Chapitre 33 : Epée
-Vous avez carrément pique-niqué ensemble ? Oh la la, mais c’est sérieux !
Rubis se transforma en poivron sautillant.
-Ne dis pas ça, tu sais que je suis superstitieuse ! Bon, c’est vrai que c’est sérieux… Enfin je crois. Je pense que Matze est un garçon incroyable et fidèle. Tu le crois aussi ?
-Bien sûr, assura Loënia en tirant à elles la valise de Rubis pour qu’une mère avec sa fille puisse passer. Je suis triste que tu partes mais au moins, nous nous reverrons fin juillet. C’est bien ça ?
Le quai de la gare de Brest était empli de monde. Les deux jeunes femmes devaient se tasser surle coin d'un banc et élever la voix pour pouvoir s'entendre.
-Oui, je reviendrai la dernière semaine, je pense ! De toute façon, si je ne le fais pas, Braken viendra me tuer avec son épée. Tu réalises qu’il se balade en ville avec son épée ? C’est illégal, non ?
Loënia fit la moue.
-Sûrement mais j’avoue que ça ne me choque pas plus que ça. Je l’ai vu grandir avec.
Le train gratterait les rails de la gare de Brest dans trente minutes. Les deux femmes discutaient depuis près d’une heure sur le quai. Elles s’assirent sur un banc mis à disposition des voyageurs.
-Matze a vraiment eu un passé… compliqué. J’ai l’impression que ses parents ne se sont pas occupés de lui. Je crois qu’on peut dire qu’il a subi de la maltraitance.
Loënia n’osa rien dire du tout.
–Il m’a dit qu’il se sentait très seul mais que je l’aidais… Il a vraiment de gros traumatismes, j’ai l’impression. Ça me rappelle ce dont Elise nous avait parlé une fois... L’éducation bienveillante, c’est ça ?
Loënia hocha la tête. Ambatine n’avait pas du tout pratiqué ce type d’éducation non plus. Cette théorie éducative mettait en avant le respect de l’enfant et la reconnexion avec lui pour qu’il grandisse le mieux possible. Les valeurs qu’elle présentait étaient très belles, mais cette théorie faisait culpabiliser beaucoup de parents, car elle était impossible à utiliser tous les jours.
–La capacité que certains individus ont à cacher leurs problèmes m'étonne tous les jours. Je suis sincèrement désolée pour lui.
Rubis souriait difficilement.
– J’espère que ça ira pour lui. Il a un job maintenant. Il ne lui reste plus qu’à trouver son propre appartement. Je pense que quitter ses parents l’aiderait.
– Rash et moi pouvons l’aider, promit Loënia.
– Vous le feriez ?
La fée hocha la tête. Les haut-parleurs annoncèrent l’arrivée du train et conseillèrent de s’éloigner de la bordure d’arrêt.
– On est un groupe. On va s’entraider.
Elles se serrèrent l’une contre l’autre dans le brouhaha général.
– On se revoit bientôt.
– Bientôt, confirma Loënia.
Elle laissa son amie louve s’éloigner et monter dans le train. A partir de ce moment-là, elle ne la vit plus.
– Je crois que ma bibliothèque te plaît.
Loënia sursauta et se tourna vers la porte. Adrien marchait tranquillement vers elle. La lumière déclinante du soir rendait ses yeux marron plus clair. Tous les vampires avaient les yeux marrons. Pourquoi ? Loënia supposait que c’était car il ne buvait que du sang, pour la plupart.
– Ta bibliothèque est mon nouveau lieu préféré. D'autant plus, elle est très bien exposée.
– Ton père pensait l’inverse. Il préférait de loin se lever à l’aube pour observer le soleil se lever.
Loënia émit un bruit de surprise. Parler de son père l’intéressait, évidemment, mais un sujet plus préoccupant saturait son esprit.
– Je crois savoir de quoi tu veux me parler mais j’apprécierais que nous en parlions un autre jour. Ma journée s’est extrêmement bien déroulée et j’aimerais que cela continue.
