Le cachottier
- Ignis !
Une flamme sort de ma baguette et va embraser le bois de la cheminée. Il m'a fallu l'après-midi entier, mais je maitrise enfin le sortilège du feu !
- C'est suffisant pour aujourd'hui, déclare mon tuteur. La nuit va bientôt tomber. Demain, je vous enseignerai le sortilège de l'eau, mais en attendant, reposez vous.
- Oui, maitre.
- Je vais préparer le souper, dit-il en partant vers la cuisine.
Je me laisse tomber sur l'un des deux fauteuils, épuisée ! Je ne pensais pas que l'apprentissage de la sorcellerie pouvait être si fatiguant ! Une journée entière s'est écoulée et je n'ai appris que deux sortilèges. En pensant à la multitude d'autres sorts qui peuvent exister, je me dis que même une vie entière ne suffirait pas à tous les apprendre.
Cependant, je ne me décourage pas. J'ai l'opportunité exceptionnelle de découvrir et apprendre à maitriser la magie et je compte bien en profiter. Je ne sais pas ce que me réserve ma nouvelle vie auprès de cet homme, mais tout est mieux que l'orphelinat où je vivais et ses pestes de pensionnaires !
Il semble très indifférent à mon égard et ne m'offre aucune marque d'affection, mais il prend soin de moi et c'est l'essentiel. Il n'y a qu'une seule chose qui me tracasse : j'ai l'impression que James Corvus me cache des choses, et pas des moindres . . .
*
Je suis tranquillement assise dans la baignoire, les yeux fermés, pour profiter tranquillement de la sensation si agréable de l'eau chaude sur mon corps. Tout est calme dans la maison. En fait, mon maitre est absent ce matin et c'est pourquoi j'en profite pour me baigner. J'ignore où il peut bien être car quand je me suis réveillée, il était déjà parti et il n'a laissé aucun mot pour m'informer de son absence. C'est dommage, j'aurai bien voulu savoir où il est.
Je sors ma main de sous l'eau et constate alors que mes doigts sont déjà tous fripés. J'ai perdu la notion du temps, mais j'en déduis que cela doit faire un bon moment que je suis dans mon bain. Je ferai mieux d'en sortir.
Je me lève et quitte la baignoire. J'enveloppe mon corps ruisselant d'eau dans une serviette blanche et sors de la salle de bain pour me diriger vers ma chambre. J'ai à peine le temps de refermer la porte derrière moi qu'Azur vole dans ma direction pour se poser sur mon épaule. C'est sa façon à lui de m'accueillir. Constatant que je suis toute mouillée, il se met à lécher les gouttes d'eau qui perlent sur mes joues humides. Sa langue me chatouille et je ris :
- Ha ha ha ! Arrête, Azur ! Tu vas me couvrir de salive alors que je viens de me laver !
En disant ces mots, je repousse gentiment le museau de mon dragon de l'index. Au même moment, on toque à ma porte. Je me dépêche de dissimuler mon petit compagnon dans ma sacoche en cuir, avant de répondre :
- Oui ?
Aucune réponse. Intriguée, je m'approche de la porte et l'ouvre précautionneusement. Personne. Il y a juste un paquet, sur le plancher. Je me penche pour le ramasser et retourne dans ma chambre.
J'observe le paquet pendant quelques secondes, essayant de deviner ce qu'il peut bien contenir, avant de me décider à l'ouvrir. J'y découvre une longue robe verte aux manches noires, ainsi qu'une qu'une cape sombre, doublée de fourrure. Des bottes en cuir noir accompagnent ces vêtements simples, mais élégants et au tissu de bonne qualité. Je les trouve absolument charmants !
J'enfile donc la robe et les bottes, mais range la cape dans mon armoire, étant donné que je ne compte pas sortir pour l'instant. Je peigne ensuite mes longs cheveux blonds, que je laisse tomber jusqu'au bas de mon dos, comme à mon habitude.
Je quitte ma chambre et descends les escaliers pour rejoindre la salle de séjour. Mon tuteur y est assis dans un fauteuil, un livre entre les mains. Je le salue :
- Bonjour, maitre.
Ce dernier lève ses yeux noirs vers moi et m'observe de haut en bas pendant quelques secondes, avant de déclarer :
- Cette robe vous va beaucoup mieux que celle que vous portiez autrefois. D'ailleurs, j'aimerai que vous vous débarassiez de cette dernière. Je ne veux pas d'une telle horreur dans ma maison.
- Bien, maitre.
- Vos cheveux sont encore ruisselants d'eau. On ne vous a donc jamais appris à les sécher ? Vous allez abîmer mon plancher en le mouillant de la sorte !
Il sort sa baguette de sa longue robe noire et la pointe vers moi, en prononçant :
- Sit calor virgam meam excoquatur te !
Aussitôt, une sensation de chaleur m'envahit. Lorsqu'elle cesse, je porte la main à mes cheveux et constate qu'ils sont parfaitement secs. Je fais remarquer à mon tuteur :
- Voilà un sortilège bien pratique.
