La peur des rousses
de Comicsboris
Joe avait toujours eu un faible pour les blondes. Deux ou trois filles à la tignasse plus sombre avaient peut-être transité par son lit mais pas plus. Il y en avait une dont il se souvenait encore, une rousse.
C'est sa mère qui lui avait inoculé cette peur des rousses. Une frayeur prétendument liée à une malédiction qui s'était abattu sur sa ville. Joe avait la conviction que cette malédiction était davantage une légende d'avinés locaux à même de tenir en haleine un troupeau de nigauds assoiffés de monstruosités en tout genre.
Une petite rousse paumée était arrivée en ville. Elle habitait dans un hôtel miteux. On racontait qu'elle vendait son corps pour survivre et que la plupart des hommes de la ville avait eu leur part. Mais la poisse s'en était mêlée et la rousse avait enfantée d'une espèce de monstre difforme qui avait fini par mourir dans des conditions atroces que les avinés détaillaient avec régal.
Quand il avait rencontré cette fille, cette rousse, la légende lui était revenue en tête et l'avait taraudé toute la nuit. Au point qu'il n’avait pas réussi à baiser, torturé par cette peur des rousses.
Sa mère était épouvantée à l'idée que son fiston lui fasse un monstre avec une rousse. Elle lui rabattait tellement les oreilles avec cette histoire qu'il semblait à Joe qu'elle ne savait plus rien dire d'autre. Comme une espèce de machine programmée qui finissait par se déglinguer avec l'âge et s'éteindrai un jour, usée. De tout de façon, pas de souci pour sa mère. Le toubib l'avait bien dit, les oreillons quand c'est mal traité, ça peut rendre stérile. Et c'était tombé sur lui.
*
Il lui relâcha lentement le cou. La grosse veine était toute gonflée mais on sentait bien que le cœur ne battait plus à l'intérieur. L'organe ne pompait plus rien. Betty avait les yeux exorbités. Joe était calme même s'il sentait la sueur lui perler sur les tempes.
La lumière de la petite lampe éclairait juste la table où elle reposait et le fauteuil où Betty était installée en train de lire. Le reste de la pièce restait plongée dans la pénombre.
Ce fut un jeu d'enfant. Betty ne sentit rien venir, juste le temps de la saisir au cou et de serrer le plus fort possible, en fermant les yeux. L'instant d'avaler sa salive et quand elle cracha son dernier souffle, il relâcha.
Raides, les mains de Betty laissèrent glisser le livre qui tomba à terre. En reculant, Joe marcha dessus. Il le ramassa, un coin était corné. Il le déposa sur la petite tablette dans le disque lumineux dessiné par la lampe.
Il extirpa de sa poche le papier froissé et l'enflamma avec un briquet. La lueur vive redonna vie quelques instants à la pièce. Les résultats du test de grossesse partaient en fumée. Positif. Enceinte. Avec lui, stérile. Cette garce lui avait joué un mauvais tour. Il avait cherché quel type avait pu lui faire cet enfant mais sans succès. Et puis après tout, peu importe, c'est elle qui s'était jouée de lui.
Entre ses doigts, il ne restait qu'un coin de la feuille qu'il jeta rapidement dans la corbeille. Elle avait bien pris soin de ne pas lui en parler. La semaine précédente, le papier était tombé par hasard d'un dossier rangé dans le bureau.
Normalement, il devait être en voyage pour quelques jours. Il était rentré discrètement par la porte de derrière. Il avait juste à faire de même pour s'en aller, prendre un peu d'argent, renverser quelques tiroirs et le tour serait joué, on croirait à un cambriolage ou quelque chose dans le genre. Enfin, il n'avait pas vraiment réfléchi, l'important était qu'on croit qu'il était en voyage.
Il prit l'argent dans le tiroir du buffet, bouscula quelques affaires, déplaça les meubles légers. Puis il se rendit dans la cuisine où il se passa un peu d'eau fraîche sur le visage, en prenant soin de ne pas laisser d’empreinte. Ensuite, se faufilant le couloir, il se dirigea jusqu'à la porte de derrière. Le téléphone se mit soudain à sonner - trois fois avant que le répondeur ne se mette en marche. La douce voix de Betty s'excusant de leur absence résonna dans tout le rez-de-chaussée avant qu'on entende le bip.
- C'est Lucy, engagea la voix.
Lucy était une amie de Betty. Elles avaient environ le même âge et se connaissaient déjà quand Joe avait rencontré sa femme. D'ailleurs, il avait longtemps été attiré par Lucy, mais sa chevelure rousse l'avait refroidi. Toujours cette peur, comme injectée dans son sang.
- Je pensais que tu étais revenue mais c'est pas grave, continua la voix. Je viendrais chercher les résultats des tests demain matin. Si tu savais comme je suis heureuse. Je te remercie encore. Tu m'as été d'un grand secours. Avec Jack au labo, tu penses bien que je ne pouvais pas donner les tests à mon nom. D'ailleurs, il m'a posé des questions à votre sujet. Il m'a dit qu'il croyait que Joe était stérile et qu'il ne comprenait pas comment c'était possible. J'ai fait l'innocente, tu penses bien. Enfin ... on reparle de ça demain. Quand j'y repense, c'était plutôt rigolo de voir Jack se triturer l'esprit avec toutes ses questions. Allez, Bye.
On entendit la tonalité puis à nouveau le bip et la cassette se rembobina.
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