Chapitre 1
La demande était arrivée un jour à la fin de l’automne, lorsque la nuit tombe plus rapidement et que les arbres ont perdu leurs feuilles. C’était une journée pluvieuse, le tonnerre avait grondé plusieurs fois et de fortes bourrasques de vent avaient balayé le jardin emportant avec elles les vestiges de l’été indien.
Il s’était présenté à l’heure du thé et après avoir solennellement demandé un entretien au père de la jeune femme. Il avait fait le voyage depuis Londres.
Il était descendu de la calèche seul, refusant l’aide du valet et était resté, quelques instants, immobile, malgré la pluie battante face à l’imposante demeure, semblant rassembler son courage. Le ciel s’était encore assombri et paraissait former un halo noir menaçant autour de la maison.
La lourde porte en bois s’ouvrit pour lui laisser le passage. Il confia son chapeau mouillé et son épais manteau à la jeune bonne qui l’accueillit. Il était vêtu d’un élégant costume anthracite, ses cheveux bruns avaient été décoiffés par le vent et de minuscules perles d’eau y étaient accrochées ; ses joues étaient rosies par le froid. Ses yeux d’un noir profond brillaient d’une volonté farouche d’obtenir ce qu’il était venu chercher. Son regard avait croisé celui de Hope et il avait eu un sourire malicieux.
Les deux hommes étaient restés enfermés une heure dans la bibliothèque familiale. Aucun son n’était parvenu à Hope et sa mère qui attendaient avec impatience en prenant le thé.
Hope avait apporté un soin particulier à sa tenue. Elle portait une ravissante robe en velours d’un vert jade qui rappelait la couleur de ses yeux. Son corset tout brodé de fleurs blanches mettait en valeur sa poitrine qu’elle cachait sagement avec un châle de dentelle. Ses longs cheveux auburn étaient remontés en chignon. Cette coquetterie lui était peu coutumière, mais elle savait que ses efforts n’avaient pas été vains et que Stuart y avait été sensible.
Hope avait de la peine à rester assise tranquillement, n’échangeant que des banalités avec sa mère. Tout son être était tendu, elle aurait aimé pouvoir se glisser jusqu’à la bibliothèque et entendre la discussion. Car elle savait que son père aurait des réticences à accorder sa main. Stuart n’était pas le gendre que ses parents avaient espéré pour leur fille chérie.
Enfant unique, Hope était venue au monde à un moment où ses parents avaient perdu espoir d’avoir un bébé. Ils étaient d’un âge avancé et leur fille devint le centre de leur univers. Elle avait grandi dans une famille entourée d’adultes, ses cousins ayant déjà dépassé l’adolescence. Ses parents s’étaient toujours adressés à elle comme à une petite adulte. Cela lui avait permis d’acquérir rapidement une maturité peu commune pour son âge.
- Ma chérie, êtes-vous sûre que vous souhaitez ces fiançailles ?
La voix de sa mère tira Hope de ses pensées. Elle ne put cacher sa surprise.
- Enfin, Mère, je pensais que me voir mariée était votre souhait le plus cher ! s’exclama-t-elle.
Sa mère, Alicia, avait montré beaucoup d’insistance pour qu’elle fasse son entrée dans la société et participe aux différents bals. Pour se faire, ils avaient quitté leur demeure de Grafton Manor, en Cornouailles, pour s’installer dans l’hôtel particulier qu’ils possédaient à Londres.
Hope s’y était prêtée de mauvaise grâce, ses évènements mondains l’ennuyaient à mourir et elle était triste de quitter sa maison et son amie Charlotte. Cette dernière, privée de l’usage de ses jambes depuis un accident d’équitation, l’avait encouragée à partir. Elle-même aurait aimé pouvoir participer à ces soirées dans la capitale, mais son état de santé ne le lui permettait pas.
Hope avait également conscience que ses parents s’inquiétaient pour son avenir et craignaient de la laisser seule s’ils venaient à décéder prématurément. Ils avaient vieilli ces dernières années. Sa mère avait contracté une pneumonie l’hiver passé et sa santé en avait été fragilisée.
