T r e i z e
En a peine trois semaines, une sorte de rivalité entre Taesung et Noah est née. Le premier est très souriant, il parle à tout le monde et dit ce qu'il pense. L'autre est froid, distant et semble continuellement plongé dans sa musique, mais par un quelconque miracle, les filles trouvent ça "attirant". Ces deux là sont en quelques sortes devenus les "rois du collège", un peu comme dans ces séries à l'américaine ultra clichées où les élèves n'ont jamais cours. Ils passent leur temps à s'éviter ou à s'insulter plus ou moins gentiment. Les filles, en particulier des hystériques de 6ème et 5ème, ont choisi un "camp" s'il devait y avoir une "guerre" un jour. Ridicule.
Cannelle est de plus en plus insupportable. J'ai du mal à me retenir de lui dire ce que je pense. Pour éviter de m'emporter, je traîne avec Audrey, Ludivine et Lisa. Audrey aime bien Taesung mais ne fait pas tout un phénomène de lui comme Cannelle et Tina.
Ludivine et Lisa sont meilleures amies depuis l'enfance. On se connaît depuis la sixième, et on s'est toujours bien entendues.
"Et toi Agathe, si Taesung et Noah venaient à s'entre-tuer, tu choisirai qui ? demanda la voix mélodieuse de Ludi'
- Noah, répondis-je sans hésiter
- Ah bon ? Je pensais que t'étais plus du côté de Taesung.
- Agathe n'aime pas beaucoup les coréens, ria Audrey
- N'importe quoi !
- T'es quand même partie avec un gros préjugé
- C'est votre façon de l'idolâtrer qui m'agace. On dirait que vous êtes toutes en crush !
- Tu peux parler ! Tu fais pareil avec Noah !
- Faux
- En tout cas, c'est Cannelle qui crush sur lui pas moi
- QUOI ?!
- Ah t'es pas au courant ?
- Bah maintenant si écoute..."
Le son de la cloche interrompit notre conversation.
"On a quoi ?
- Arts."
Je grogne de frustration. Ce n'est pas parce que Noah a obtenu l'accès à la salle de musique que ça en fait une partie de plaisir.
***
"Putain Agathe ! Réveille toi bordel ça fait trois fois !
- Excuse moi..."
Noah est d'humeur massacrante ce matin. Il est assez intimidant quand il s'énerve et il commence à me faire peur.
"On reprend, enchaina-t-il d'une voix qui se voulait sans doute plus douce."
Il recommence la mélodie au piano. J'inspire profondément, me laisse porter par les tonalités assez douces de l'instrument... Et me plante. Je jette un petit coup d'œil à Noah, qui fait visiblement beaucoup d'efforts pour se contenir.
"C'est bon, la prochai-
- Non. De toute évidence, t'es incapable de jouer un accord correct. Laisse tomber. On trouvera autre chose."
Pas la peine d'être un génie pour capter le mépris dans sa voix. Il sort de la salle remplie d'instruments pour aller dans celle d'arts, me laissant seule avec ma frustration. J'ai allumé l'ordinateur et ai mis un rap d'Agust D. Il faut savoir que j'assume pas du tout d'écouter du rap coréen, et que j'essaye de me sortir de la tête qu'il fait partie de ce groupe ultra connu dont Cannelle (et beaucoup d'autres d'ailleurs) est fan.
La musique résonnait dans la salle et mon cœur s'affolait, comme s'il voulait battre le tempo. J'ai pris le micro et ai chanté The Last de toute la puissance de ma voix, en faisant passer un maximum d'émotions dans le rap. A la fin du morceau, j'ai reposé le micro et Noah est entré dans la pièce
"C'est toi qui viens de chanter ça ?
- Non ! Enfin oui... Non ! Pff... Qu'est-ce que t'as entendu exactement ?
- A peu près tout. Je savais pas que t'écoutais Agust D.
- C'est ça, vas-y, fous toi de moi...
- Je vais pas me foutre de toi. Je suis surpris, c'est tout.
- Et toi, comment tu connais Agust D ? Me dis pas que c'est ta soeur, elle est trop jeune pour écouter du rap.
- Nan, juste... Juste j'aime bien ce qu'il fait. Et tu l'as super bien interprété ! Franchement tu l'as géré même...
- Qu'est-ce que tu faisais derrière la porte ? coupais-je d'une voix sèche
- Le prof voulait pas que tu restes seule dans la salle de musique."
J'ai été naïve de penser qu'il était venu s'excuser pour sa conduite.
"Est-ce que t'as une idée des paroles pour notre chanson ?
- Alors c'est ça que je représente pour toi ? Juste une fille un peu chiante qui sait écrire avec qui tu travailles en art plastique ?
- Qu'est-ce qui te fait dire ça ?
- On se parle pas ! J'ai l'impression de me battre pour obtenir la moindre information sur toi !
- T'es venue chez moi, me rappela-t-il avec une once de reproche dans la voix
- C'est vrai. Et j'en ai plus appris sur ta petite sœur que sur toi ce jour là.
- J'aime pas parler de moi
- C'est pas une raison ! Je comprends pas non plus pourquoi t'envoyer chier toutes les personnes qui essaye de te parler ! Espèce d'asocial !"
La sonnerie nous sauve tous les deux de mots que nous pourrions regretter. Je me précipite dans la salle d'arts plastiques pour prendre mon sac et me rend directement en anglais, la mâchoire serrée par la colère.
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