Loënia ne voulait pas contrarier Adrien mais elle dut reconnaître que l’humeur de son arrière-arrière-grand-père devait passer en arrière plan pour au moins quelques minutes.
– J’ai acheté le journal, aujourd’hui. Une enquête a paru sur les meurtres. Ils ont fait le décompte et il y aurait eu une soixantaine de victimes dans toute la Bretagne. Le chiffre reste à vérifier. Tu te rends compte ? Soixante personnes mortes ! Et Braken…
– Loënia, je suis au courant mais c’est ainsi. Les vampires doivent (il hésita) se défouler de temps en temps.
La jeune femme aurait bien donné une claque à Adrien, si elle avait eu un peu plus de courage et si elle n’avait pas été persuadée qu’il l’aurait arrêtée avant que sa main ne touche sa joue.
– Il y a une semaine, ce sont des loups qui ont été visés. Pourquoi changent-ils de cibles à chaque pleine lune ?
– La pleine lune est un moment propice aux dérapages. Les envies des vampires sont aussi exacerbées que les pouvoirs des fées ou des sorciers. Les loups se transforment plus souvent également dans ces eaux-là.
Loënia le fusilla du regard.
– Tu oses comparer un afflux de pouvoirs magiques à un meurtre ? Aucune fée saine d’esprit n’a un jour tué quelqu’un à la pleine lune ! Et c’est encore moins un dérapage. Un dérapage, non mais tu t’entends ?
Adrien fit demi-tour sur lui-même et sortit de la pièce, Loënia sur ses talons.
– Mais parle-moi, le supplia la fée. Il faut que tu agisses !
Ils traversèrent quelques couloirs. Loënia devinait qu’Adrien avait l’intention d’aller dans son bureau.
–Adrien…
L'intéressé ouvrit la porte de son bureau et se retourna vers sa descendance. Ses yeux marron étaient passés du noisette au cachou.
– Loënia, je ne crois pas que tu saches le nombre de choses que j’ai à faire puisque je suis à la tête d’un clan qui ne cesse de s’agrandir. Par ailleurs, je n’apprécie pas du tout que tu élèves la voix lorsque tu t’adresses à moi. Je crois mériter du respect par mon âge, par mon statut par rapport à mon clan et par rapport à toi-même. Alors si tu as fini de geindre, j’aimerais aller travailler, maintenant.
La jeune femme était totalement prise au dépourvu. Adrien ne lui avait jamais parlé ainsi, avec tant de dédain ni avec tant d'irrévérence. Il réservait habituellement ce traitement pour Rashnoé.
Déçue et brusquée, elle détourna le regard et hésita un instant avant de prendre la direction de la sortie. Elle poussa la porte d'entrée et marcha sur le gravier. Elle ne savait pas si elle voulait marcher près de la marre ou courir dans les bois. Tout ce que son cerveau entrevoyait était le regard acéré d’Adrien. Il avait été si gentil avec elle, si accueillant… Et maintenant il l’envoyait balader comme une enfant. Il était comme Ambatine. Il pliait les choses comme cela l'arrangeait.
Loënia grommela quelques insultes avant de marcher en direction du bois. Les bras ballants, elle vérifia qu’elle avait bien son téléphone portable sur elle.
Elle se questionnait. Comment la journée avait pu si bien commencé avec Rubis et pourquoi elle finissait aussi mal maintenant. Non, elle n’avait pas tort. Adrien devait agir. Ses vampires assassinaient des vampires. Elle lui en parlait depuis des semaines et il n’avait absolument pas agi.
Dans la soirée, Loënia fit le tour du bois deux fois. Elle se fit griffer par des orties et ses mollets la démangeaient atrocement. Cette promenade ne lui avait pas fait de bien. Elle avait tourné en boucle ses idées dans sa tête.
Le soleil s’était pratiquement couché quand elle apparut dans la cour.
– Mais enfin, tu aurais pu répondre à mes messages !
