Chapitre 11 : La bibliothèque

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-Vous me connaissez bien, ronchonna Loënia devant la secrétaire qui se chargeait de l’accueil au palais des Terralin.

Rashnoé et Loënia faisaient face à une petite dame -du moins c’était l’impression qu’elle donnait- qui trônait sur un siège à roulette comme une dirigeante. Hissées sur son nez, ses toutes petites lunettes ressemblaient à des hublots d'avion. Rashnoé, qui s’était habillé en costume noir pour l’occasion, se demandait comment la secrétaire pouvait y voir quelque chose à travers.

-Je suis…

-Je sais très bien qui vous êtes, répliqua Madame Leguen, comme l’indiquait une pancarte sur son bureau. Je ne veux pas vous empêcher d’entrer, mademoiselle, seulement…

Son regard longea la fée pour se déposer, Loënia comprit sans qu’elle n’eut besoin de se retourner, sur Rashnoé.

-Il est…

-Un sorcier. Vous pouvez le dire à haute voix. Il est mon ami, mon meilleur ami, même, appuya la jeune fée autant avec sa voix qu’avec son doigt. Et je suis venue voir mon cousin, Braken Terralin, le prince. Il sait que je dois passer ici. On a convenu d'un rendez-vous il y a près d'une semaine !

Il s'ensuivit une bataille de regards entre Madame Leguen, toujours assise très droite sur son fauteuil à roulette et Loënia, les mains à présent posées sur son bureau, le dos courbé afin de paraître autoritaire. En vérité, elle ressemblait plutôt à un jeune chat prêt à feler.

La secrétaire avait déjà cotoyé Loënia de nombreuses fois au cours des deux dernières décennies. Elle l'avait vu grandir, faire des crises de colère ou jouer à la bataille avec ses cousins. Vice versa, Loënia avait toujours pensé que Madame Leguen était une femme stricte mais sympathique. Cette entrevue venait de la faire descendre dans son estime au niveau -2.

La secrétaire avait opté pour une toute autre technique : elle évitait du regard les deux jeunes gens qu’elle avait jugés subversifs et manipulait de ses petites mains boudinées des cartes de remerciements.

-La paix est signée, rappela inutilement la fée. Bon, peu importe, de toute façon, personne ne m’empêchera d’aller voir mon cousin, que vous soyez contente ou non.

C'est pile à ce moment-là que Braken Terralin accompagné de deux autres hommes entrèrent dans la salle d’accueil des invités et du courrier. Loënia s’interrogea, est-ce que son cousin devait toujours marcher en compagnie de gardes auprès de lui ? Elle ne se rappelait pas leur présence auparavant.

-Tu veux vraiment que ma secrétaire ait une attaque ? Ricana le prince en entrant d’un pas nonchalant.

Cette fois-ci, il ne portait pas de cape. Cela avait pour effet de faire ressortir son corps musculeux et athlétique, presque trop parfait, comme le pensa Noé. Il tenait son épée à la main, comme les deux autres hommes, et son souffle était court, comme s’il avait couru. Loënia en déduisit qu’il sortait d’un entraînement au combat.

-Elle ne voulait pas nous laisser passer parce que Rash est un sorcier, s’indigna Loënia. Peu importe, souffla-t-elle, est-ce qu’on pourrait discuter dans un endroit tranquille ?

-Avec ou sans le lémurien ? Demanda Braken qui jeta un regard mauvais au sorcier à côté de Loënia.

-Ne l’appelle pas comme ça !

-Avec moi, bien sûr. Je ne vais pas laisser ma meilleure amie seule avec des personnes aussi peu éduquées.

Braken avança si vite vers le sorcier que Loënia marcha sur son propre pied pour se placer entre eux deux. La fée se rendit compte que sa manœuvre était inutile. Elle était si petite que son cousin et Rashnoé pouvaient discuter comme si elle n’était pas là.

-Si tu as un problème, reprit Braken d’un ton qui invitait à la bagarre, dis-le clairement.

-En effet, j’en ai un. Seulement j’ai l’intelligence pour mettre de côté mes désaccords car je veux aider Loënia. Tu te rappelles de ta cousine ou tu préfères consacrer l’intégralité de tes neurones à la gue-guerre ?

Cette fois-ci, ce fut Braken qui marcha sur le pied de Loënia. Elle posa sa main sur l’épaule de son cousin, l’autre déjà en l’air pour l’éloigner avec un enchantement, s’il le fallait. Elle se demandait ce que faisaient les deux gardes de Braken. Ils auraient dû réagir, au moins pour éloigner Rashnoé, non ?

