Chapitre 10
« Tu es mort, Mike ». Ces mots résonnent dans ma tête tel un cri dans une gigantesque grotte.
- Oui, je sais, c'est difficile à avaler, poursuit Nina
Un ange passe. Pendant un moment, aucun de nous deux ne parle, chacun attendant que l’autre prenne la parole. Personnellement, je ne sais pas vraiment quoi dire après cette annonce. Elle m’a cloué le bec. Mort ? Mais non enfin ! Décidément, cette Nina débloque complètement. J’ai imaginé tous les scénarios possibles et inimaginables. Mais la mort ! Jamais cette idée ne m’a traversé l’esprit. Nina reprend la parole, toute trace de joie ou d’amusement s’étant volatilisée de son ton.
- Tu… tu ne dis rien...
Je la regarde dans les yeux et lui sors la seule réponse que je trouve :
- Je ne suis pas mort. Je le saurais si c’était le cas et…
- Justement, c’est bien là le problème, tu …
- Arrête de me couper la parole sans cesse. Tu me demandes de parler, je parle, alors écoute-moi s’il te plaît ! Je m’exclame d’un ton ferme mais sans crier cette fois.
Les sourcils de Nina remontent et ses yeux s’écarquillent. Elle ne s’attendait probablement pas à ce que je l'interrompe d’une telle manière. Je reprends.
- C’est complètement ridicule, c'est de la folie ! Je ne suis pas mort ! Après la mort c’est nada, que dalle, fini, le noir total. On ne se retrouve pas coincé dans une statue, c’est impossible !
Nina attend quelques secondes après que j’ai terminé ma phrase avant de poursuivre.
- Tu penses qu’il n’y a rien après la mort ? Que l’existence de quelque chose « après » n’est pas possible ? D’accord, mais réfléchis une minute. Est-ce que tu pensais sincèrement qu’il était possible de se retrouver enfermé dans une statue et que ça t’arriverait un jour ? Je pensais que le fait de te retrouver dans cette situation t’aurait suffit pour remettre en doute toute tes certitudes.
Un point pour elle. Moi qui pensais avoir tant de choses à lui rétorquer, je me retrouve sur le coup totalement muet. Il faut que j’écoute ce qu’elle a à me dire.
- Ok, je réponds. Explique-toi ! Pourquoi penses-tu que je suis mort ? Et si tel est réellement le cas, alors ça voudrait dire que tu es décédée aussi ?
- Oui, oui je suis morte aussi. Depuis 58 ans. Je pense que jamais je ne sortirai de cet état mais tu sais quoi ? Ce n’est pas grave, je m’y suis faite. Ca peut paraitre fou mais après un certain temps, on s’habitue à cette condition. J’ai vécu plus longtemps en tant que statue qu’en tant qu’être humain et au fur et à mesure du temps qui passe, j’ai appris à accepter cette vie d’immobilité. J’ai rencontré énormément de personnes et entendu de nombreuses histoires. Malgré tout, même si j’ai accepté ce sort, je ne le souhaite à personne. C'est pour ça que je veux t'aider. Je ne veux pas que tu te retrouves coincé ici comme moi pour toujours. Je voudrais que tu te sortes de là.
Je ne dis rien. Quelques secondes passent puis Nina poursuit.
- Bon, maintenant, j’aimerais que tu écoutes mes explications s’il te plaît. Je te laisserai tout le temps de parler quand j’aurai terminé.
- Ca me va, je réponds.
- Ca risque d’être un petit peu confus, désolée, mais c’est la première fois que je dois donner ces explications à quelqu’un. Auparavant, j’étais entourée de statues plus anciennes et c’étaient elles qui informaient les nouveaux venus mais là, il n’y a que toi et moi. Allez, c'est parti.
"Nous ne nous sommes pas retrouvés dans cet état par hasard, Mike. Ces statues dans lesquelles nous sommes coincées sont… elles sont comme une sorte d’entre deux, un genre de purgatoire si tu veux. Cependant, tout le monde ne finit pas enfermé dans une statue une fois décédé. Cela n’arrive qu’à quelques personnes. Aux personnes qui sont parties trop tôt, qui étaient trop jeunes pour mourir « naturellement » si je peux m’exprimer ainsi. Par exemple, les personnes qui ont eu un accident, une maladie grave ou bien qui se sont suicidées.
Le problème réside dans le fait que nous n’étions pas prêts à partir, à quitter le monde des vivants. Nous ensevelissons alors les souvenirs de nos derniers instants au plus profond de notre mémoire pour nous persuader que l'évènementqui a causé notre perte ne s’est jamais déroulé. On fait en sorte d’oublier que nous sommes morts et surtout la raison pour laquelle nous le sommes. C’est une sorte de déni. Au fond de nous-mêmes, nous savons pertinemment que nous sommes décédés mais une partie de nous refuse de l’admettre. Si tu y réfléchis, tu te souviens de ton ancienne vie, même des certains détails insignifiants mais tu ne sais pas à quand remonte ton dernier souvenir ni comment tu t’es retrouvé ici. C’est pareil pour tout le monde.
Comme je te le disais, il existe un moyen de nous « délivrer ». Dans les faits, c’est relativement facile mais je te l’ai dit également, il faut être prêt et courageux. Il suffit juste de sortir de ce déni. Il faut faire remonter à la surface nos derniers instants et nous rendre à l’évidence, accepter notre sort. Donc oui, ça peut paraitre tout simple dit comme ça mais en réalité, c’est beaucoup plus compliqué qu’on ne le croit parce qu'on ne se sait réellement pas ce qui nous attend une fois libéré. Si c’est – comme tu l’as dit tout à l’heure - le noir total ou bien si on se retrouvera dans un nouveau monde, ou en train de vivre une autre expérience aussi étrange que celle que l’on vit en ce moment. C’est aussi pour ça que j’ai tant insisté pour que tu me parles de ton ancienne vie. Je pensais que j’arriverais subtilement à faire remonter ces souvenirs à la surface mais je me suis trompée. Je suis désolée. J’ai mal agit mais je ne savais pas comment faire."
Nina cesse de parler. Elle me regarde, probablement soucieuse de ma réaction. Personnellement, je suis éberlué. Son discours est cohérent, clair et son hypothèse est plausible. Je voudrais ne pas y croire, la traiter de folle et ne plus écouter un mot de ce qu’elle aura à me dire d’autre à partir de maintenant mais je ne peux pas. Je n’y arrive pas. Un immense sentiment de tristesse m’envahit. Au fond de moi, je sais qu’elle a raison.
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