Le Miroir Hérité
Sarah Blackwood poussa un soupir de frustration et jeta son pinceau sur la table, éclaboussant de peinture rouge la toile blanche qui la narguait depuis des heures. L'inspiration lui échappait, comme souvent ces derniers temps. Elle se leva de son tabouret, s'étirant pour dénouer ses muscles endoloris par des heures d'immobilité.
Son regard fut attiré, comme toujours, par le grand miroir qui trônait dans un coin de son atelier. Un cadeau de sa grand-mère Eleonor, décédée quelques mois plus tôt. Sarah s'en approcha, ses pieds nus faisant craquer le vieux parquet de la maison victorienne qu'elle avait également héritée.
"Qu'est-ce que tu caches ?" murmura-t-elle, effleurant du bout des doigts le cadre en bois sombre.
Le miroir semblait vibrer sous son toucher, mais Sarah mit cette sensation sur le compte de son imagination débordante. Elle observa son reflet : ses yeux verts cernés, héritage direct de sa lignée maternelle, ses cheveux noirs en bataille, les taches de peinture sur son t-shirt trop grand. Quelque chose dans son reflet la mettait mal à l'aise, comme si ce n'était pas tout à fait elle qui la regardait.
Suspendu à son cou, presque caché sous son t-shirt, le médaillon d'argent que sa grand-mère lui avait offert pour ses seize ans semblait plus lourd qu'à l'accoutumée. Sarah le sortit et l'examina distraitement. Les symboles gravés sur sa surface - des motifs qui ressemblaient à des vagues entrecroisées, entourant ce qui évoquait un œil stylisé - semblaient plus nets ce soir, presque lumineux dans la pénombre de l'atelier.
"Encore en train de te morfondre devant cette toile vide ?" La voix de Jack, son meilleur ami et voisin, la fit sursauter. Il se tenait dans l'encadrement de la porte, un sourire moqueur aux lèvres.
Sarah laissa retomber le médaillon contre sa poitrine. "Tu pourrais frapper, tu sais."
Jack haussa les épaules, entrant dans l'atelier avec l'aisance de quelqu'un qui s'y sentait chez lui. "J'ai frappé. Trois fois. Tu étais ailleurs, comme d'habitude."
Il s'approcha de la toile abandonnée, penchant la tête pour examiner les éclaboussures rouges. "Intéressant. Très... viscéral. Une nouvelle période expressionniste ?"
"Très drôle," répliqua Sarah, mais un sourire adoucissait son ton. Jack était l'une des rares constantes dans sa vie, surtout depuis la mort de sa grand-mère. À vingt-huit ans, il était à peine plus âgé qu'elle, mais sa sagesse tranquille en faisait souvent son confident.
Jack détourna son attention de la toile pour se concentrer sur le miroir. Son expression changea subtilement, passant de l'amusement à quelque chose de plus grave, plus méfiant.
"Je n'aime pas ce truc," dit-il en désignant le miroir. "Il a quelque chose... je ne sais pas. De malsain."
Sarah sentit un frisson parcourir son échine, mais elle s'efforça de le dissimuler sous un rire forcé. "C'est juste un vieux miroir, Jack. Vintage et un peu glauque, certes, mais juste un miroir."
"Hmm." Jack n'était clairement pas convaincu. "Et ces livres alors ? Ce sont aussi 'juste des livres' ?"
Il indiquait l'étagère où Sarah avait rangé la collection de sa grand-mère. Des grimoires anciens aux reliures de cuir usées côtoyaient des traités d'alchimie et des volumes d'occultisme. Sarah les avait à peine feuilletés, rebutée par les langues obscures dans lesquelles beaucoup étaient écrits.
"Des excentricités de Grand-mère," répondit Sarah avec un haussement d'épaules. "Tu sais comment elle était. Toujours à voir des présages et des symboles partout."
"Ta grand-mère était peut-être excentrique, mais elle n'était pas folle," dit doucement Jack. "Et ces livres... j'en ai feuilleté quelques-uns la dernière fois. Ils parlent de choses étranges, Sarah. De reflets qui prennent vie, d'entités qui existent de l'autre côté des miroirs..."
Un coup de tonnerre fit sursauter Sarah et illumina brièvement l'atelier. Elle n'avait pas remarqué que l'orage approchait, trop absorbée par sa peinture, puis par le miroir.