-Ca suffit, intervint Loënia, tous les deux. Braken, nous sommes venus car nous sommes au point mort. Je cherche désespérément un moyen pour me rappeler d’octobre et de novembre dernier. J’ai proposé à Rash de nous accompagner car il est également très talentueux, comme toi. Tu pourrais nous aider ?

Braken fixait toujours le sorcier en face de lui. La tentative de Loënia qui consistait à brosser son cousin dans le sens de poil n’eut aucun effet.

-Je crois que chercher à se rappeler de lui est une pure perte de temps mais oui, je veux bien essayer de t’aider.

Son ton était dur mais Loënia s’encouragea mentalement en se disant qu’ils étaient sur la bonne voie. Braken les guida dans une grande bibliothèque que Loënia avait déjà visitée une fois. Elle fut ravie de reconnaître les lieux et de réaliser qu’ils étaient encore plus grands que dans son souvenir. Bien sûr, les gardes du prince étaient à la porte et observaient le moindre geste du sorcier.

-Bon, articula le prince, pour commencer il serait bien de savoir si tu es réellement tombée.

-Tu penses qu’elle pourrait avoir perdu des souvenirs à cause d’un enchantement ? Enchaîna Noé qui scrutait les lieux du regard. J’y avais aussi songé mais Loënia n’accepte pas l’idée que quelqu’un ait pu l’empoisonner.

-Personne n’a pu me lancer un sort, protesta aussitôt Loënia.

-C’est une possibilité, insista le prince qui promenait ses mains sur les étagères. Je connais un enchantement assez puissant qui pourrait nous faire gagner du temps.

Rashnoé et Loënia le regardaient avec avidité. Braken détourna son regard des livres pour le poser sur les deux amis.

-Il a pour but de révéler certains souvenirs enfouis. Il suffit de penser à ce qu’on cherche.

-Et si on ne sait pas ce qu’on cherche ?

Loënia se tenait bien droite, aussi tendue qu’un arc, les mains dans les poches, comme à chaque fois qu'elle était inquiète.

-Nous trouverons. Cet enchantement est infaillible.

-Ok, fit Loënia, alors on essaye. Il y a une formule à réciter ?

-Nop, fit Braken en avançant vers sa cousine, seulement, c’est un peu douloureux.

Elle n’eut même pas le temps de protester. Son cousin posa une main sur son cou comme il l’avait fait le jour où il était venu à Lent-sorceler.

Cette fois-ci, Loënia sentit la force de l’enchantement pénétrer en elle et lui tordre l’esprit. C’était comme si des chiffons se mélangeaient et se froissaient dans sa tête sans s’arrêter. La fée ne savait pas dire si le sort avait duré plusieurs minutes ou quelques secondes, mais quand elle rouvrit les yeux, Rashnoé avait posé sa main derrière son dos et l’invitait à s’asseoir sur la chaise la plus proche.

-Comment tu te sens ? Lui demanda-t-il.

-Ca va, répondit-elle sans le penser.

Loënia regarda son cousin. Ou du moins, elle leva les yeux vers le plafond, pas très sûre de bien regarder dans la direction du prince.

-Ça a fonctionné ?

Braken avait à présent ses épais sourcils bruns tellement froncés qu’ils donnaient l’impression de n’être qu’un.

-Non.

Loënia entendit des bruits de pas rapides. Braken marchait dans la bibliothèque tout en se frottant le crâne d’une main.

-Si je n’ai pas réussi à retrouver le moment de ta chute alors ça veut dire qu’il y a obligatoirement un sortilège ou un enchantement derrière cela. Tu n’as pas perdu tes souvenirs en tombant.

Le front de Loënia se plissa.

-C’est impossible…

-Il faut que tu acceptes que quelqu’un lutte contre toi, fit Rashnoé en s’agenouillant au niveau de son amie.

Les certitudes de Loënia s’effondraient. Si elle n’était pas tombée, qu'est-ce qui lui avait fait perdre ses souvenirs ? Et qui ? Elle se rappela alors les paroles de Lélio, le sorcier qu’elle avait rencontré dans la boutique de Noé : “Fais attention à toi, petite fée. Je sens que les soucis sont sur le point de débuter pour toi.”

Loënia secoua la tête, autant pour essayer de chasser son mal de tête que les pensées qui lui venaient de toute part.

-C’est impossible, répéta-t-elle sous le choc. Personne ne pourrait…

Rashnoé et Braken, qui semblaient avoir enterré la hache de guerre pour un instant, surveillaient Loënia. Le sorcier tenait la main de son amie et la caressait du pouce.

-S’il-te-plaît, reprit le sorcier tout en regardant Braken, ne parle pas de ma venue ici à quiconque et encore moins à ta tante. Ambatine déteste les sorciers.