Jamais elle n’aurait imaginé qu’à l’aube de l’hiver, elle serait sur le point de se fiancer. Le mariage ne faisait pas vraiment partie de ses projets. Elle était bien trop indépendante. Son rêve était de voyager afin de découvrir le monde qu’elle avait entrevu dans les livres et d’étudier la médecine. Elle avait déjà dévoré tous les livres de l’immense bibliothèque familiale. Elle avait appris le grec et le latin, elle avait également des notions de médecine. Son père, au grand dam de sa mère, l’avait toujours encouragée à s’instruire et se cultiver ; il lui avait enseigné à toujours dépasser les limites et à privilégier la désobéissance pour ne jamais se soumettre.
Il ne souhaitait pas que sa fille soit cantonnée à un rôle d’ornement auprès de son époux. Il avait une vision très progressiste sur l’éducation des femmes.
Hope parlait couramment français et espagnol grâce aux deux gouvernantes successives qui s’étaient occupées d’elle enfant. Oh, elle savait qu’elle ne correspondait pas à ce qu’on pouvait attendre d’une jeune fille de son rang et que les femmes ne pouvaient pas devenir médecin, mais elle s’en était toujours moqué. Son éducation peu conventionnelle et la fougue de sa jeunesse lui donnaient le sentiment que rien n’était impossible si on avait la volonté.
Sa rencontre avec Stuart avait bousculé ses certitudes et chamboulé ses plans. Hope avait été irrésistiblement attirée par le jeune Américain. Il était si différent de tous les hommes qu’elle avait rencontrés auparavant.
- Hope, m’entendez-vous mon enfant ? lui demanda sa mère d’une voix lointaine.
- Pardonnez-moi, Mère, qu’avez-vous dit ? répondit-elle sortant de sa torpeur.
- Je vous demandais si vous souhaitiez vraiment partir si loin de votre famille. répéta Alicia.
La jeune femme éluda la question, ne souhaitant pas engager une nouvelle discussion à ce sujet, fatiguée que sa mère lui rebatte les oreilles de ses inquiétudes face à une union qui impliquerait un déménagement, et se replongea dans ses souvenirs.
C’était au début de l’été, la saison mondaine battait son plein et Hope n’avait pu échapper à cette invitation. Elle détestait la conception de ces évènements dont la fonction première était de trouver un mari. Elle avait l’impression d’être du bétail sur un marché.
Profitant d’un moment d’inattention de son chaperon, elle s’était isolée sur le balcon pour fuir l’air étouffant de la salle de bal et les conversations insipides des convives. Elle attendait que la grande horloge sonne vingt-deux heures pour pouvoir rentrer chez elle sans offenser ses hôtes, Lord et Lady Wilburgh. Le respect des convenances était la clé d’une éducation réussie lui répétaient inlassablement sa mère et sa gouvernante, Madame Léger.
L’air s’était rafraîchi, mais il faisait encore bon. Hope s’accouda et leva les yeux vers le ciel. Il était parsemé de milliers d’étoiles. Soudain, elle aperçut une étoile filante.
Une voix la fit sursauter :
- Il vous faut faire un vœu !
Hope se retourna brusquement et buta contre la poitrine d’un inconnu. Elle laissa échapper un cri de surprise. Il avait de beaux yeux d’un noir très foncé. Il était grand, très grand presque une tête de plus qu’elle alors qu’elle avait elle-même une taille très élancée. Il avait un profil altier et une adorable fossette au menton. Il avait les cheveux bruns légèrement ondulés sur le bas de la nuque. Il avait desserré le nœud de sa cravate et n’affichait pas le même air guindé que les hommes qui fréquentaient ces bals. Son regard était pétillant et plein d’humour.
Il recula en s’excusant et se présenta :
- Pardonnez-moi, je ne voulais pas vous effrayer. Laissez-moi me présenter ; je m’appelle Stuart Hamilton.