"Ce n'est pas très gentil de fouiller dans mes affaires," dit-elle, tentant de masquer son malaise grandissant. "Et depuis quand t'intéresses-tu à ce genre de choses, d'ailleurs ?"
Jack sembla sur le point de dire quelque chose d'important, mais se ravisa. "Depuis que je m'inquiète pour toi. Tu vis seule dans cette grande maison sinistre, entourée d'objets étranges et de livres inquiétants..."
"Je ne suis pas seule," protesta Sarah. "J'ai M. Whiskers."
Comme pour confirmer ses dires, un énorme chat Maine Coon noir et blanc entra dans la pièce, ses yeux jaunes scrutant Jack avec suspicion. M. Whiskers avait été le chat d'Eleonor, et comme la maison, il était revenu à Sarah.
"Un chat," dit Jack avec un sourire ironique. "Magnifique. Maintenant, tu corresponds parfaitement au stéréotype de la sorcière recluse."
Sarah lui donna un coup de coude joueur. "Idiot. Et je ne suis pas recluse. Je suis artiste. C'est différent."
Jack n'insista pas, mais son regard demeurait préoccupé. "Tu devrais venir dîner à la maison ce soir. Maman a fait son ragoût de bœuf, et tu sais qu'elle en fait toujours trop."
Sarah était tentée. La mère de Jack, Martha Foster, était une cuisinière exceptionnelle, et son ragoût était légendaire. Mais quelque chose la retenait, une étrange réticence à quitter la maison ce soir.
"Une autre fois, peut-être," répondit-elle. "J'ai vraiment besoin d'avancer sur cette commande pour la galerie."
Jack jeta un regard sceptique à la toile à peine entamée, mais n'insista pas. "Comme tu veux. Mais l'offre reste valable."
Après le départ de Jack, Sarah resta un moment immobile, écoutant le bruit de la pluie qui commençait à marteler les carreaux. L'orage approchait rapidement, apportant avec lui une atmosphère électrique qui faisait se dresser les poils sur ses bras.
Elle retourna à son chevalet, déterminée à tirer quelque chose de productif de cette soirée. Mais ses pensées dérivaient constamment vers le miroir, son reflet semblant l'observer du coin de l'œil.
Agacée par son manque de concentration, Sarah décida de prendre une douche et de se coucher tôt. Peut-être que l'inspiration lui reviendrait demain, après une bonne nuit de sommeil.
Dans la salle de bain attenante à sa chambre, elle se déshabilla et entra sous le jet d'eau chaude, laissant la vapeur l'envelopper. Le médaillon, qu'elle ne retirait jamais, même pour se doucher, pesait contre sa poitrine. Il avait été le dernier cadeau de sa grand-mère vivante, accompagné de paroles énigmatiques qu'elle n'avait jamais vraiment comprises :
"Porte-le toujours, Sarah. Il te protégera quand le moment viendra."
Elle avait mis ces mots sur le compte de la sénilité naissante d'Eleonor. Mais maintenant, dans cette maison pleine d'ombres et de secrets, ces paroles prenaient une dimension plus inquiétante.
Une fois séchée et vêtue d'un vieux t-shirt en guise de pyjama, Sarah s'assit sur son lit, un livre à la main. Mais au lieu du roman qu'elle lisait habituellement avant de dormir, elle avait pris un des grimoires de sa grand-mère. "Miroirs et Portails", indiquait le titre en lettres dorées fanées.
Elle l'ouvrit avec précaution, les pages craquant sous ses doigts. À sa grande surprise, bien que le texte semblât écrit dans une langue ancienne, certains passages lui paraissaient curieusement compréhensibles, comme si les mots se traduisaient d'eux-mêmes dans son esprit.
"Les miroirs ne sont pas de simples objets", lut-elle. "Ils sont des fenêtres vers un autre monde, un monde où réside le reflet sombre de chaque âme. Dans ce royaume inversé, tout ce qui est lumière ici est ombre là-bas, et tout ce qui est bon devient maléfique."
Sarah frissonna, mais continua sa lecture, fascinée malgré elle.
