Semaine 25 - Résolutions 2020 : check !
- Bonne année ! hurle Fabrice, son verre haut levé.
Il avale goulûment son contenu, la tête renversée en arrière. Ses amis crient, rient, boivent d’aussi bon cœur, avant de s’entre-congratuler avec de nombreuses claques dans le dos. Paul glisse un bras autour des épaules de Fabrice et ébouriffe ses cheveux amicalement.
- Bon alors ces résolutions ? Les mêmes que chaque année ?
Amusé, le jeune homme repousse son ami qui s’esclaffe.
- Non, cette année, je deviens raisonnable. C’est pas drôle de ne jamais atteindre mes objectifs.
Paul soupira, la moue désabusée :
- Mais c’est toi qu’es pas drôle ! Tu as mis quoi sur ta liste ? Faire les courses et le ménage ?
- Ha ha ha, hilarant. Nan, quand même pas, par contre faut que je répare ma porte de frigo, elle grince, c’est chiant. Et puis me trouver enfin un boulot. Jouer aux jeux vidéo, c’est pas suffisant. Me trouver une copine. Eh ! s’exclame Fabrice lorsqu’il remarque que son ami fait mine de vomir, je suis super sérieux !
- Mais bien sûr mec. Allez, je te connais depuis qu’on porte des couches, elle dit quoi ta liste secrète ?
La liste secrète. Seul Paul en connaît l’existence, bien que Fabrice la tienne depuis ses douze ans. Chaque année, il rédige deux listes de résolutions : la publique, qu’il partage avec ses amis et qui est… non pas réalisable mais raisonnablement irraisonnable ; et la secrète, qui contient ses souhaits les plus inavouables. Il baisse la voix :
- Tu le dis à personne ?
Paul claque les lèvres, simulant le geste de les verrouiller avant de jeter la clé invisible. Fabrice roule les yeux, mais au fond, il est amusé. Son ami a toujours été plus pitre que sérieux. Il se penche vers lui et chuchote quelques paroles au creux de son oreille, un effort inutile au cœur de la fête qui bat autour d’eux. Paul éclate de rire quand il a fini.
- Bon bah on peut pas dire que ça c’est pas ambitieux !
Il lève son verre puis remarque qu’il est vide. Son regard court autour de la pièce avant de repérer deux bouteilles de champagne copieusement entamées sur une table. Il les attrape et en tend une à son ami.
- A la réalisation de nos vœux les plus fous !
Le lendemain, Fabrice se réveille avec une migraine affreuse. Son cœur cogne si fort dans sa tête qu’il lui semble que la fête ne s’est pas terminée. Ou est-ce le cerveau dans la tête ? Il grogne. Argh, la douleur ! Jetant un coup d'œil à son réveil, il baille. Onze heures. Grr. Le jeune homme repousse ses couvertures, balance ses jambes sur le côté et glisse au sol sans volonté. Ses fesses heurtent mollement le parquet. Il bâille encore, passant une main dans ses cheveux. À moitié endormi, il se redresse. Il se gratte le dos tout en se dirigeant vers le rez-de-chaussée et en évitant les restes de la soirée. Fabrice louvoie entre quelques convives endormis. Ou sont-ils morts ? Qu’importe, il a faim.
Une dame s’affaire déjà dans la cuisine. Elle lève la tête quand il entre avant de l’incliner doucement.
- Bonjour monsieur, vous avez des pancakes dans le frigo si vous voulez monsieur.
Fabrice reste immobile un instant. Il la connaît ? Non, il ne croit pas. Qu’est-ce qu’elle fait là ? Elle paraît trop âgée pour la fête de la veille, et en trop bon état surtout. Il fronce les sourcils. Sa tête… Grimaçant, il ignore sa propre réflexion. Tant pis, ça sera pour plus tard. Là, maintenant, son souci est de remplir sa panse qui grogne comme un bouledogue mal élevé.
Il tend la main, actionne la poignée du frigo. Le battant s’ouvre. Son front se plisse. Il le referme. Le tire à nouveau vers lui. Fabrice aurait juré qu’encore hier la porte grinçait. Il hausse les épaules. On s’en fout, le principal est qu’elle ait été réparée, ça lui fait un problème de moins à régler. Il attrape une assiette dans laquelle s’amoncellent des pancakes gonflés à souhait. Le jeune homme remonte dans sa chambre, happant au passage le pot de Nutella. La dame est toujours dans la cuisine. Elle s’est lancée dans le nettoyage du four. Fabrice rejette ses pensées. Il verra plus tard de quoi il retourne, réfléchir avec une gueule de bois et l’estomac vide n’est jamais une bonne idée.
Le jeune homme se jette sur son lit, et quelques pancakes glissent de l’assiette pour retomber sur le drap. Peu dérangé, il se contente de les replacer au sommet de sa pile. Il ouvre le pot de pâte à tartiner avant de confortablement se caler contre le mur. Les grandes fenêtres révèlent un brouillard dense. Il baille. Le temps ne s’est pas amélioré depuis la veille. Fabrice tend la main et attrape un pancake qu’il glisse directement dans le pot avant de mordre dans sa chair tendre. Hum… Voluptueux à souhait. Il ne se souvient pas d’en avoir acheté mais qu’importe, ils sont délicieux.
Un flash l’éblouit. Son sursaut est si conséquent qu’il en glisse de son lit, les jambes empêtrées dans les draps. Sa tête manque de peu l’angle de la table de chevet, qui heurte à la place son épaule. Une étoile de douleur apparaît. Les yeux larmoyants, Fabrice se dépêche de se relever avec des gestes si maladroits qu’il tombe à nouveau. Enfin sur ses pieds, il s’approche de la fenêtre, juste à temps pour voir une silhouette passer par-dessus le mur d’enceinte et disparaître. Le jeune homme fronce les sourcils : depuis quand y a-t-il un mur d’enceinte autour de chez lui ? Il se frotte le crâne, perturbé.
