Chapitre 36 : Boîte
– Faire confiance à Adrien ? Par tous les anciens, ce gars a failli nous tuer la première fois qu’on l’a rencontré ! Il est le commanditaire de meurtres dans tout le Finistère ! Lelio a fumé trop de poudre de perlinpinpin !
Loënia grimaça. Elle savait qu’elle n’aurait pas dû aborder ce sujet avec Rashnoé. Elle s’était rendue à son appartement, une fois qu’elle fut passée par la librairie. Elle y avait trouvé un recueil de poèmes qu’elle avait hâte de commencer. Elle avait d'ailleurs prévu de le lire le soir-même, au chaud dans son lit, avec une tasse de potion de chance.
Rashnoé longeait son salon comme un fauve en cage.
– N’y pense plus, lui intima-t-elle en lui prenant la main. Ce soir, nous sommes des jeunes comme les autres, d’accord ?
Le garçon fit la moue.
– Des jeunes sans pouvoirs magiques ?
Loënia l’embrassa.
– Des jeunes presque comme les autres. Je vais me préparer, je ne peux pas aller avec cette robe en boîte.
Rashnoé déposa ses prunelles sur la jeune femme. Loënia portait une robe blanche tout en dentelle.
– Je la trouve très bien.
– Trop bien, justement. Si quelqu’un renverse quelque chose dessus, elle sera foutue. J’en ai pris une autre. C’est Ambatine qui me l’a offerte, comme ça si elle est salie, je n’aurai pas de regret.
Loënia s’éloigna dans la chambre de Rashnoé. Elle aurait pu se changer devant lui mais, sur le moment, elle n’en avait eu pas envie. Elle retira sa veste en jeans, puis sa robe et les déposa sur le lit de son petit-ami. Elle enfila sa nouvelle robe et admira le résultat dans le psyché du sorcier. Elle ne portait pas souvent des baskets avec ses robes mais pour sortir tard dans la nuit, cela était beaucoup plus pratique.
Elle saisit sa veste et l’enfila. Elle rouvrit la porte, Rashnoé se releva du canapé où il s’était assis. Il la détailla du regard. Les flammèches dans ses yeux la faisaient frémir de plaisir.
– Tu es parfaite.
– Je connais quelqu’un qui l’est encore davantage.
Rashnoé nia de la tête, elle ne rajouta rien. Elle savait que ce genre de discussion pouvait durer longtemps.
Loënia mit ses mains dans sa poche. Elle en sortit ce qu’elle pensait être un ticket de bus. Le regard de Rashnoé vira de la curiosité à l’indifférence.
– Une carte de visite appartenant à Lelio.
– Lelio ; roi de l’esbroufe, sorcier à temps complet, expert en sorcellerie et divination, lut Loënia. Boutique sur le boulevard des gambas. Quand vous souhaiterez me contacter, caressez la carte. C’est une blague ?
Rashnoé secoua la tête.
– C’est tout lui.
Loënia fixait la carte en quête de réponse. Comment était-elle arrivée dans la poche de sa veste ? Et pourquoi il se nommait expert en divination s’il avait refusé de répondre à ses questions ?
– Peu importe, soupira Loënia en plaçant la carte dans son sac à main noir. Peu importe. Nous sortons ce soir alors tous les soucis du monde peuvent bien attendre.
Rashnoé saisit son téléphone portable et ses clés de voiture.
– On y va ?
– Ta voix est tout éraillée, commenta Adrien en guise de salutation. J’en déduis que soit ta nuit a été courte, soit Rashnoé est un abruti fini. Enfin, les deux restent possibles.
Loënia avait enfilé un short et un sweat-shirt bleu qu’elle avait volés à Rashnoé avant de quitter son appartement après la soirée. Ils n’avaient dormi que trois heures mais, pour le moment, Loënia tenait le coup. Rashnoé l’avait déposée vers quatorze heures au manoir. Il n’avait pas souhaité entrer pour saluer le clan de vampires ou Adrien.
Loënia avait directement filé dans sa chambre pour ranger ses affaires. Adrien n’avait pas tardé à la rejoindre.
– La soirée a été formidable, s’émerveilla Loënia. La musique était top, nous n’étions pas trop serrés en boîte et vers six heures on a pris notre petit-déjeuner dans un café. C’était incroyable ! Je n’avais pas fait ça depuis des années !