"Chaque être vivant possède un double dans le monde des reflets. Une entité qui partage son apparence mais est son opposé en essence. Ces doubles cherchent constamment à traverser le voile entre les mondes, à remplacer leurs originaux pour accéder à notre réalité."
Sa respiration s'accéléra. Les mots résonnaient en elle d'une manière inexplicable, comme s'ils réveillaient une connaissance enfouie.
"Seule la lignée des gardiens, porteurs du médaillon sacré, peut maintenir la barrière entre les mondes et empêcher l'invasion des reflets."
À cet instant précis, un éclair particulièrement violent illumina la chambre, immédiatement suivi d'un coup de tonnerre assourdissant. Les lumières vacillèrent, puis s'éteignirent, plongeant la maison dans l'obscurité.
"Génial," marmonna Sarah, cherchant à tâtons la lampe de poche qu'elle gardait dans sa table de nuit.
Le faisceau lumineux balaya la pièce, créant des ombres grotesques sur les murs. Sarah se dirigea vers la porte, comptant descendre vérifier le disjoncteur.
Mais alors qu'elle passait devant le miroir de sa chambre, quelque chose attira son attention. Son reflet... il y avait quelque chose d'étrange. Pendant une fraction de seconde, il lui avait semblé que son image avait bougé indépendamment d'elle, un sourire inquiétant étirant ses lèvres alors qu'elle-même ne souriait pas.
Sarah secoua la tête, mettant cette vision sur le compte de la fatigue et des histoires lugubres qu'elle venait de lire. "Tu deviens paranoïaque," se dit-elle à voix haute.
Elle descendit l'escalier, sa lampe projetant un cercle de lumière tremblotant devant elle. La maison semblait différente dans l'obscurité, les ombres plus profondes, les coins plus mystérieux. Sarah avait toujours aimé cette vieille demeure victorienne, même enfant, lorsqu'elle venait y passer ses vacances. Mais ce soir, pour la première fois, elle se sentait comme une intruse entre ces murs chargés d'histoire.
Le disjoncteur se trouvait dans un petit placard sous l'escalier. Sarah l'ouvrit et constata qu'effectivement, le courant avait sauté. Elle remit le disjoncteur principal en place, et les lumières se rallumèrent instantanément, chassant les ombres inquiétantes.
Rassurée, elle remonta dans sa chambre. Mais à mi-chemin dans l'escalier, elle s'arrêta net. Un bruit étrange venait de l'étage, comme un léger tintement de verre.
"M. Whiskers ?" appela-t-elle, sachant pertinemment que le chat dormait généralement sur le canapé du salon à cette heure.
Aucune réponse, bien sûr. Juste ce même tintement, à peine audible, mais définitivement réel.
Sarah reprit son ascension, plus lentement cette fois, tous ses sens en alerte. Le bruit venait de son atelier.
La porte était entrouverte, bien qu'elle fût certaine de l'avoir fermée. Une lumière bleutée en filtrait, dansant sur le mur du couloir.
"Il y a quelqu'un ?" demanda Sarah, sa voix plus assurée que son cœur battant la chamade.
Silence. Puis à nouveau ce tintement, comme des éclats de verre s'entrechoquant doucement.
Elle poussa la porte, se préparant mentalement à affronter un intrus. Mais l'atelier était vide. Ou du moins, vide de toute présence humaine.
Le grand miroir, en revanche, semblait avoir changé. Sa surface n'était plus lisse mais ondulait légèrement, comme de l'eau troublée par une brise légère. Et il émettait cette étrange lueur bleutée, pulsant doucement comme un cœur.
Sarah s'approcha, hypnotisée malgré sa terreur grandissante. Le médaillon à son cou s'était réchauffé, presque brûlant contre sa peau.
Dans le miroir, son reflet la fixait. Mais ce n'était pas vraiment elle. Ce visage qui lui ressemblait trait pour trait arborait une expression qu'elle savait ne pas porter – un sourire cruel, presque carnassier, et des yeux... des yeux d'un noir d'encre, sans blanc ni pupille.
"Enfin seules," dit le reflet, sa voix comme un écho déformé de celle de Sarah. "Tu as pris ton temps pour venir me voir."
Sarah recula, trébuchant presque sur un tabouret. "Qu'est-ce... qui es-tu ?"
