d’avis.

La jeune fée s’assit sur son lit. Elle commença à faire une couette avec ses cheveux, regarda sa table de chevet puis se rappela qu’elle n’avait plus d’élastiques parce que Liséa les avait tous pris. Elle rejeta ses cheveux derrière ses épaules et soupira.

Elle se leva, mit ses chaussons et s’étira brièvement. Elle sentait son ventre vide et descendit sans plus de cérémonies. Elle put descendre l’escalier en faisant autant de bruits qu’elle voulait car les portes des chambres de ses sœurs étaient ouvertes, ce qui prouvait qu’elles étaient également levées.

-Hello, la compagnie, fit Loënia en entrant dans la cuisine. Vous avez bien dormi ?

Liséa, la bouche pleine de céréales, hocha la tête pour répondre.

-Très bien, sourit Raison. Je me suis fait du porridge mais je n’aime pas du tout. Tu n’en voudrais pas ?

-Je veux bien goûter, fit Loënia.

Elle prit le bol plein d’avoine et de lait et le remit au micro-onde pour le réchauffer. Elle attendit une minute, prit une cuiller et goûta. C’était un peu trop sucré pour elle mais elle le finit quand même.

En regardant sa petite sœur manger, Loënia se rappela le jour de l’arrivée de Liséa. Raison avait alors 13 ans et Loënia 11 et elles étaient surexcitées à l’idée d’avoir une petite sœur. Liséa était née au Japon, dans une contrée non répertoriée par l’orphelinat. Elle s’était retrouvée là-bas car ses parents étaient décédés quand elle était encore très jeune. A quatre ans, Ambatine Oppralin l’avait adoptée et ramenée en France. Liséa avait eu du mal avec la langue, et avait toujours des difficultés pour la conjugaison et la grammaire, mais sa mère ne la lâchait pas.

-Vous avez des choses de prévues aujourd’hui ? Demanda Raison.

-Je dois travailler, fit Liséa, puis je regarderai sûrement une série.

-Rien du tout, fit Loënia en prenant les bols et les couverts pour les mettre dans le lave-vaisselle. Mais rassurez-vous, je vais quand même me laver.

-Oui, fit Liséa, tu commences à sentir le fennec.

Loënia bondit sur sa petite-soeur et la chatouilla tant et si bien qu’elle tomba de sa chaise, en pleurant de rire.

Hello !

J'ose espérer que vous allez bien.

J'aime beaucoup ce chapitre. Déjà parce qu'on voit Adrien de Val et ensuite car on voit Loënia et Rashnoé réagir face à une situation de crise.

Bonne journée !