4.Nuit sans sommeil
De retour chez moi, je jetai mes clés dans la coupelle de l'entrée.
- Chéri, c'est toi ?
Mon épouse était encore éveillée. Je répondis laconiquement en me dirigeant lestement vers la suite parentale. Je vins m'asseoir sur le lit conjugal pour l'embrasser et elle débuta son interrogatoire sur la soirée. Je restai très évasif en lui répondant que l'ambiance était sympa, comme toutes les années.
- Et le récital ? Les répétitions avec la petite Virginie ont-elles porté leurs fruits ?
- Virginie n'est pas venue, une autre élève d'Anna l'a remplacée…
- Ah bon ? Et ça s'est bien passé quand même ?
Je ne pouvais pas lui dire qu'Elsa dépassait de très loin la pauvre Virginie, qu'elle m'avait séduit, et pas seulement vocalement. La ritournelle de Bruel me trottait dans la tête :
" Si j'te disais
Mon amour que j'ai rien senti
Rien entendu de ces non-dits
Qu'à ces silences
J'ai pas souri
J'te mentirais
J'te mentirais "
On croit toujours que ces choses-là n'arrivent qu'aux autres. C'était notre tour. Alors, oui, je lui mentis. Pour nous, pour notre couple, parce qu'il n'y avait rien à dire, rien pour l'instant. Et surtout parce que je pensais ne jamais la revoir.
- La jeune fille a fait ce qu'elle a pu. Je pense qu'on a réussi à donner le change. Mais ce n'est pas Virginie…
Non, c'est sûr, je ne prenais aucun risque en encensant Virginie, elle n'avait que treize ans.
- Et comment se prénomme-t-elle ?
- Qui ça ?
- La remplaçante de Virginie...
- Elsa je crois. Mais ne t'inquiète pas, je pense que le public a apprécié.
Je me dévêtis avec nonchalance mais ne me couchai pas tout de suite. Je ne pouvais pas. Elsa occupait toutes mes pensées.
La voix de Valériane, un brin agacée par mes cents pas à travers la chambre, me ramena vite sur terre :
- J'ai un peu froid, tu veux bien me réchauffer…
- Ma pauvre chérie, répondis-je en posant ma main sur son front, tu dois avoir de la fièvre.
Elle enroula ses mains autour de mon cou mais je feignis de ne pas comprendre.
- Repose-toi, je vais te laisser dormir. Moi, je n'ai pas sommeil…
Valériane me tourna le dos. Evidemment que j'avais capté son message subliminal, même si elle était persuadée du contraire et s'en trouvait vexée. Mais je n'avais pas envie de lui faire l'amour, je ne voulais pas faire semblant. Non pas que je n'aurais su lui donner du plaisir ; pour cela, il aurait suffit que je songe à Elsa… Elsa et sa voix, son sourire, Elsa et sa sensualité, ses seins superbes, son c… Oui, c'était facile de l'imaginer nue et offerte, de la désirer, et l'effet recherché aurait été immédiat. Cela dit, je ne pouvais pas me résoudre à faire l'amour à ma femme en pensant à une autre ; c'était comme la tromper et je n'étais pas prêt pour ça. Pas encore…
Je quittai notre espace nuit, me dirigeai vers le salon et pris mon discman pour écouter un CD. Du Mozart pour oublier Lara, Bruel et tous les autres, pour oublier cette soirée, pour oublier cette femme qui me mettait dans tous mes états. Et puis, me plonger dans un bouquin, un bon polar bien noir. Mais je n'arrivais pas à entrer dans l'histoire. Je refermai le livre et m'allumai une cigarette. J'en fumai une dizaine coup sur coup, tandis que mon esprit errait pour se figer sur le corps d'Elsa, celui que j'imaginais nu dans des draps de soie.
La nuit me paraissait interminable. Je me sentais las, vidé de ma substance et incroyablement seul. J'aurais donné n'importe quoi pour me retrouver dans les bras de cette trop désirable adolescente. Elle devait sûrement dormir depuis longtemps, rêver peut-être, de moi ou de quelqu'un d'autre… En fait, il aurait sans doute mieux valu que tout s'arrête à cet instant ; parce qu'il était encore temps d'enrayer cette machine qui allait broyer mon existence.
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