Cannelle

C'est quoi ces conneries comme quoi t'aurai fumé devant chez toi ?

Tu l'a dit toi-même. C'est des conneries.

T'es sûre ?

Parce que je te trouve bizarre en ce moment, t'as la tête ailleurs.

C'est cette histoire d'interview qui t'angoisse ?

Chut, on prononce pas ce mot là.

OK OK.

T'es où là ?

Au parc.

J'arrive. Faut qu'on parle de cette histoire de clope.

Je mets mon portable en veille et me calle plus confortablement sur ma chaise. Je lui ai menti, je ne suis pas au parc, mais au café, à deux kilomètres de notre point de rendez-vous. Je n'ai pas envie de la voir, de lui parler, de lui dire que j'ai bel et bien fumé cette clope qui va me foutre son cancer petit à petit, et au final me prendre des reproches digne de ma mère. Ma mère, que je ne vois quasiment plus d'ailleurs. Ceci dit, ce n'est pas une immense perte. M'obliger à me maquiller uniquement parce que j'ai le rang social qui me force à le faire, c'est stupide.

Pour tout dire, je ne suis pas venue dans ce café pour rien, bien que je l'apprécie beaucoup. J'attends Noah, qui devrait arriver d'un instant à l'autre si j'en crois l'heure qu'indique mon portable. J'ai séché la techno pour sortir plus tôt, mais je m'ennuie. Et quand je m'ennuie, j'ai mon envie de fumer qui revient.

"Je pensais pas te trouver là. Je croyais que t'étais rentrée chez toi."

Je lève la tête et mon regard croise des yeux d'un bleu glacé à vous en donner des frissons.

"J'ai plus réellement de chez moi, dis-je à mi-voix."

Je me mord la lèvre inférieure, et m'insulte mentalement de tous les noms. Il faut que j'apprenne à faire attention à ce que je dis.

"Comment ça ?

• Laisse tomber. Tu peux pas comprendre.
• Au contraire, je pense que si. Mieux que cette... qui te sert d'amie. C... Curry ?
• Cannelle. Et ne parle pas d'elle comme ça s'il te plaît.
• Je serai curieux de savoir ce qu'elle t'a dit sur moi. Sans doute que je suis un type insupportable qui n'a pas voulu répondre à toutes ses questions plus chiantes les unes que les autres.
• On va dire qu'elle a parlé de la première partie...
• T'imagines pas tout ce qu'elle m'a demandé en moins de deux minutes, avec sa copine arabe. J'avais l'impression d'être un phénomène de foire. Enfin, j'ai toujours cette impression pour tout te dire.
• C'est parce que tu cherches pas à t'intégrer et que t'envoie balader tout le monde. Si t'essayais de parler à une ou deux personnes, ça irai mieux. A mon avis, continue comme ça et on t'aura collé l'étiquette "populaire-froid-et-canon-qui-parle-à-personne" en moins d'un mois.
• Je parle à une personne dans cette ville, elle est devant moi. T'es la seule à pas m'avoir saoulé en deux minutes. Et je rêve pas, t'as bien dit que j'étais canon ?
• Il y a aucun sous-entendu. Je te trouve mignon sans plus, mais certaines pensent à être avec toi. Et sans déconner, il y a que ça qui te choque ?
• Tant que c'est pas Curry...
• Cannelle. Et elle est trop occupée à fantasmer sur le serveur de ce café, "Chimchim", "Kookie", "Joon", et "Suga", corrigeais-je en mimant les guillemets. Même si je pense que le serveur arrive bien loin derrière Suga maintenant.
• Pitié me dis pas qu'elles ont chacun un "mari" qu'elles veulent violer ?
• Si...
• Je comprends pourquoi tu viens t'asseoir avec moi."

Il y eut un petit silence, entrecoupé par des grattements de stylo sur un cahier.

"C'est quoi cette histoire comme quoi t'aurai fumé une clope ?

• Tu t'y mets aussi ? Je pensais que tu me foutrais la paix !
• Ho je te demande juste. Ça te regarde, tu fais ce que tu veux. Je voulais juste savoir.
• Oui j'ai fumé, avouais-je."

Pourquoi lui en premier ? Pourquoi pas à Cannelle, que je connais depuis ma maternelle, où a Mélissa, qui ne me juge jamais ? Pourquoi c'est à lui que je me confie ?

"Pauvre folle..."

Cannelle

T'es où ? Je te vois pas.

"T'es au courant pour le nouveau ? demanda-t-il d'un ton détaché

• Le nouveau ? répétais-je, interloquée. Tu parles de qui là ?
• Le mec qui va arriver dans notre classe dans la semaine. T'en as pas entendu parler ?
• J'hallucine, tu parles à personne et t'es au courant de plus de choses que la fille la plus populaire du collège, raillais-je.
• C'est peut-être pour ça. Tu n'observes plus rien, tu passes ton temps à fuir les autres."

Ses mots me firent prendre conscience de la réalité. C'est vrai que depuis trois mois, je suis ultra populaire, mais je ne sais rien des autres et de ce qu'il se passe dans le collège. Je passe mon temps à fuir et à rester dans mon coin.

"Enfin bref, tout ça pour dire qu'il y a un nouveau qui arrive en A dans la semaine. Il s'appelle Jeon Taesung a priori.

• T'as l'air enchanté.
• J'essaye de voir le côté positif et de me dire que je serai plus la bête de foire, mais à tous les coups, il va me coller. En plus, rien que de ce qu'on dit sur lui, je peux pas le blairer.
• Pourquoi ?
• Le mec, il s'est teint les cheveux en rouge.
• Il est où le problème ? C'est beau le rouge."

Il hausse les sourcils avec un air de dire "ferme ta gueule et pense à ce que t'as vu samedi matin".

Et forcément, la vision de sept jeunes hommes avec des couleurs de cheveux pas possible s'impose dans mon esprit, ainsi que la musique entêtante qui va avec.

"Ah bah oui mais non. Du coup."

Je me prends la tête dans les mains.

"Putain, vu son nom, on va se retrouver avec une idole sud coréenne miniature..."

C'est peut-être injuste de faire un raccourci comme ça, mais je ne peux pas m'en empêcher. On verra bien, après tout.