16.Assis dans la neige
Janvier 2004. Bientôt la reprise. Un ciel voilé ; ma plage fétiche déserte et enneigée. J'étais assis dans la neige, face à l'horizon, face à ma vie. J'aurais dû être émerveillé par ce spectacle hivernal unique, illuminé par un soleil brouillé. Cependant, mon attention était accaparée par la photo que je tenais entre mes mains. Le vent était froid, mais je ne sentais pas qu'il glaçait mes doigts. Je ne sentais plus rien, juste un grand vide intérieur. Je pleurais sans m'en rendre compte devant cette image du bonheur perdu, cette photo représentant un père complice avec ses deux filles. Avec mes deux filles. Je hurlais ma douleur comme jamais devant cette immensité gris-bleue ; j'étais seul au monde et j'exorcisais toute ma souffrance, des sanglots secouant tout mon être. Soudain, je sentis une main sur mon épaule :
- Patrick ? Ca va ?
Je ne m'étais pas rendu compte qu'il y avait quelqu'un d'autre sur la plage, sinon je n'aurais pas livré ainsi mon âme à nu. Je me retournai en essuyant mes larmes :
- Anna ? Tu es là depuis longtemps ?
- Suffisamment pour savoir que ce n'est pas le vent qui fait pleurer tes yeux...
- C'est con un mec qui chiale, non ?
- Moi, je trouve ça touchant de laisser sa carapace de mâle au vestiaire...
Anna s'assit à mes côtés. J'esquissai un bref sourire :
- Ouais, mais là, je me sens plus qu'à poil devant toi...
- On est amis, non ?
- Tu ne m'en veux plus pour « Les Instants de Noël » ?
- C'est du passé, Patrick... Dis-moi plutôt ce qui t'attriste autant ?
- Avec Valériane, c'est fini...
- C'est mieux comme ça, non?
- Mieux pour qui ? Pour elle ou pour moi ?
- Pour vous deux ; vous ne pouviez pas continuer comme ça...
- Toi évidemment, tu vas me dire que je l'ai bien cherché !
- Je ne te juge pas, Patrick, mais quand plus rien ne va, il vaut mieux se séparer avant que la haine ne s'installe...
Anna acheva à peine sa phrase avant de comprendre que pour Valériane et moi, nous avions déjà franchi cette étape sans retour en arrière possible. Elle le réalisa en voyant le cliché dans mes mains et la larme qui perlait sur ma joue :
- C'est Sarah et Morgane, c'est ça ? Val t'empêche de les voir ?
Je m'effondrai alors dans ses bras :
- C'est... C'est pire que ça, Anna ! Bien pire... Elles... elles ne veulent plus entendre parler de moi... Elles... Elles me détestent.
Anna compatit sincèrement :
- Je te comprends... Il n'y a rien de plus dur que ça dans la vie d'un homme. Tu sais, on paie toujours cash ses erreurs en amour. Seulement pour toi, les intérêts de retard se rappellent à ton bon souvenir et doublent la mise...
Sourire amer :
- Ouais, c'est comme un boomerang, ça te revient toujours en pleine face, acquiesçai-je en reniflant.
- Il te reste Elsa. Il n'y a plus d'obstacles entre vous.
- Que Dieu t'entende... Et toi, qu'est-ce que tu fous là par ce temps ?
- Ben, je promène Soprano !
Mon visage s'illumina face à ma bêtise. Englué dans mon chagrin, je n'avais même pas remarqué son chien terre-neuve.
- Tes histoires de coeur sont moins compliquées que les miennes... continuai-je.
- Détrompes-toi, j'aime un homme qui l'ignore.
- Vraiment ? Il est marié ?
- Non, plus vraiment, mais il est trop aveuglé par son amour pour une autre femme. Il ne me voit même pas...
- Quel imbécile, s'il savait la chance qu'il a !
- Je ne te le fais pas dire...
Nous restions un long moment assis dans la neige, l'un contre l'autre, sa tête sur mon épaule, face à l'océan. Soprano courait sur la plage et revenait de temps en temps nous rappeler que nous n'étions pas seuls dans notre mélancolie. Anna et moi n'avions pas besoin de nous parler pour nous comprendre, et pourtant, même à mots voilés, je ne la saisis pas... Je ne savais pas qu'elle était amoureuse de moi.
- Va la rejoindre, me souffla-t-elle.
C'était un sacrifice douloureux pour elle de me dire ce qu'elle voulait ne surtout pas me voir faire. Et j'étais à mille lieues de me l'imaginer.
- Pas ce soir, Elsa peut attendre. Je n'ai pas la tête à ça. Je préfère rester près de toi.
Je n'ai pas su lire tout l'espoir et l'amour que me livrait alors ses grands yeux de princesse de conte de fée. Moi l'être odieux et indifférent, le triste sire face à la douce colombe amourachée...
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