Loënia sursauta une deuxième fois dans la journée.
– Thaïs, bon sang !
Le jeune homme se tenait dans la quasi obscurité à dix centimètres de la fée. Il avait l’air mécontent.
– Je te cherchais, figure-toi ! J’ai même envoyé un message sur Mistigri à ton cousin pour savoir si tu n’étais pas avec lui.
Elle gémit.
– Il vaudrait mieux que je l’appelle pour le rassurer, dans ce cas.
– On rentre, la somma-t-il. J’ai cru que tu t’étais fait attraper.
Loënia resta à le regarder, surprise.
– Tu t’es inquiétée pour moi ?
– C’est ce que font des amis, non ?
Thaïs ne souriait pas. De la fumée semblait s'échapper de lui et ses tresses en pagaille indiquaient qu'il avait couru. Loënia n’avait pas besoin d’un deuxième vampire en rogne contre elle.
– Je suis désolée, Thaïs. J’aurais dû consulter mon téléphone. C’est gentil de ta part de m’avoir cherché.
– T’inquiète.
Il la fit passer devant elle. La balade était terminée.
Le hall d’entrée était vide mais le salon, comme tous les soirs, était rempli de vampires galvanisés par la nuit tombante.
– Allez, viens, on va dîner.
Même s’il était toujours contrarié, le jeune vampire lui accorda un léger sourire quand ils entrèrent dans la cuisine. Loënia en profita pour vérifier si son tupperware de la chance était toujours au fond du réfrigérateur.
Il l’était.
Rashnoé soupira une nouvelle fois.
– Tu feras sans doute mieux que moi, dit-il à Loënia.
Le sorcier passa devant elle et se laissa tomber sur le gazon. Braken avait demandé au Groupe de venir ce samedi matin de juillet. Le prince, Loënia, Rashnoé, Matze ainsi qu’un garde se tenaient dans les jardins du palais.
Loënia avait d’abord songé à une blague quand l’un des gardes lui avait donné une épée. Il n’en était rien.
– Elles sont invisibles pour les humains, leur avait dit Braken. Vous pouvez vous promener partout avec et je vous y incite.
– Tu es conscient qu’on est doté de pouvoirs magiques ? Lui avait demandé Rashnoé, la voix peinte de sarcasme.
Mais à présent que Loënia avait observé Matze puis Rashnoé essayé de se battre contre un garde du palais, la jeune femme n’avait plus du tout envie de rigoler. Ils étaient tous vêtus de tenues de sport et de boue. L’échauffement, comme l’avait dit Braken, les avait épuisés.
La potion de chance n’avait pas fonctionné sur eux… mais Loënia préférait se dire que les gardes étaient très bien entraînés, ce qui devait être le cas.
Elle enviait Raison et Amare d’être restés à la maison. Ils avaient prétextés devoir régler leur inscription à l’université. Loënia savait bien qu’ils pouvaient la finir un autre jour.
Loënia tendit la bouteille d’eau qu’elle avait apportée à Rashnoé qui était en sueur. Il avait attaché ses longs cheveux blonds en une magnifique kuch. Ses petits cheveux étaient trempés de sueur et son visage avait rougi à cause de l’effort. Cela rappela à Loënia les cours de sport au collège. Elle le jugea adorable.
Braken lança un regard à Loënia. Elle acquiesça.
Elle attrapa son épée qu’elle avait laissée dans l’herbe. Elle aurait aimé en avoir une fausse, en plastique ou en bois, histoire que si elle se prenait un coup, elle ne perdrait pas un membre. De surcroît, l'épée était lourde et Loënia n'avait pas l'habitude de porter de telles charges. Elle tentait de voir les choses de façon positive : apprendre une nouvelle discipline ne pouvait que lui apporter quelque chose. C’était bien. De nouveaux neurones se développeraient dans son cerveau.
