9.Sixième sens
A la minute même où je franchissais le seuil de ma demeure, Valériane me tomba dessus.
- Ah, Patrick, enfin te voilà ! Je me suis fait un sang d'encre, où étais-tu passé ?
- Je ne me suis pas rendu compte de l'heure qu'il était…
- Je t'ai appelé sur ton portable mais tu n'as même pas décroché !
- Je l'avais mis en mode vibreur pendant mes cours, et comme il était dans ma veste sur le portemanteau…
- Quand je pense que les filles n'ont même pas pu te dire bonsoir avant d'aller au lit ! Je savais bien que tu n'aurais jamais dû accepter cette nouvelle élève. C'est son parfum cette odeur entêtante ?
- Probablement oui…
- Et on peut savoir ce qui t'a retenu aussi longtemps auprès d'elle au point que sa fragrance empeste tous tes vêtements ?
Face à mon inquisitrice de femme, j'étais dans l'impasse. Elle avait probablement deviné, même si je ne voulais pas le reconnaître. Il fallait donc que je nie tout en bloc, ou mieux, que je me dégage de cette inextricable situation par une pirouette verbale.
- Val, tu sais que je prépare mes élèves au festival "Les Instants de Noël", que l'école de musique organise chaque année. Je tiens à ce que chacun d'entre eux, même les plus novices ou les moins doués, y participent. En l'occurrence, la petite Elsa a beaucoup de difficultés, il faut que mon cours lui soit profitable pour qu'elle soit prête, et le temps passe très vite…
- Tu parles ! Et ce parfum sur ta chemise, tu m'expliques ?
- Elsa en a changé, peut-être pour faire plus adulte, plus femme. Tu sais, les adolescentes jouent parfois les séductrices. Elle s'en est littéralement aspergée, au point que cela soit presque incommodant, et comme nous étions l'un à côté de l'autre pour répéter le morceau que j'avais choisi, il est tout à fait possible que nos habits se soient frôlés…
Je ne croyais pas moi-même à mes justifications abracadabrantes, mais j'espérais qu'elles suffiraient à atténuer les doutes de mon épouse.
- Ecoute Patrick, toi et moi, on s'est toujours tout dit. Si tu avais une aventure avec cette fille, ou avec quelqu'un d'autre, tu me l'avouerais, n'est-ce pas ?
- Ma chérie, je ne vois vraiment pas pourquoi tu t'inquiètes autant. Elsa est plutôt jolie, c'est vrai, mais tu sais très bien que les midinettes, ce n'est pas mon truc et qu'il n'y a que toi dans ma vie...
Valériane n'était pas dupe, j'avais du mal à la regarder dans les yeux pour lui simuler cet amour que je ne lui portais plus. Pourtant, elle se résigna, même si son cœur d'épouse savait et saignait de tout le mal que je lui taisais. Elle aurait préféré la franchise, l'aveu de mon faux pas ; j'étais trop lâche pour cela, j'avais peur de tout perdre pour une aventure incertaine. Alors, je faisais semblant pour donner l'illusion que rien n'avait changé, pour sauver les apparences, pour l'épargner. J'étais naïf de penser qu'elle ne se rendrait compte de rien, les femmes ont ce sixième sens qui nous fait tant défaut et qui nous est bien souvent fatal…
"J'te mentirais,
Mais à qui d'autre pourrais-je le dire
Sans cette fois vraiment te trahir;
Le silence est parfois pire... " (1)
(1) : Paroles toujours extraites de la chanson de Bruel "J'te mentirais".
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