Chapitre 7
- On ne s’est pas encore présenté. Je m’appelle Nina et toi ?
Nina. Je répète son prénom mentalement. Mes yeux sont rivés sur elle. C’est en l’observant que je me rends compte que je ne sais pas à quoi je ressemble en tant que statue. J’ai conscience de la position dans laquelle je me trouve ainsi que du matériaux dans lequel je suis fait : le bronze, mais je n’ai jamais eu la possibilité de voir les traits de mon visage. Je ne sais pas si je représente un homme, une femme, une personne âgée ou jeune et j’ignore également la manière dont je suis habillé, si tel est bien le cas.
Mis à part les traits de son visage, aucune partie du corps de Nina ne bouge. De mon côté, j’essaie tout de même pour la enième fois de créer ne fut-ce que le plus infime mouvement de bras, de jambe ou d’orteil mais rien n’y fait. Je suis immobile. Ma frénésie retombe un peu. Il me faut quelques secondes pour reprendre conscience du fait que Nina m'ait posé une question. Je lui réponds.
- Moi c’est Mike. Mais dites-moi je …
Nina ne me laisse pas le temps de terminer ma phrase. Elle me coupe la parole et poursuit.
- Ok Mike, enchantée. Bon, comme nous allons passer un bout de temps ensemble, je propose que nous fassions un peu connaissance, ça te va ?
- Euh… aucun problème. Mais s’il vous plait, avant de faire connaissance est-ce que vous pourriez répondre à quelques questions ? Je suis vraiment perdu et…
- C’est normal que tu sois perdu. Tu auras des réponses à tes questions, ne t’inquiète pas. Ah et aussi, ça t’embête si on se tutoie ? Ca finira sûrement par arriver et comme on ne sait pas pour combien de temps on en a à devoir se côtoyer autant commencer tout de suite, non ?
- Non ça ne me dérange pas, je réponds, de plus en plus étonné par l’aplomb de mon interlocutrice
- Super ! Pour rendre ça un peu plus amusant on pourrait peut-être se poser une question à tour de rôle sur notre ancienne vie et sur qui l’on est, ok ?
Je ne sais pas trop quoi penser. Je n’ai aucune envie de connaitre la vie de cette fille ni de lui exposer la mienne avant d’avoir eu des renseignements sur mon existence de statue. De plus, sa façon de parler en me coupant constamment la parole et en ne me posant que des questions rhétoriques sans me laisser le choix de la réponse ne va pas tarder à m’exaspérer. Cette Nina semble complètement insensible au fait d’être coincée dans une statue. Comme si cela ne l’impactait pas le moins du monde, comme si c’était tout à fait normal. Néanmoins, face à tant d’assurance, je me sens comme un enfant en train de se faire interroger oralement par son professeur. Un professeur particulièrement agité.
- Je t’ai déjà posé ma première question donc c’est à toi, vas-y !
Je réfléchis. J'aimerais retenter ma chance et lui poser une question sans rapport avec son ancienne vie mais je sais pertinemment que je me ferais remballer si j’essayais. Néanmoins, après quelques secondes de réflexion, je me dis qu’après tout, Nina n’a pas respecté les règles de son propre jeu. La première question qu’elle m’a posée, à savoir : depuis combien de temps j’étais prisonnier de la statue, n’était pas vraiment en lien avec ma vie passée. Grâce à cette faille, je me décide donc finalement à lui poser la même question que celle qu’elle m’a adressée quelques minutes plus tôt. Sans être trop flagrant, ça me permettra d’avoir quelques renseignements.
- Et toi, depuis quand tu es … comme ça ?
Tout en formulant cette phrase, je me rends compte que j’ai beaucoup de mal à mettre des mots sur la situation que je vis en ce moment. Surtout maintenant que je peux parler avec quelqu’un.
- Si je te le disais au mieux tu ne me croirais pas, au pire tu te mettrais à pleurer, me répond Nina nonchalamment, un petit sourire au coin des lèvres.
Je déglutis. Dès le moment où je me suis rendu compte que j’étais devenu une statue, j’ai cherché des renseignements et des indices qui auraient pu m'aider à comprendre cette situation et à m’en sortir. Aujourd’hui, alors que ces éclaircissements sont à portée de main, je suis en train d'hésiter. J'ai peur surtout. Ai-je vraiment envie de savoir ? Oui, il le faut. J’ai voulu des réponses à mes questions et maintenant qu’elles sont disponibles, il va falloir que je les entende.
Je prends une profonde inspiration avant de plonger mon regard dans celui de Nina et de lui rétorquer :
- Ça m’est égal. Je voudrais savoir depuis quand tu es coincée dans cette statue.
Nina sourit. Mais ce n’était pas un sourire moqueur ni de réel plaisir. C’est un sourire triste, nostalgique. Elle prend un temps avant de me répondre.
- Depuis 1962.
Je ne sais pas quoi dire. Une nouvelle vague de désespoir m’envahit. Nina l’avait prédit, je suis à deux doigts de fondre en larmes. Cette révélation me confirme le destin que je redoutais le plus : rester dans cet état pour toujours.
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