Son accent trainant du Sud qui sonnait comme une promesse d’aventure et d’exotisme la séduisit. Lorsqu’il plongea son regard dans le sien, un délicieux frisson lui parcourut le bas du dos.
- Enchantée, Monsieur Hamilton, répondit-elle. Hope Windfield ajouta-t-elle en regardant, embarrassée, autour d’elle pour voir si on pouvait les voir ensemble.
En effet, il était tout à fait inopportun pour une jeune femme de discuter seule avec un homme auquel elle n’avait pas été formellement présentée. De surcroit, seuls sur une terrasse.
Il lui saisit la main et la baisa. La jeune femme rougit. Il n’avait aucun respect de l’étiquette.
- Cette soirée était ennuyeuse à mourir, jusqu’à cet instant ci ! Me feriez-vous l’obligeance d’une promenade dans les jardins, Mademoiselle Windfield ? ajouta-t-il avec un clin d’œil tout en lui offrant son bras.
- Sans chaperon, vous n’y pensez pas ? Je vous trouve bien audacieux, Monsieur Hamilton. rétorqua Hope.
- Il faut savoir vivre dangereusement et transgresser les règles, elles sont faites pour ça, non ?
La jeune femme savait qu’elle devait refuser cette proposition choquante et se montrer offusquée qu’il ne prête si peu d’attention aux convenances et à sa réputation. Elle imaginait l’air choqué qu’afficherait sa mère si elle était présente. Contre toute attente, elle accepta et glissa son bras sous celui qu’il lui offrait. Elle trouvait son attitude excitante et déroutante. Elle n’était pas habituée à ce que les hommes se montrent aussi directs et entreprenants. Elle détestait le ton obséquieux et légèrement condescendant qu’ils avaient l’habitude de prendre quand ils s’adressaient à elle.
Ils descendirent le grand escalier de marbre blanc qui menait aux jardins. Leurs hôtes avaient aménagé un magnifique jardin à la française avec de petits sentiers qui sillonnaient les buissons savamment taillés. Ils discutèrent à bâtons rompus. Le temps semblait suspendu.
Il lui parla de son enfance en Géorgie, de son statut de cadet, de ses parents. Elle ne se lassait pas de l’écouter, elle était fascinée par son univers qui semblait si différent du sien. Il était un merveilleux conteur, il lui décrivit sa maison, ses chiens, son cheval. Il lui dépeignit les paysages du Nouveau Monde, mieux qu’aucun livre qu’elle n’ait jamais lu. Il était si précis dans ses descriptions donnant des détails insolites, qu’elle avait l’impression d’y être.
Stuart lui montra un intérêt sincère et lui posa de nombreuses questions sur sa vie. Hope se surprit à lui confier que parfois, elle étouffait de l’attention que lui portaient ses parents et qu’elle aspirait à une autre existence. Il lui expliqua qu’il était venu à Londres pour poursuivre ses études et avoua qu’il avait aussi cherché à se libérer du joug paternel.
Son côté un peu rebelle lui paraissait excitant et infiniment séduisant.
Ils furent tous deux surpris du tour très intime qu’avait pris leur conversation.
Lorsqu’ils s’arrêtèrent au pied de la grande fontaine représentant les nymphes de la mythologie, symboles de la féminité, Stuart fit face à Hope et plongea son regard dans le sien, elle eut l’impression qu’il sondait son âme. D’un geste tendre, il lui caressa la joue. Puis, voyant qu’elle ne le repoussait pas, il s’enhardit et l’enlaça d’un bras ferme. Hope frissonna, alors qu’elle se sentait fébrile. Elle ressentait comme un torrent de lave se déverser dans ses veines. Il se pencha et s’arrêta à quelques centimètres de ses lèvres attendant son assentiment pour aller plus loin. La jeune femme frémit et s’empourpra. Le désir la tiraillait au creux des reins. Jamais, elle n’avait ressenti pareil embrasement de ses sens. Il y avait une telle alchimie entre eux. Oubliant toute convenances, elle noua ses bras autour de son cou et le laissa l’embrasser passionnément. Hope était complètement tombée sous le charme du bel Américain.