- Oui, et je vous l'enseignerai bientôt, mais pas aujourd'hui.
- Oui, vous avez dit hier que vous m'enseignerez le sortilège de l'eau, aujourd'hui.
- Effectivement. Il est indispensable de maitriser le sortilège de l'eau dès qu'on maitrise celui du feu.
- Je comprends.
- Alors sortez votre baguette et faites comme moi, dit-il en se levant.
Il dirige sa baguette vers un bol posé sur la table et prononce la formule, avec un geste un onduleux :
- Aqua !
Un jet d'eau sort de sa baguette et atterrit dans la récipient. Il se tourne vers moi :
- C'est à votre tour. N'oubliez pas de bien faire onduler votre main en prononçant distinctement la formule magique.
- Oui. Aqua ! dis-je en reproduisant le geste de mon maitre.
Un jet d'eau sort de ma baguette et finit de remplir le récipient. Enfin, un peu trop même puisqu'il déborde.
- Vous devez apprendre à contrôler la quantité que vous voulez faire sortir de votre baguette. C'est la précision qui vous manque.
- Et comment faire ?
- Il faut d'abord savoir très clairement ce que l'on veut. Dans votre cas, vous devez connaitre la quantité exacte d'eau que vous voulez produire. Ensuite, vous n'avez plus qu'à bien vous concentrer et vous entrainer jusqu'à maitriser ce sortilège à la perfection.
- Bien.
Je ferme les yeux et me concentre. Bon, imaginons que je ne veuille faire sortir qu'une seule goutte pour commencer. Je rouvre les yeux et lance le sort :
- Aqua !
Un jet d'eau entier sort de ma baguette. Raté !
- C'est votre geste qui n'est pas correct cette fois. Il doit être adapté à votre désir. Si vous ne voulez faire sortir qu'une petite quantité d'eau, il faut un petit mouvement calme. Recommencez.
Je ferme les yeux pour me concentrer, puis les rouvre et lance à nouveau le sortilège, en effectuant cette fois un plus petit geste. Une goutte d'eau sort de ma baguette et va s'écraser sur la table.
- Bon, dit mon maitre. Vous avez inondé ma table basse, mais au moins, vous maitrisez ce sortilège à présent. Cependant, ne vous méprenez pas : vous devrez encore vous entrainer régulièrement pour perfectionner votre maitrise et, surtout, c'est vous qui nettoyerez ce bazar.
- Oui, maitre.
- Bien. Passons au sortilège suivant. C'est aussi un sort de base qu'on apprend aux débutants. En fait, j'aurai dû vous l'apprendre juste après le sortilège de lévitation, mais je doutais que vous n'en ayez réellement besoin . . . Et puis, finalement, je me suis dit qu'il vous serait peut-être utile en d'autres circonstances donc je vais vous l'apprendre aujourd'hui.
- De quel sortilège s'agit-il ?
- Celui de la lumière. Regardez : Lux !
Aussitôt, le bout de sa baguette s'illumine. Je remarque :
- C'est comme une lampe de poche.
- Non, c'est beaucoup plus efficace car vous n'avez pas besoin de piles pour vous en servir. C'est pour cela que nous n'utilisons pas les lampes de poche dans le monde magique : nous avons bien mieux.
- Oui, c'est vrai.
- Bon, trêve de bavardage. Reproduisez donc ce sortilège.
- Oui. Lux !
Le bout de ma baguette s'illumine. Je souris, ravie ! C'est la première fois que je réussis un sortilège du premier coup !
- Je ne vois pas ce qui vous rend si heureuse. C'est un sortilège si facile que ç'aurait été une honte pour vous si vous ne l'aviez pas réussi du premier coup.
Mon sourire disparait pour laisser place à un visage consterné. On dirait que James Corvus prend un malin plaisir à gâcher mes moindres moments de joie. Je détourne donc la tête, vexée, puis lui demande :
- Pourquoi est-ce que vous vous doutiez que je n'aurai pas besoin de ce sortilège ?
- Tout simplement parce que ce sort a été inventé avant tout pour que les sorciers et les sorcières puissent s'éclairer sans problème dans l'obscurité. Or, il se trouve que vous êtes capable de voir dans le noir. Cependant, je vous l'enseigne quand même car il pourrait vous être utile autrement, qui sait ?
- Une minute ! Coment savez-vous que je peux voir dans le noir ?
- Je le sais, c'est tout. Je n'ai aucun compte à vous rendre alors cessez de m'interrogez et concentrez-vous plutôt sur ce que je vous dis.
Je ne réponds rien, comprenant qu'il ne me dira rien de plus, mais cette fois, au moins, j'en ai la certitude : James Corvus en sait beaucoup plus sur moi qu'il ne veut bien me le dire. Je suis même sûre qu'il en sait plus sur moi que moi-même.
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