-Elle hait le monde entier en dehors de ses propres filles ! Je ne dirai rien, déclara-t-il après un moment. Il vaudrait mieux qu’elle rentre chez elle. L’enchantement était assez puissant. Tu peux la ramener ?

Rashnoé hocha la tête, sans avoir envie de laisser Loënia seule, puisqu’il était encore tôt dans l’après-midi.

-Aller, fit-il à sa meilleure amie qui observait les dalles de pierre, nous devrions y aller avant que la secrétaire ne vienne vérifier que je n’ai pas récité des incantations pour tous vous maudire.

Loënia ne sourit même pas devant la plaisanterie. Elle se contenta de répondre un petit “oui” éthéré.

Après que Noé ait expliqué tout ce qu’ils avaient appris cet après-midi à sa mère, ce fut à Loënia de subir un interrogatoire épuisant. La fée était encore marquée et épuisée par l’enchantement qu’elle avait subi. Son meilleur ami s’était résolu à l’amener chez ses parents, officiellement car sa mère était médecin et qu’en cas de malaise, elle pourrait aider Loënia, mais officieusement parce qu’il voulait passer plus de temps avec elle.

Loënia n’avait presque pas touché à son verre de jus d’orange et elle s’était forcée à avaler quelques céréales mouillées de lait.

-Au fait, fit Mélusine en retournant s’asseoir à table après avoir marché de long en large dans la cuisine, avez-vous du nouveau avec les recherches sur tes parents ?

La fée releva le regard, consciente qu’on s’adressait directement à elle.

-On n’a pas fait de recherche ou alors je ne m’en rappelle pas…

-En fait, si, reprit aussitôt Rashnoé, nous avions entrepris de chercher des informations sur tes parents avant que tu ne perdes tes souvenirs.

-C’était en octobre et en novembre, c’est ça ? Supposa Loënia qui n’avait aucun souvenir de ces deux mois.

Le jeune sorcier hocha la tête.

-Nous n’avions quasiment rien trouvé puisque même ton orphelinat n’avait aucune information sur tes parents. C’est légal, apparement, en France, de ne laisser aucune information à l’enfant qu’on abandonne.

Loënia, qui serrait ses jambes contre elle, reposa sa tête sur ses genoux.

-Nous avons donc fait des recherches auprès des archives de la ville et de la police. Par ailleurs, tu avais refusé d’en parler à ta mère car elle n’aime pas que vous parliez de vos parents biologiques. Nous avions trouvé des mandats de recherches et un nom était revenu plusieurs fois, un certain Adrien de Val.

Loënia releva la tête, ouvrit la bouche, puis la referma.

-Qui a-t-il ? Demanda Mélusine qui se servait du jus de fruits.

-Non, rien, je dois me tromper. Je suis fatiguée… C’est juste, que… Le vampire qu’on a rencontré, le meneur des vampires du Finistère. Je me suis retrouvée seule avec lui dans une chambre pendant quoi, cinq minutes, peut-être. Il m’a dit son prénom et son nom et, il me semble que c’était Adrien de Val. Enfin, non, j’en suis persuadée mais ce doit être un homonyme.

Loënia leva sa main en l’air pour leur indiquer de laisser tomber. Rashnoé regarda sa mère dans les yeux avant d’observer sa meilleure amie.

-Il nous a laissé partir, Loëne. Alors qu’il avait l’intention de nous donner en chair à pâté aux vampires de son clan. Tu m’as dit toi-même qu’il avait un comportement suspect et que tu n’avais pas compris sa réaction. Il t’a demandé ton prénom, pas vrai ? Et quand tu avais été adoptée aussi. Il pourrait être cet Adrien de Val. En plus, vu son nom de famille, il ne doit pas avoir beaucoup d’homonymes.

Loënia n’osait plus rien dire. Son cerveau refusait tout bonnement d’ingérer de nouvelles informations.

Ce fut Mélusine qui posa la question.

-Quelles informations aviez-vous trouvées sur ce vampire ?

-De ce que je me rappelle, il avait perdu son fils, sa belle-fille et sa petite-fille. Les deux premiers avaient été retrouvés morts et la dernière aurait été enlevée. Je suppose, puisqu’il est un vampire, que ce n’était peut-être pas son fils mais son petit-fils.

-Il a 143 ans, fit Loënia qui écoutait ce qui se disait autour d’elle.

Mélusine et Rashnoé étudiaient la fée du regard. Ils semblaient être très, très inquiets.

Heyyy !

J'ai l'impression de dire cela à chaque fois, mais j'aime beaucoup ce chapitre. On peut voir une véritable hypothèse se dégager !

Bonne journée à vous !

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