Chapitre 8

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Je ne sais pas quoi dire, je suis totalement paniqué. 1962 ! Nina a passé 58 ans dans cette statue. 58 ans condamnée à regarder les humains vivre leur vie alors que la sienne a dû, comme la mienne, brusquement s’arrêter pour quelque raison que ce soit. 58 ans sans aucune échappatoire. Même le suicide n’est pas envisageable. Comment voulez-vous vous suicider alors que vous ne pouvez pas bouger ?

Ne percevant aucune réaction de ma part, Nina doit deviner mon désarroi. Son regard est toujours empreint d’une certaine forme de nostalgie mais quand elle reprend la parole, c’est avec le petit ton joyeux qu’elle n’a cessé d’employer depuis le début de notre conversation. Ce ton, je l’ai rapidement compris, doit représenter pour elle une sorte de carapace, de bouclier. Il doit lui permettre de se persuader que tout va bien.

 -  Je t’ai dit que tu aurais préféré ne pas être au courant.

 -  Mais, c’est pas possible ! Tu es en train de me dire que nous sommes tous les deux condamnés à vivre de la sorte pour l’éternité ! C’est de la folie ! Qu’est ce qu’on a bien pu faire pour mériter ça ?

Nina sourit un peu plus.

 -  Bon et bien je pense que mon petit jeu de questions-réponses est tombé à l’eau. Je vais te rassurer tout de suite, on n’est pas forcément coincé comme ça pour toujours. Il y a un moyen de sortir de cet état.

A ces mots, ma panique se dissipe un peu. J’en ai marre de toutes ces émotions contradictoires qui m’assaillent les unes après les autres. Si ce n’est pas déjà le cas, je ne vais pas tarder à devenir fou.

 -  On peut sortir d’ici ? Mais alors pourquoi tu n’as rien fait ? je lui demande, abasourdi.

 -  C’est… compliqué. Il faut une sacrée dose de courage pour avoir la force de sortir de ces maudites statues.

 -  Comment ça ?

Le sourire de Nina s’estompe peu à peu. Elle a l’air las tout à coup, comme si, enfin, elle se laissait aller à montrer ce qu’elle ressentait réellement. Elle soupire et poursuit, un peu hésitante.

 -  Je... je vais t’expliquer ne panique pas. Mais avant, j’aimerais vraiment que tu m’en dises un peu plus sur ta vie passée, ta famille, tes amis, tes centres d’intérêts, ... Je sais que c’est très compliqué mais c’est important. Ca va t'aider, tu verras.

Cette situation est épuisante. Je n’en peux plus de tout ce mystère, de toutes ces cachotteries. Pourquoi ne veut-elle pas simplement tout m’expliquer ? Je ne comprends pas en quoi mon ancienne vie pourra m’être utile pour sortir de cet état. Pourtant, elle a l’air tellement sûre d’elle sur ce point qu’il ne me servirait à rien d’aller contre sa décision. Et puis, pour notre bien à tous les deux, il serait vraiment préférable que nous nous entendions bien, que nous évitions les tensions. Prenant sur moi, je me résigne alors à lui déballer ma vie. J’ai attendu jusqu’ici pour avoir ces réponses, je peux attendre encore un peu, un tout petit peu.

 -  S’il le faut vraiment… J’ai 28 ans et je travaille dans une banque en tant qu’employé dans la sécurité du système informatique.

A ces mots, Nina fronce les sourcils. Sur le moment, je ne comprends pas pourquoi puis, je me rappelle qu’elle a vécu dans les années 50. A l’époque, personne n’avait jamais entendu parler des ordinateurs, d’Internet et encore moins de hacking.

 -  Euh… je protège en quelque sorte la banque contre les personnes qui voudraient s’y introduire via un système moderne qui permet de relier le monde entier.

 -  Ah oui ! Et je suppose que le petit objet rectangulaire que les gens ont toujours dans leurs mains est l’outil qui leur sert à utiliser ce système non ?

 -  En quelque sorte. On appelle ça un smartphone, c'est la version ultra-moderne du téléphone que tu connais. Mais dis-moi, comment es-tu au courant de ça ?