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Cette soirée lui paraissait si loin et pourtant elle ne datait que de quelques mois. Les évènements s’étaient enchainés à une telle vitesse que parfois Hope en ressentait une sorte de vertige. Au souvenir de ce premier baiser, le rouge lui monta aux joues. Elle aurait dû avoir honte de leur comportement ce soir-là et heureusement sa mère l’ignorait. Elle avait déjà dû subir ses remontrances lorsque cette dernière l’avait retrouvée seule dans le jardin. Stuart avait eu la présence d’esprit de se cacher à l’approche de sa mère proche de l’hystérie suite à la disparition de sa fille.
La porte de la bibliothèque s’ouvrit enfin, laissant les deux hommes sortir. Stuart avait un sourire radieux et semblait très satisfait. Il s’approcha vivement de sa promise et la prit par la taille d’un geste possessif qui fit sourciller Charles Windfield ; son futur beau-fils ne perdait pas de temps.
Charles échangea un regard avec sa femme dans lequel il parvint difficilement à masquer son désarroi. Alicia le regarda avec inquiétude. Il semblait avoir vieilli de quinze ans.
Ces derniers jours, depuis que Stuart avait sollicité cet entretien, ils s’étaient disputés à plusieurs reprises. Charles n’avait jamais partagé ses inquiétudes quant à l’avenir de Hope. Ils n’étaient pas d’accord sur l’importance de lui trouver un mari. De plus, il n’était pas du tout convaincu que celui-ci soit le bon.
Charles avait un lien particulier avec sa fille. Il était un père attentif et très présent dans l’éducation de Hope. Leur mariage étant resté longtemps stérile, l’arrivée de la petite fille avait représenté pour eux un miracle divin.
De plus, elle s’était révélé une enfant intelligente et d’une curiosité insatiable. Elle faisait la fierté de son père, qui était émerveillé, par sa soif de connaissances.
La demande de mariage l’avait pris au dépourvu. Il avait bien remarqué que sa fille avait les yeux brillants quand le jeune homme lui rendait visite ou l’emmenait en promenade, mais il n’avait pas mesuré à quel point cette relation était devenue sérieuse en si peu de temps. Hope n’avait jamais manifesté grand intérêt pour la gent masculine. Elle passait la plupart de temps libre à lire. Elle n’avait que peu d’amies, mis à part Charlotte qui était comme une sœur.
Quelle ne fut pas sa surprise, quand Hope lui fit part de ses sentiments pour Stuart et que les yeux pleins d’espoir, elle le supplia de répondre favorablement lorsqu’il ferait sa demande.
Il avait la conviction que sa fille était supérieure intellectuellement et que son esprit d’indépendance allait être brimé par son beau-fils. Instinctivement, il sentait une part d’ombre chez le jeune homme.
Néanmoins, il avait gardé ça pour lui ne souhaitant pas ternir le bonheur de sa fille et par amour, il accéda à sa requête, priant pour ne jamais le regretter.
Il vint se placer entre sa fille et sa femme et annonça à cette dernière :
- Ma chère Alicia, nous avons un mariage à organiser. Nous avons convenu avec Stuart d’attendre le printemps.
Alicia Windfield enlaça sa fille pour la féliciter et ne put retenir une larme. Elle avait espéré que sa fille se marierait et pourtant elle ne pouvait s’empêcher de penser qu’elle avait perdu son enfant adoré. Cependant, le bonheur rayonnant qui s’affichait sur le visage de Hope lui permis de se reprendre et de se réjouir.
- Tu seras la plus belle des mariées, ma chérie. dit-elle.
- La plus heureuse, espérons ! marmonna son mari dans sa barbe.
Au même moment, une vitre du salon s’ouvrit violemment par la force du vent. Les deux femmes ne purent retenir un cri de terreur. Il y eut un moment de confusion où Stuart, aidé par le valet se précipita pour la refermer.
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