Loënia posa son regard sur le chaudron de taille moyenne qu’elle avait acheté à Lent-Sorceler. Elle l’avait posé sur sa commode. En l’absence d’enchantement, c’était une très belle décoration. Le chaudron était en bronze et doré. Elle avait tout de suite eu un coup de cœur pour ce modèle neuf de la dernière collection.
– Je me suis perdue en allant à la librairie. A la place, j’ai trouvé une boutique de sorcellerie dont je ne soupçonnais pas l’existence. Elle est tenue par Lelio qui était un ami de mes parents. Lorsque tu l'as vu à l'exposition, tu semblais le connaître plutôt bien.
Adrien plissa les yeux.
– En effet. Je sais que Lysandre et lui faisaient les quatre cent coups ensemble. Je me rappelle que j’ai dû aller les chercher tous les deux à la gendarmerie un matin parce Valenthino, son père, dormait trop profondément pour entendre son téléphone fixe sonner.
Loënia rit.
– C’est formidable, comme anecdote !
– Les gendarmes qui les avaient surpris en train de taguer un mur n’auraient pas dit la même chose, fit remarquer Adrien, un léger sourire peint sur les lèvres. Il me semble que Lelio, Lysandre et Lune faisaient parties du même groupe d’amis. Dedans, il y avait des fées, des sorciers, des loups et quelques jeunes vampires de mon clan.
Loënia songea au hasard qui avait fait qu'elle se retrouvait dans la même situation. Ce constat n’avait pas échappé à Adrien non plus. Elle savait maintenant que certains vampires du clan d'Adrien, dont Loënia faisait également partie, avaient été amis avec son père. Peut-être pourrait-elle obtenir leurs prénoms et aller discuter avec eux, pour en savoir plus sur ses parents.
– Eh bien, il est seize heures maintenant, je suppose que tu as faim ?
Adrien portait un costume bleu un poil plus clair que ceux dont il avait l’habitude de porter. Il avait les mains dans le dos.
– Je meurs de faim, affirma-t-elle. Je vais trouver quelque chose dans le frigo ou je me ferai des pâtes. Est-ce que tu vas voir Arthur, aujourd’hui ?
Adrien sursauta presque.
– Non, ce n’est pas prévu, pourquoi ?
– Tu as pour habitude de porter des costumes bien plus sombres. La seule fois où tu en as porté un plus clair, de couleur lavande, si je me rappelle bien, nous voyions Arthur. Il avait l’air très sympathique.
Loënia sourit à Adrien qui en fit autant en guise de réponse. Ils quittèrent la chambre pour les corridors sombres uniquement éclairés de bougeoires.
– Tu devrais l’inviter à dîner quelque part, histoire que les membres de ton clan découvrent que tu as un cœur.
Malo déboula de nulle part devant eux.
– Il en a un puisque je l’entends battre. Après, est-ce qu’il fonctionne vraiment…
Adrien leva les yeux au ciel sous le rire de Loënia. Malo reprit un air de convenance. Il offrit une œillade à son chef qui signifiait qu’il y avait un problème. Loënia, toujours aussi curieuse même après n’avoir dormi que trois heures, fronça les sourcils en quête de réponse. Adrien se tourna vers elle. Elle n’avait pas le droit d’écouter cette conversation.
– J’y vais, grogna-t-elle à contre-coeur.
Elle se dirigea jusque dans la cuisine. Elle sourit à une vampirette qui traînait souvent dans la bibliothèque et qui lui avait prêté des vêtements.
Loënia ouvrit le réfrigérateur. Un plat de lasagnes avait été cuisiné. Loënia remercia mentalement Thaïs. Elle sortit le plat et s’en découpa une grande part qu’elle déposa sur une assiette et mit au micro-onde.
En attendant que son plat fût réchauffé, elle regarda son téléphone portable. Elle avait deux appels manqués de Braken Terralin. Son cousin lui avait laissé un message vocal. Elle l’écouta :
“ Loënia, je ne sais pas ce que tu fous mais nous avons un entraînement de prévu alors tu as intérêt à magner ton royal petit cul au palais au plus vite. On a des choses à faire !”