- Amour ? intervient une voix douce dans son dos.
Il se retourne avec précipitation. Une jeune femme se tient derrière lui. Ses cheveux blonds artistiquement bouclés couvrent ses épaules comme une cape et un grand sourire étire ses lèvres gonflées d’une manière peu naturelle. Sa tenue, très légère et courte, ne cache rien de son imposante poitrine trop ronde pour ne rien devoir à la chirurgie ou de ses fesses fermes. Fabrice a conscience qu’il est bouche bée, ce qui n’est pas très poli, et qu’il reluque l’intruse, ce qui l’est encore moins, mais il ne peut s’en empêcher. Puis son cerveau se rebranche et il plisse le front. Que fait cette bimbo chez lui ? Il ne la connaît pas. Un de ses amis s’est-il offert une prostituée pour le nouvel an ?
Elle s’approche de lui, la mine bienveillante.
- Amour ? répète-t-elle.
- Hein ? répond très intelligemment Fabrice.
Elle rit, claquant avec familiarité un baiser sur les lèvres du jeune homme. La texture des siennes est très perturbante, un peu comme du latex trop étiré. Il rougit brusquement, ses pensées aussi affolées que des autruches.
- Ça va, chaton ? T’as pas l’air dans ton assiette aujourd’hui.
Elle jette un coup d'œil à la vitre.
- T’as déjà eu un paparazzi ce matin chaton ?
Fabrice fronce les sourcils, tentant, en vain, de rassembler des idées cohérentes. Il ouvre et ferme la bouche comme un poisson, ce qui amuse la jeune femme.
- Amour t’as perdu ta langue ? (Elle l’embrasse goulûment avant de s’écarter tandis qu’un sourire victorieux se dessine sur ses lèvres siliconées) Ah non, la voilà !
Son rire retentit à nouveau. Ses mains glissent sur le torse du jeune homme, s’aventurant avec beaucoup d’intrépidité, ce qui semble l’amuser follement. Fabrice attrape ses poignets pour l’empêcher de descendre plus bas. Elle lève un regard déçu et surpris.
- Amour ?
- T’es qui ?
- Oh ! un jeu de rôles ? J’adore les jeux de rôles ! Je suis… euh… la reine d’Angleterre tiens, mais pas la vieille, la jeune. Et toi t’es un beau pirate qui vient de me kidnapper ! Comme c’est excitant !
- Sérieux, j’te connais pas.
Elle plisse le front, la mine soucieuse.
- Ça va chaton ? Tu as tellement bu hier que tu te souviens de rien ?
Fabrice ferme les yeux, la bouche crispée. Son dos repose contre la vitre.
- Apparemment, consent-il enfin. Tu peux me dire… ce que j’ai oublié ?
- J’en reviens pas que tu m’as oubliée, genre moi on m’oublie pas moi !
Elle roule les yeux avant de reprendre :
- Je m’appelle Klariss et j’suis ta femme depuis euh… pff… quatre mois je crois. Ou six ? Fin on s’est mariés on était bourrés genre bien fort comme des trous donc bon, mais ça compte quand même.
Le jeune homme est de plus en plus confus. Il n’a aucun souvenir de celle qui lui fait face. Soudain elle s’écarte de lui pour faire un grand geste joyeux vers la fenêtre. Un flash l’éclabousse de lumière puis elle revient vers lui, un grand sourire aux lèvres.
- J’espère qu’il a pris mon bon côté celui-là, j’aime pas les paparazzi qui prennent le mauvais, ça fait de la mauvaise presse de ouf.
- Euh… des paparazzi ?
La main de Fabrice se crispe nerveusement, secouée par des tremblements involontaires.
- Mais oui, t’sais, depuis qu’on a gagné à Les petits couples dans la plage ? T’sais, là où on s’est connus au départ et tout ? Même que c’est Arthur qui nous a mariés parce qu’il était aussi bourré que nous mais que lui il avait une licence et tout, t’sais à l’Amérique c’est pas compliqué de pouvoir faire un mariage et Arthur il a l’autorisation et tout et du coup il nous a mariés, t’sais ?
Fabrice tente en vain de contrôler le tic qui agite son sourcil droit. Plus il écoute cette Klariss, moins il en comprend. Il ne se souvient de rien. En creusant dans sa cervelle, il se rappelle que, quatre mois plus tôt, il était à une compétition amatrice de jeux vidéos, qu’il a lamentablement perdue par ailleurs. Il n’aurait pas oublié une participation à une émission de télé-réalité quand même, si ? Ou encore Klariss… Il la dévore d’un œil appréciateur. Non, une bimbo pareille ne s’oublie pas.
Elle gigote sous son regard, la mine faussement gênée.
- C’est bon tu te rappelles Amour ?
Non, il ne se souvient de rien du tout, mais si une fille aussi canon veut l’appeler amour, ou chaton, ou l’enlacer (ce qu’elle vient de faire), il n’a pas le droit de la contredire. Il sourit et hoche la tête. Klariss s’esclaffe, l’embrasse comme si elle voulait aspirer ses lèvres puis recule, se retourne et s’éloigne, roulant exagérément les hanches. Fabrice ne parvient pas s'obliger à les quitter des yeux. Le mouvement l’hypnotise.
Klariss jette un coup d'œil par-dessus son épaule alors qu’elle approche de la porte.
- Tu viens chaton ?
- Tout de suite… Amour.
Klariss éclate de rire une nouvelle fois.
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