Le reflet inclina la tête, une parodie de curiosité. "Je suis toi, Sarah. La partie de toi que tu as toujours niée, refoulée. Celle qui connaît ta véritable puissance, ton véritable héritage."
"Tu n'es pas réelle," balbutia Sarah, reculant encore. "Je suis en train de rêver, ou... ou de perdre l'esprit."
Le reflet rit, un son qui semblait venir de partout et de nulle part à la fois. "Oh, je suis bien réelle. Aussi réelle que toi. Plus réelle, peut-être, car je n'ai pas passé ma vie à fuir qui je suis vraiment."
Sarah jeta un regard vers la porte, calculant ses chances d'atteindre la sortie avant que... avant que quoi ? Que son reflet sorte du miroir ? C'était absurde, impossible.
"Ta grand-mère savait," continua le reflet, comme si elle lisait dans les pensées de Sarah. "Elle connaissait l'existence des doubles, des reflets. C'est pour ça qu'elle t'a légué cette maison, ce miroir, le médaillon. Elle espérait que tu découvrirais ton héritage à temps."
"Mon héritage ?" répéta Sarah, gagnant du temps tout en se rapprochant imperceptiblement de la porte. "Quel héritage ?"
Le reflet soupira, visiblement impatient. "Tu es une Blackwood, Sarah. Une lignée de gardiennes qui maintient la barrière entre nos mondes depuis des générations. Ton sang porte un pouvoir que tu n'as même pas commencé à comprendre."
Malgré sa peur, Sarah sentit une pointe de curiosité. Ces mots faisaient écho à ce qu'elle venait de lire dans le grimoire, à ces sensations étranges qu'elle éprouvait parfois, cette impression de potentiel inexploité.
"Et toi, alors ?" demanda-t-elle, cessant momentanément sa retraite. "Si je suis une gardienne, qu'est-ce que ça fait de toi ?"
Le sourire du reflet s'élargit, inhumain dans son extension. "Je suis ton opposé, ton négatif. Dans ton monde, les Blackwood sont des gardiennes qui maintiennent la séparation entre les réalités. Dans le mien, nous sommes celles qui cherchent à la briser. À réunir ce qui n'aurait jamais dû être séparé."
Un frisson glacé parcourut l'échine de Sarah. Quelque chose dans ces paroles résonnait profondément en elle, comme un souvenir enfoui tentant de remonter à la surface.
"Pourquoi maintenant ?" demanda-t-elle. "Pourquoi te montrer à moi ce soir ?"
"L'éclipse approche," répondit le reflet. "Dans trois nuits, la lune s'obscurcira et le voile entre nos mondes s'amincira. Ce sera ma chance... notre chance."
"Notre chance ?"
"De fusionner, bien sûr. De devenir ce que nous étions destinées à être : une entité complète, ni entièrement lumière ni entièrement ombre. Ensemble, nous pourrions ouvrir les portes entre les mondes, libérer tous les reflets prisonniers depuis des millénaires."
Sarah secoua vigoureusement la tête. "Tu es folle. Je ne t'aiderai jamais à faire... quoi que ce soit."
Le reflet éclata à nouveau de ce rire glaçant. "Tu n'auras pas le choix, Sarah. L'appel du sang est plus fort que ta peur. Tu reviendras me voir, encore et encore, attirée par ce miroir comme un papillon par la flamme. Et quand l'éclipse arrivera..."
Sa phrase resta en suspens, mais la menace était claire. Sarah en avait assez entendu. Elle tourna les talons et s'enfuit de l'atelier, claquant la porte derrière elle.
Dans sa chambre, elle ferma à double tour et poussa une commode devant l'entrée pour plus de sécurité. Son cœur battait si fort qu'il lui semblait que toute la maison pouvait l'entendre.
"Ce n'est pas réel," répétait-elle comme un mantra. "Ce n'est pas réel. C'est juste ton imagination, ou la fatigue, ou..."
Mais le médaillon contre sa poitrine demeurait chaud, vibrant légèrement comme en réponse à une énergie invisible. Et au fond d'elle-même, Sarah savait. Les mots du grimoire, les avertissements cryptiques de sa grand-mère, ce sentiment d'étrangeté qui la suivait depuis l'enfance... Tout prenait soudain un sens terrible et inéluctable auquel elle ne voulait pourtant pas croire.