La fée éloigna son téléphone portable de son oreille en réalisant qu’elle avait complètement oublié ce rendez-vous. Et Rashnoé, s’en rappelait-il ? Elle lui envoya un SMS et sortit de la cuisine en trombe avant d’entendre le micro-onde sonner. Elle courut jusqu’à la cuisine, ouvrit le micro-onde, saisit le plat et le fourra dans le réfrigérateur.
Elle reprit son calme, marcha dignement jusqu’à sa chambre, saisit son sac à main, son épée et s’empressa de rappeler Braken.
– Dis-moi que je ne suis pas la seule en retard ?
Des échos de voix lui parvenaient du combiné.
– Rashnoé m’a envoyé un message pour me dire qu’il arrivait. Apparemment, vous vous êtes bien amusés la nuit dernière ?
Loënia eut envie de se frapper le front. Pourquoi fallait-il que son cousin use des mots ainsi ?
– Oui, Braken. Je suis allée en boîte avec mon petit-ami. Rien que tu n'aies jamais fait, n'est-ce pas ? Je cours, je devrais être là dans dix minutes.
Elle referma la porte du manoir derrière elle et se mit à courir à grande enjambée. Elle fut ravie de ne rencontrer personne dans le bois, à part un lapin effrayé qui lui barra la route un instant. Son épée la pesait tellement qu’elle la rétrécit et la mit dans la poche de son short pour être plus à l’aise.
Elle arriva essoufflée quelques minutes plus tard. Son estomac gémissait de plus belle mais ses poumons lui faisaient si mal qu'elle n'en avait que faire. Elle se dirigea vers le fond du jardin du palais. Elle n’eut qu’à suivre les voix pour se repérer. Raison, Amare, Matze, Rashnoé et Braken l’attendaient. La plupart discutaient gaiement. Seul Braken restait éternellement lugubre.
Loënia se dirigea vers lui, les mains sur ses côtes tant elle peinait à reprendre son souffle. Elle était la seule à avoir pris son épée.
– Je suis désolée d’être arrivée en retard, articula-t-elle d’une traite.
– Est-ce que tu penses que tu pourras m’aider à gérer l’entraînement sur la partie magique ? Lui demanda Braken d'emblée. Aujourd’hui, j’aimerais débuter par des combats entre nous.
La jeune femme acquiesça. Elle pouvait faire ça.
– Quels enchantements de défense connais-tu ?
Elle le défia d’un sourire.
– Assez pour te faire reculer.
Braken ne parut pas surpris. Il se doutait sûrement qu'Ambatine Oppralin n'avait jamais lésigné les différents apprentissages magiques de ses filles. Raison, Loënia et Liséa avaient commencé à apprendre des enchantements de défense et d'attaque dès leur entrée en primaire.
– Je n’en attendais pas moins de toi. Matze et ton petit-ami donnent l’air de maîtriser ce domaine. Je pense que Raison et Amare auront plus de difficultés.
– Raison est une formidable guérisseuse, pas une guerrière.
Rashnoé, qui écoutait la conversation, s’approcha des cousins.
– Tout est OK ? Leur demanda-t-il.
Loënia et Braken acquiescèrent.
– J’aurais dû venir te chercher directement quand Braken m’a contacté, s’excusa le sorcier.
– Ne t’en fais pas, j’aurais pu me rappeler toute seule que nous avions un rendez-vous prévu cet après-midi. Comme ça, je me suis échauffée.
Loënia sourit à son petit-ami. Elle avait envie de tout faire sauf de s'entraîner à se battre sous un soleil de plomb. Braken se tourna vers les jeunes éparpillés dans le jardin et tapa dans ses mains. Matze, Raison et Amare, qui discutaient ensemble, se tournèrent vers lui. Il portait un jogging et un t-shirt noir.
– Aujourd’hui, nous allons continuer à nous entraîner. Nous essayerons des enchantements puis nous ferons des duos voire des trios pour s’entraîner au combat. Ensuite, nous discuterons de l’avancée de nos projets.
Raison, qui s'étaient rapprochée de sa soeur, échangea quelques nouvelles à voix basses. La seconde apprit que Liséa allait de mieux en mieux.
– Amare, reprit le prince des fées, tu ne seras pas en reste, j’ai amené une pile d’objets enchantés.
Le loup se dirigea vers le large sac en toile de jute que Braken avait désigné. Il s’accroupit et l’ouvrit.
