Chapitre 16 : Chantage
Ambatine comprit aussitôt la menace. Ses grandes lunettes grises faisaient ressortir ses yeux bleus et, en plus de son tailleur gris, elle avait bel et bien l’air d’être une chouette.
Une fois dans le bureau de la matrone, Loënia croisa les bras sur sa poitrine. Elle entendit un des voisins tondre et elle sut d’instinct que c’était Sajus, l’ami de sa mère. Un tel homme n’avait qu’une passion dans la vie : emmerder les autres et tondre à huit heures un samedi matin était un des plus grands plaisirs qu’il s’accordait.
-Tu es allée chez des vampires, c’est ça ? Assena Ambatine. Tes blessures sont guéries. En t’alliant avec eux, tu sais que tu jettes l’opprobre sur ta famille.
Loënia fut presque triste de ne pas obtenir d’excuses venant de sa mère. Cette dernière avait délibérément blessé sa fille, tout de même ! Elle chassa l’idée de son esprit, à quoi rêvait-elle ? Ambatine Oppralin n’admettrait jamais qu’elle a eu tort.
-J’ai bel et bien dormi chez Braken, mais tu peux l’appeler, si tu doutes de ses capacités à m’accueillir.
Loënia avait bien sûr envoyé un SMS à son cousin pour qu’il la couvre si Ambatine l’appelait véritablement. Le prince avait raconté à la secrétaire, Madame Leguen, qu’elle aurait à mentir pour le couvrir également.
-Je lui ai bien sûr tout raconté, fit Loënia en avançant vers sa mère. J’ai dû le retenir d’aller tout répéter à son père, ton frère. Alors, si tu m’empêches de nouveau de sortir ou si tu me blesses, moi ou mes sœurs, je donne le signal à Braken et Horod te fera tout perdre. Tu sais bien à quel point il aime la paix.
Ambatine semblait à bout. Loënia se demandait comment elle était passée d’une couleur de peau bistre à poivron. Après réflexion, la jeune fée s’inquiéta pour sa mère qui semblait sur le point d’exploser en mille morceaux.
Loënia n’appréciait pas faire du chantage à sa mère mais elle voulait protéger ses sœurs, et surtout Liséa qui était très jeune et qui avait encore quelques années à vivre ici.
-Très bien, fit Ambatine dans un souffle rauque. Très bien.
-Parfait. Je mets d’autres vêtements, je déjeune et je pars en ville voir Braken. Bye !
Loënia s’en retourna en tremblant des mains. Elle traversa le couloir où elle avait été blessée, sourit à ses sœurs et monta deux à deux les marches de l’escalier.
Il régnait une odeur florale dans le magasin des Corasone. En plus des plantes en sachets et de celles qui flottaient miraculeusement du plafond pour sécher, Noé avait réalisé son nouveau rêve et avait trouvé un espace pour vendre des plantes médicinales qui avaient aussi des vertus magiques. Il avait usé d’un sortilège pour agrandir de quelques mètres la boutique de son père - qui n’était pas encore au courant de la supercherie.
-Oh, vous me donnez des envies de meurtres, protesta Loënia entre un Noé rouge de colère et un Braken qui avait brandi son épée.
Finalement, l’idée de se retrouver à Lent sorceler n’était pas si bonne que ça. Loënia avait invité son cousin à les rejoindre, puisque Noé travaillait à la boutique et qu’il ne pouvait pas fermer car c’était un samedi, journée d’affluence. Elle leur avait tout raconté, de ses blessures, de sa rencontre en pleine rue avec Adrien au comportement d’Ambatine ce matin.
-Vous pourriez faire un effort, vous ne vous voyez que pour une heure ou deux !
Noé tremblait littéralement de rage. Il avait été insulté de lémurien tant de fois dans l’après-midi que Loënia ne comprenait pas pourquoi il réagissait ainsi une nouvelle fois. Quand au prince Terralin, il semblait à bout de nerfs à cause des nouvelles que Loënia lui avait fait part au sujet de sa tante.
-A propos des idées de meurtres, reprit Braken, quand est la date de votre test ADN ?
Si les deux hommes ne se quittaient pas des yeux, Loënia était ravie qu’ils discutent enfin d’un sujet qui n’était pas leur différences d’appartenances.
-Demain à Brest. Adrien viendra me chercher dans le bourg de Cryset. J’ai beaucoup trop peur qu’il entre chez moi. Ma mère disjoncterait. Je ne sais même pas comment on va retrouver un climat apaisé à la maison maintenant…
Loënia se sentait coupable d’avoir fugué. Certes, c’était un acte irréfléchi qui avait grandement inquiété ses sœurs, seulement, au moment où elle avait décidé d’ouvrir la fenêtre pour partir de chez elle, elle savait qu’elle ne pouvait pas rester là, dans cette maison, avec cette mère démente.
Si Raison et Liséa se comportaient comme d’habitude, Ambatine ne semblait pas près de lui pardonner cet affront à son autorité. Loënia redoublait de vigilance et essayait de ne jamais se retrouver seule avec sa mère.
