Chapitre 12

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 Dans la salle de bain comme dans les autres pièces de l’appartement, tout est tiré au cordeau : un gel douche et un shampoing dans le coin droit de la baignoire, une brosse à dents et un tube de dentifrice sur le rebord du lavabo, le reste des affaires de toilette enfermé dans la colonne murale. Face au miroir qui lui envoie des indices épars du passage des années – affaissement de la peau, rides autour des yeux, cheveux plus sel que poivre, cou décharné –, Xavier ajuste sa cravate. Ce matin, il arbore un visage encore plus fermé que d’habitude, n’attendant manifestement que l’occasion propice pour exprimer tout haut sa détestation du monde tel qu’il est devenu.

 Il sort de chez lui, met la clé dans la serrure, lui fait faire deux tours complets sur elle-même, se dirige vers l’ascenseur, rebrousse chemin pour vérifier que la porte est bien fermée. Je l’entends marmonner. Je ne saisis pas tous les mots mais je comprends « délinquants » et « on n’est jamais trop prudent ».

 Au rez-de-chaussée, le bouquet de jonquilles a disparu. Il a été ôté par l’agent chargé du nettoyage que Xavier croise, un homme aux cheveux bouclés et au teint mat. Armé d’une éponge et d’un seau rempli d’un liquide à la couleur douteuse, il s’affaire pour effacer la déclaration d’amour inscrite sur le miroir. J’imagine Xavier se dire quelque chose comme : encore un arabe, on n’est vraiment plus chez nous. Il se plante devant l’employé, suspicieux.

 — Bonjour. Dites, je ne voudrais pas paraître désagréable, mais il faudrait peut-être songer à changer votre produit de nettoyage. Regardez, le miroir est rougeâtre, maintenant. Déjà que vous avez mis deux jours à venir…

 Xavier se raidit, ne finit pas sa phrase. Il doit estimer que son propos est suffisamment limpide pour s’épargner cette peine – il a raison –, comme il pense aussi sans doute qu’en commençant par une salutation et une prétérition, il a fait preuve de la politesse socialement attendue – c’est plus contestable, vu la sécheresse de son ton. Mais je vois bien qu’il bout à l’intérieur et qu’il va s’engouffrer dans la première brèche qui se présentera à lui pour laisser exploser la rage qui le tenaille.

 L’agent va lui en donner l’occasion :

 — Mes excuses, Monsieur, mais j’utilise le produit fourni par mon entreprise. Quant au fait que je ne sois pas venu avant, je fais mes horaires, voyez-vous, et je vais où on me demande d’aller. Si vous n’êtes pas content, téléphonez donc à mon employeur.

 Puis, pointant son index vers le document enfermé dans son cadre, à côté du miroir, il ajoute :

 — Tenez, le numéro est marqué là, c’est pratique.

 Et il se remet tranquillement à son affaire, étalant encore davantage les traces de rouge avec son éponge, tout en sifflotant comme si de rien n’était. C’en est trop pour Xavier. Il perd d’un coup toute retenue, aboie :

 — De quel droit vous me parlez comme ça ? Je vais appeler, ça c’est sûr. Et j’espère que vous en subirez les conséquences. Pour qui vous vous prenez ? Vous savez qui je suis ? Regardez mon badge: je dirige un magasin, j’ai le bras long, j’ai des contacts. Vous allez voir !

 — Mais faites donc ! Faites-vous plaisir ! Et passez une bonne journée, surtout !

 L’agent a prononcé ces mots sans élever le ton et, pire, en souriant. Xavier explose et se départ de toute politesse : il lui fait un doigt d’honneur et une réponse que je ne reproduirai pas in extenso, mais dans laquelle il est question, notamment, de sodomie et d’un aller simple pour la Grèce – je pensais que cette expression n’était plus utilisée par personne aujourd’hui. La porte d’entrée claque: Xavier vient de quitter le hall. Je l’entends encore dire « saleté d’Arabe » avant de s’engouffrer dans sa voiture. Il referme brusquement la portière, enclenche le contact, fait vrombir le moteur. L’agent, lui, continue son nettoyage, tout en se remettant à siffloter, un peu plus fort qu’avant, d’une manière plus enjouée, aussi. À mon avis, ce n’est pas la première fois qu’il fait sortir Xavier de ses gonds. Par la vitre du hall, il regarde Dumont démarrer, lui décoche un sourire narquois et un signe de la main lorsqu’il passe devant le hall.

 — Je crois que je lui ai bien pourri sa journée, au facho ! s’exclame-t-il, radieux.

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