Plus elle approchait du garde, plus elle se sentait minuscule. Loënia était petite mais elle n’avait jamais eu à se battre physiquement contre qui que ce soit. Ses pouvoirs magiques l’avaient aidée de nombreuses façons. Elle avait toujours trouvé une échappatoire. Elle savait même se rendre invisible ! Une technique lâche, comme elle le disait, mais qui fonctionnait terriblement bien.
Elle plaça son corps dans la position que Braken lui avait indiqué. Pourquoi n’était-elle pas plus grande ? L’épée était censée être un prolongement de son corps or elle la déséquilibrait plus que n’importe quoi. L’herbe chatouillait ses chevilles. Pourquoi apprenaient-ils à se battre ? Qui avait eu cette idée stupide ? Pourquoi le garde la regardait si méchamment ? Elle allait finir comme une betterave, découpée en morceaux.
Le premier coup parti. Le soldat, plus haut et plus fort que la jeune femme, appuyait de tout son poids sur l’épée de celle-ci. Elle s'échappa en faisant des pas chassés et remit son épée en position. Il frappa encore plus fort, Loënia manqua de tomber, et elle aurait chu si Braken ne lui avait pas montré comment parer un coup. Elle tenta d’attaquer mais le garde la prit par surprise avec une feinte. D’un coup de pied derrière le genou, elle se retrouva au sol et manqua de s’éborgner avec sa propre épée.
– Ce n’était pas prévu, s’égosilla Loënia, indignée.
Elle se tourna vers Braken comme s’il était un arbitre. Ce dernier ne semblait pas avoir passé son après-midi dans la boue. Il portait un jogging noir impeccable et son épée à la taille. Il haussa une épaule.
– Tu crois vraiment que les personnes que nous affronterons vont nous prévenir avant d’attaquer ?
– Non, je sais bien mais bon…
Le garde lui tendit la main pour l’aider à se relever. Elle l’accepta puis partit boire de l’eau à côté de Rashnoé et de Matze.
– Tu as fait mieux que nous deux, affirma son petit-ami.
– C’est gentil mais je n’ai même pas tenu deux minutes.
– Bon, fit Braken en tapant dans ses mains, on se reconcentre. Je vous rappelle que si les humains racontent que les monstres vivent dans les bois, c’est uniquement parce qu’ils ignorent qu’ils dorment dans leurs villes. Sous-entendu : nous devons savoir nous battre pour les défendre. Regardez les pros.
Il sourit au garde en face de lui. Dans une même seconde, le prince saisit son épée et s’attaqua au soldat. Des grésillements et des étincelles jaillirent des épées. Le prince et le garde semblaient danser, tant ils bougeaient avec agilité, contrôle, force et grâce. Loënia, Matze et Rashnoé crurent plusieurs fois que l’un des deux allaient se trancher le bras ou la carotide tant les impacts étaient violents et au ras de leur peau.
Quand les deux dangereux acteurs finirent leur spectacle, Loënia eut presque envie d’applaudir. Elle était si impressionnée que la question de Matze lui fit l’effet d’une douche froide.
– On n'atteindra pas ce niveau avant des années.
– Voire jamais, affirma Braken. Le but n’est pas que vous deveniez des cracks de l’épée -même si cela serait bien- mais que vous compreniez le danger qui nous attend. Je pense que Rashnoé le sait déjà mais pas ma cousine.
La concernée leva les yeux au ciel.
– Arrête de t’en prendre à moi. Si la prochaine fois nous faisons de la magie, je vais t’en mettre plein la vue.
– Je l’espère, la défia Braken avec un sourire qui agaça Loënia. Je trouve que nous avons bien avancé pour une soirée. La prochaine fois, je tiens vraiment à ce que Raison et Amare soient là.
Loënia hocha la tête en regardant l’herbe.
Hey !
Voici la première scène de combat que j'ai un jour écrite. Elle est courte mais j'en suis plutôt contente. Plutôt.
Buvez de l'eau,
Mangez correctement,
Dormez assez si vous le pouvez,
Jane Anne
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