– On dirait des objets du quotidien, commenta-t-il en attrapant une toupie et un dé à coudre.
– Fais attention, lui souffla Raison, ils sont très sensibles !
– Je sais me servir de ceci, reprit le loup. La meilleure amie de ma grand-mère était une fée et elle nous avait offert quelques objets enchantés. Je crois qu’elle appelait ça différemment.
– Les appellations changent en fonction des régions, confirma Matze qui s’était accroupi à côté d’Amare. Oh, des éponges ! Qu’est-ce que c’est pratique !
– Quels sont leurs effets ? Demanda le loup.
Matze eut un air diabolique sur le visage.
– Elles épongent tout.
Amare plissa les yeux sans comprendre.
– Non, n’appuie pas dessus ! S'écria Matze.
– Mais…?
Matze décrocha l’éponge des doigts d’Amare. Celle-ci essayait déjà de les dévorer. Amare recula, dégoûté, en voyant ses doigts couverts d’une substance gluante.
– On commence ? S’impatientait Braken. Nous maîtrisons tous quelques enchantements ou sortilèges pour se défendre. Qui ne se pense pas capable de se défendre seul ?
Raison fut la seule à lever la main.
– Raison et Amare, vous viendrez avec moi. Loënia, Rashnoé et Matze vous partagerez des sortilèges ou enchantements entre vous. Vous vous entraînerez également à les pratiquer.
Loënia sourit amoureusement à Rashnoé. Ils se prirent la main et se dirigèrent vers un banc en marbre recouvert par les ombres des branches. Ainsi à l'abri des rayons du soleil, Loënia se sentit plus à l'aise. Elle savait que Rashnoé évitait les ultraviolets le plus souvent possible à cause de sapeau fragile.
Matze s’assit sur le banc et croisa les bras.
– Braken se prend pour un petit chef, tout de même.
– Un roi, tu veux dire, grommela Rashnoé. Même si je n’aime pas sa façon de tout contrôler, il a raison. Nous devons nous entraîner.
Loënia s’assit sur l’herbe sèche et rase.
– Il existe beaucoup plus de sortilèges de combats ou de défense que d’enchantements dans ces domaines. Je suis preneuse.
Les garçons étaient vêtus de vêtements de sport bon marché. Matze leva sa main, paume vers le ciel. Une bille de feu apparue et grossit jusqu’à atteindre la taille d’un pamplemousse.
– Brûler est un moyen radical pour venir à bout de ses ennemis.
Loënia savait déjà créer une boule de feu entre ses doigts. Cela lui prenait du temps mais elle arrivait à allumer des bougies ainsi.
– Mon élément est plutôt l’air, affirma-t-elle. Je sais très bien voler.
Rashnoé acquiesça. Quand ils étaient enfants, ils jouaient beaucoup au ballon. Ce que Loënia préférait par-dessus tout était de lancer la balle le plus fort possible pour la coincer dans l’arbre. Elle n’avait pas d’autres choix que de s’envoler pour la récupérer. Elle avait quelque peu diminué la pratique de cette activité lorsqu’elle avait appris qu’une sorcière était morte électrocutée par un fil électrique.
– Matze ? L’appela Rashnoé.
Matze se mit debout. Les deux amis s’écartèrent l’un de l’autre. Rashnoé montra ses poings, un large sourire redressait ses pommettes et ses tâches de rousseur. Loënia se recula, dans une expectative heureuse. Un combat entre magiciens était toujours fantastique, autant à regarder qu'en y participant.
De larges spectres de lumières se dégageaient de leurs mains. Les deux mètres qui les séparaient semblaient inexistants. La lumière verte, jaune et violette de leurs sortilèges ne semblaient pas aussi vive qu’en pleine nuit, mais elle suffisait à émerveiller Amare qui s’était arrêtés pour les observer. Les sortilèges qu’ils utilisaient les forçaient à se contorsionner, à faire de grands gestes avec leurs bras et à sauter. La magie était autant prenante physiquement que psychologiquement. La magie, notre magie, n’était mûe que par notre cœur.
Heyyyyyy
Le timing de ce chapitre est parfait : 10 minutes de lecture et il finit sur une phrase dont je suis fière.
Buvez de l'eau (par ailleurs, je vais le faire),
Jane Anne
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