Semaine 29 - Héros du dimanche

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- Bon, chuchote Rayan, on fait quoi ?

Les coups de feu ont éclaté un mardi à quinze heures, alors que ses amis et lui étaient en permanence. Ils ont sursauté, évidemment, et quelques uns ont même crié de frayeur. C’est Gabrielle qui a eu la bonne idée de fermer à clé la porte pour que personne ne puisse entrer. Elle a été vivement félicité pour cette réaction aussi rapide qu’intelligente.

Ils ne sont pas beaucoup, à peine une dizaine, pelotonnés sous les tables. De temps à autre, ils entendent des pas dans le couloir, et des ombres se glissent sous la porte. Des voix gravent donnent des ordres, parfois soulignées par de nouveaux coups de feu.

- Quelqu’un a des idées ? reprend le garçon.

Il est l’un des plus âgés, aussi cela lui paraît naturel de prendre la tête de leur petit groupe. Malgré la peur, c’est l’excitation qui le possède : ce qu’il est en train de vivre est bien mieux que les jeux vidéos ! Qui sait, ça se trouve, il va devenir célèbre. Il voit déjà les gros titres, “celui qui a sauvé ses camarades d’un duo de terroristes fous, une interview exclusive.” Comme cela sera agréable d’être admiré, d’être un héro !

Jeanne lève la main.

- On peut rester ici en espérant qu’ils n’entrent pas ? Si on fait pas de bruit ça ira non ?

Rayan fronce le nez. Pas très héroïque. Il veut plus. Dédaignant la proposition d’un geste présomptueux, il promène le regard sur le reste du groupe. Les uns après les autres, chacun donne son avis sur la question. Beaucoup pensent que rester immobile et silencieux serait la meilleure option, même si une fille téméraire opte pour une stratégie plus frontale : foncer dans le tas et les neutraliser. Il y aura forcément des blessés, explique-t-elle nonchalamment, peut-être même des morts, mais au moins après on en est débarrassés.

Rayan aime sa manière de penser. Il se frotte les mains, songeant aux différentes idées exposées. Aucune ne lui plaît. Où est l’héroïsme ? Son esprit est si embourbé par les jeux vidéos qu’il ne parvient pas à songer à autre chose. Il veut agir comme ses personnages, il veut accomplir quelque chose de grand, quelque chose qui fera se pâmer les filles, un truc qui fera dire aux adultes “waouh, ce garçon est incroyable”, et aucune des propositions ne le lui permet.

Enfin, un rayon de lumière parvient à son cerveau et son visage s’éclaire.

- Bon, voilà ce que l’on va faire.

Rayan expose alors son plan d’action. Il partira le premier, seul, courra vers les terroristes, armé d’une agrafeuse - tais-toi Gabrielle, c’est une arme redoutable une agrafeuse, ça fait super mal à la tête si tu t’en prends une - et les distrayera pour leur permettre de s’enfuir. Les protestations montent - franchement Rayan, tu ne peux pas aller te sacrifier comme ça ! Tu vas en mourir ! - mais le garçon fait la sourde oreille, prenant un air de martyre prêt à marcher vers sa fin.

Mathieu est discret dans son coin. Il n’a jamais aimé le bruit, et l’attaque l’angoisse. Quand il regarde ses camarades d’infortune, il lui semble même être le seul dans ce cas, comme si les autres ne comprenaient pas qu’ils se tenaient à quelques mètres à peine de la mort. Il écoute chaque plan avec attention, hallucinant toujours plus face à la bêtise avec lesquels ils sont concoctés. Comment fait-il pour être entouré par tant d’idiots ?

Ses yeux scrutent la pièce, espérant trouver un meilleur plan. L’idée qui lui vient est si évidente qu’il est surpris d’avoir été le seul à y penser. Sa main se dresse. Rayan lui accorde la parole, l’air visiblement ennuyé de devoir l’écouter. Tous les regards se tournent vers le garçon.

Mathieu déglutit avant de pointer le doigt vers la porte près du tableau.

- Et pourquoi on ne sortirait pas par là plutôt ?

- Oh.

Il secoue la tête : personne n’y a vraiment songé ? Le sous-sol est la hantise des nouveaux, souvent enfermés dans ses tunnels étroits et sombres comme bizutage, obligé de trouver leur chemin vers l’extérieur en tâtonnant.

- La cave ? s’exclame Gabrielle. Tu peux pas être sérieux, c’est flippant en bas.

Il est vrai que l’expérience est souvent traumatisante, mais si ce passage leur sauve la vie à tous, Mathieu se dit qu’il vaut mieux la revivre plutôt que de se lancer dans une mission suicide face à des armes à feu. Il argumente, tentant de convaincre ses camarades mais Rayan désapprouve profondément cette solution, qui ne lui permet aucun héroïsme.

- Sérieusement ? commence à s’irriter Mathieu, tu préfères une mort presque certaine à une sortie saine et sauve ?

Comprenant que la majorité des opinions de leurs camarades penchent vers son “adversaire”, Rayan soupire. L’autre se demande s’il va capituler, mais non, il se lance dans un argumentaire. Il roule les yeux. Quel idiot. Et lui-même, que fait-il encore ici, alors qu’il pourrait se sauver en les laissant face aux conséquences de leur bêtise ? C’est vrai ça d’ailleurs, pourquoi ?

Il serre les dents, l’esprit décidé.

- Si vous ne voulez pas aller dans le noir, tant pis pour votre cul, moi je pars par la cave. Si vous tenez la vie, je vous laisse me suivre.

Puis, il gagne à quatre pattes la porte menant au sous-sol, prenant gard à rester dans le point mort des fenêtres : il ne manquerait plus qu’un attaquant le voit à travers la vitre ! La poignée tourne sans rechigner, et le battant laisse lentement place au trou sombre. Mathieu déglutit difficilement, mais il ne recule pas. Après tout, l’autre option est une affrontation frontale avec des mecs armés. Pas vraiment un choix au final.

Il se glisse dans le trou, se redressant dès que l’obscurité l’a englouti. Une main attrape la sienne, le faisant sursauter.

- Ne me lâche pas, chuchote alors la voix de Gabrielle.

Il serre ses doigts, restant silencieux. Marchant à tâton, trébuchant souvent sur des obstacles qu’ils n’ont pas pu voir, ils traversent les dédales de couloirs qui se déploient sous l’établissement. Ils ne savent pas combien de temps passe avant qu’ils ne parviennent à l’extérieur, mais le soleil caressant leur face est des plus agréable.

Ils sont vite repérés par un groupe de policiers, qui les amènent en lieu sûr. Plus tard, ils apprirent que la plupart de leurs camarades avait fini par les suivre, mais que Rayan était resté dans la salle, trop fier - et idiot - pour fuir. Il a fini par sortir et par faire face aux assaillants, les effrayant. Pris par surprise, ils ont tiré.

Rayan a été la seule victime de l’attaque.

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