-Noé ?
Le sorcier n’eut d’autre choix que de détourner son regard du prince et d’observer sa meilleure amie.
-Qu’y a-t-il ?
-Est-ce que tu aurais encore de ton chocolat chaud ?
Le sorcier aux yeux d’un vert enflammé acquiesça. Il se doutait que Loënia lui en demandait uniquement pour calmer les tensions entre les deux jeunes hommes et, sur le moment, il trouva cela astucieux.
Noé passa derrière le comptoir ou un stock de bougies dysfonctionnelles se répandait gaiement. En plus de s’allumer intempestivement, elles avaient également la faculté de se déplacer par elles-même, ce qui les rendait encore plus dangereuses que les précédentes. Loënia, avant l’arrivée de son cousin, avait essayé d’en parler au sorcier qui n’avait rien voulu entendre. Après tout, c’était son commerce.
Quand Noé tendit une tasse pleine de lait chocolatée à l’odeur alléchante, Loënia ne put la prendre.
Elle voyait Braken, une cape noire flottant derrière lui, qui flirtait avec une fée de son âge dans la salle de bal. Cette dernière était si illuminée qu’on se serait cru en plein jour, avec ses bougies sur les lustres et les panaches de lumières qui voguaient à leur guise entre les invités.
Plus loin, les trois filles Oppralin mangeaient des apéritifs en compagnie d’autres fées. La discussion allait bon train, sur des thèmes comme l’adoption d’un chat, les cours, l’endométriose, une recette de gaufres, un livre philosophique, la tonte du jardin, etc. Les robes des invités étaient rendues encore davantage flamboyantes grâce aux diverses lumières et enchantements.
Sur la terrasse, d’autres convives fumaient, jouaient, riaient et couraient comme des enfants. L’heure n’était pas à l’inquiétude, les anciens veillaient sur leurs descendants, en cette nuit de fête. La nourriture, la musique, l’atmosphère, tout, tout était merveilleux, tel un beau conte de fée enjolivé par des parents aimants.
-Oh non, fit Loënia en voyant de nouveau sous ses yeux la tasse de chocolat chaud que Rashnoé lui tendait.
-Que s’est-il passé ? s’enquit le prince. Tu viens de perdre le peu de bronzage que tu avais.
Sa cousine se tourna vers lui, effectivement aussi pâle qu’un linge.
-Je t’ai vu à Halloween.
Braken et Noé, unis dans l'incompréhension, échangèrent un regard.
-Un de tes souvenirs est revenu, souffla le premier.
-D’autres reviendront peut-être encore, formula le deuxième. Comment se fait-il… Oh ! Tu n’as pas dormi chez toi cette nuit, tu n’as presque pas mangé non plus… Ambatine pourrait se servir d’un enchantement pour bloquer tes souvenirs par les repas que vous prenez. Il reste à savoir comment elle n’empoisonne pas tes sœurs au passage.
Loënia eut tout de suite une idée sur le moyen qu’Ambatine, ou un coéquipier, pouvait utiliser pour l’ensorceler. Adrien et Rubis avaient eu une théorie similaire à celle-ci.
-Premièrement, c’est impossible que ma mère ait fait ça. Deuxièmement, je prends une tisane tous les soirs avec elle. Nous sommes seules car Raison n’aime pas le thé ni les tisanes et Liséa trouve celui-ci trop fort. Mais…
-Il faudrait être aveugle pour ne pas se rendre compte que c’est elle qui t’a empoisonné pendant tout ce temps, fit Braken avec un claquement de langue.
Devant la résignation de Loënia, qui tenait maintenant la tasse de chocolat chaud entre ses mains, Noé ajouta d’une voix douce :
-Loëne, dit-il en posant sa main sur son épaule, c’est forcément quelqu’un proche de toi, puisque le sortilège à ses limites et que nous venons de les découvrir.
-Mais pourquoi m’empoisonnerait-elle ? C’est complètement insensé ! Les gars… Ce n’est pas possible… Enfin, si, je veux bien comprendre que ça le soit, mais tout de même…
Ce soir-là, Loënia rentra chez elle, déconfite et incertaine. La seule nouvelle qui lui remonta le morale, puisque les chaînes d’informations de la télévision étaient encore plus moroses, vint Raison. Elle lui annonça qu’elle et Amare, son petit-copain loup-garou, s’étaient remis ensemble, et cette fois-ci, ils étaient prêts à tout affronter. Loënia espérait que c’était véridique car si Noé, Braken, Adrien et Rubis avaient raison, alors les Oppralin allaient avoir de nombreux ennuis familiaux.
Hey !
J'espère que vous vous portez bien.
J'aime beaucoup écrire des scènes de groupe comme celle entre Braken, Rashnoé et Loënia. L'affrontement des caractères, tout ça... J'ai quand même l'impression que cette scène manque de quelque chose.
Je vous souhaite une bonne soirée !
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