Elle reprit le grimoire, déterminée à y trouver des réponses. Les pages semblaient maintenant s'ouvrir d'elles-mêmes aux passages les plus pertinents, comme guidées par une main invisible.
"Au moment de l'éclipse," lut-elle, "les portes entre les mondes s'ouvrent. Le gardien doit être vigilant, car c'est alors que les reflets sont les plus puissants, les plus dangereux."
Elle tourna la page, absorbant avidement chaque mot.
"Le médaillon est à la fois une protection et une clé. Il défend son porteur contre l'influence des reflets, mais peut aussi, entre les mains inappropriées, ouvrir un portail permanent entre les mondes."
Sarah toucha instinctivement le pendentif, comprenant maintenant son importance.
Une autre page mentionnait une défense possible :
"Si un gardien se trouve confronté à son reflet, le rituel du miroir brisé peut l'emprisonner à nouveau. Mais attention : briser un miroir ne détruit pas le reflet – cela peut le libérer si le rituel n'est pas correctement exécuté."
Le rituel était décrit dans les pages suivantes, complexe et exigeant. Sarah aurait besoin d'aide pour le comprendre pleinement, pour se préparer.
En attendant, elle devait essayer de dormir, de reprendre des forces. L'horloge sur sa table de nuit indiquait presque trois heures du matin.
Sarah s'allongea sans se déshabiller, le grimoire serré contre sa poitrine comme un bouclier. Dehors, l'orage s'était calmé, remplacé par une pluie fine et régulière qui tambourinait sur le toit.
Elle ferma les yeux, mais le sommeil semblait la fuir. Chaque fois qu'elle était sur le point de sombrer, le visage de son reflet apparaissait derrière ses paupières closes, ce sourire cruel et ces yeux noirs comme des puits sans fond.
Un souvenir s'imposa soudain à elle, avec une clarté qui la fit se redresser brusquement. Sa grand-mère, quelques semaines avant sa mort, lui parlant d'une tante dont elle n'avait jamais entendu parler auparavant.
"Ta grand-tante Evelyn était comme toi," avait dit Eleonor, son regard perdu dans le vague. "Sensible, talentueuse. Mais elle a fait un choix terrible, Sarah. Un choix qui a failli détruire notre famille. Promets-moi que quoi qu'il arrive, tu ne suivras jamais son exemple."
Sarah avait promis, sans vraiment comprendre de quoi parlait sa grand-mère. Mais maintenant, les pièces du puzzle commençaient à s'assembler. Evelyn avait dû être confrontée à son propre reflet, comme elle aujourd'hui. Et apparemment, elle avait fait le mauvais choix.
Le médaillon chauffa à nouveau contre sa peau, comme pour confirmer ses pensées. Sarah le serra dans sa main, puisant du réconfort dans sa chaleur familière.
"Je ne suivrai pas son exemple," murmura-t-elle dans l'obscurité de sa chambre. "Je suis plus forte que ça. Je dois l'être."
Avec cette résolution, elle se rallongea, fixant le plafond où dansaient les ombres projetées par la lumière des réverbères filtrant à travers les rideaux. Trois nuits avant l'éclipse. Trois nuits pour apprendre à être ce qu'elle était destinée à être : une gardienne Blackwood.
Le sommeil finit par la gagner, mais même dans ses rêves, elle sentait le regard de son double qui l'observait, attendant patiemment son heure. Une bataille se préparait, une bataille dont l'issue déterminerait non seulement son destin, mais peut-être celui du monde entier.
Dans un recoin de son esprit, une petite voix qu'elle ne reconnaissait pas – ou peut-être qu'elle refusait de reconnaître – murmurait que ce ne serait peut-être pas si terrible, après tout, de fusionner avec son reflet. De devenir complète, puissante. De libérer tous ces êtres emprisonnés de l'autre côté du miroir...
Sarah repoussa violemment cette pensée, la reconnaissant pour ce qu'elle était : une infiltration, une tentative d'influence. Son double avait déjà commencé son travail, cherchant à corrompre sa résolution avant même que la véritable bataille ne commence.
"Tu ne gagneras pas," murmura-t-elle dans son sommeil agité. "Jamais."
Et quelque part, dans le monde des reflets, son double souriait.
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