 -  En près de 60 années d’existence en tant que statue, j’ai été posée dans de nombreux endroits. Certains plus agréables que d’autres. La plupart du temps, je me trouvais dans des lieux forts fréquentés ce qui me permettait de voir la ville et ses citoyens évolués. Avant d’être amenée ici, j’étais placée dans un parc du centre-ville. J’y suis restée pendant presque 10 ans. Mais vas-y, continue à me parler de toi.

Je poursuis donc, même si à part remuer le couteau dans la plaie et me faire me sentir encore plus mal et nostalgique, lui exposer ma vie ne me sert pas à grand-chose pour l’instant.

 -  J’ai des très bons amis avec lesquels j’aime faire la fête et m’amuser de temps en temps. Je vis assez loin de chez mes parents. A environ deux-cents kilomètres. Ma petite sœur de 21 ans vit encore avec eux le temps de finir ses études. Voilà je ne sais pas trop quoi te dire d’autre… J’aime beaucoup la course à pied et je fais de la boxe dans un club deux à trois fois par semaine.

 -  Et tu as quelqu’un dans ta vie ? Une fiancée ?

Et voilà, on arrive au sujet sensible. C’est notamment parce que je savais qu’on finirait par aborder ce sujet que j’étais si réticent à parler de ma vie.

 -  Non. Je n’ai personne, répondis-je un peu plus froidement que je ne l’aurais voulu.

Nina doit percevoir mon trouble. Elle a dû comprendre au ton que j’ai employé que c’est un sujet délicat que je ne veux pas aborder. En réalité, je n’ai pas encore fait le deuil de ma relation avec Lola. Notre rupture est encore trop récente et y penser me fait trop de mal. Elle me scrute et attend quelques secondes avant de reprendre.

 -  Ok. Et elle a quel âge ?

 -  Je t’ai dit que je n'ai personne. On peut parler d’autre chose maintenant ?

 -  Ca va t’aider d’en parler, crois-moi. Même si c’est compliqué. Allez, elle s’appelle comment ?

Nina persiste. Je commence à bouillir de l’intérieur. Pourquoi est-elle si bornée ? Ma résolution de faire en sorte que l’on devienne des amis est de plus en plus difficile à tenir. Quand je lui réponds, mon ton est sec et cassant.

 -  Et pourquoi tu ne me parlerais pas de ta vie à toi ? C’est pas ça que tu voulais au début, échanger ?

 -  C’est toi qui voulais de l’aide et des réponses. Tu me l’as demandé, et crois-moi, c'est ce que je suis en train de faire. Je sens que tu ne veux pas me parler d'elle mais il le faut. Ca va t'aider à exorciser tes démons.

Un rictus s’échappe de ma gorge, la colère me submerge petit à petit.

 -  Haha, « exorciser mes démons » ! Non mais c’est une blague ! Tu étais qui en 1962 ? Une putain de psy ?

 -  Non, il n’empêche que toi, tu aurais peut-être dû en consulter un. Tu dissimules beaucoup de choses, je le sens. Je te l’ai dit Mike, si tu veux comprendre pourquoi tu es là, tu dois en parler et malheureusement ou heureusement pour toi, je suis la seule personne avec qui tu puisses le faire.

Un silence. Je ne réponds pas et tente de me calmer. Je me sens comme une cocotte-minute prête à exploser. J’aimerai bouger, marcher, cogner quelque chose pour évacuer toute la rage qui m’anime en ce moment mais je ne peux pas ce qui ne fait qu'intensifier ma colère. Soudain, Nina reprend.

 -  Elle a dû te faire beaucoup de mal…

C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Je me mets à hurler.

 -  Mais putain qu’est ce qu’on s’en fout qu’elle m’ait fait du mal ou pas. C’est fini, terminé. Elle est partie et aujourd’hui je suis coincé ici avec toi qui me fait chier à essayer de me faire parler alors que je n’en ai aucune envie. Bordel c’est pas vrai, mais finissons-en, explique moi pourquoi on est là et...

Une fois de plus, elle ne me laisse pas terminé et me coupe la parole. Sa voix est forte pour couvrir mes cris. J’entends très distinctement ce qu’elle me dit et me calme instantanément.

 -  Tu es mort Mike.

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