Chapitre 1 : R'yline
R'yline terminait de souligner le bleu de ses lèvres lorsque quelqu'un frappa à sa porte. Surprise, elle pivota la tête en direction de l'entrée ; les médaillons ornant sa longue chevelure tintèrent à la manière d'un carillon. On venait la chercher en avance. Le maître devait s'impatienter pour manquer à sa ponctualité maladive. Elle se hâta.
Dans son esprit défilait la chorégraphie qu'elle offrirait ce soir à la délégation des O'rocs, ces rustres représentants du Peuple de la Terre. Inconsciemment, son bras esquissa l'amorce du mouvement qu'elle répétait au même instant dans sa tête. Chaque geste devait être effectué à la perfection.
Aucune erreur ne serait tolérée.
Sa main se posa au-dessus de sa hanche. Son corps se souvenait. Elle préféra refouler dans son inconscient le souvenir du faux pas chèrement payé pour se focaliser sur le présent.
Son pas cadencé la raccrochait à l'immédiateté de l'évènement. R'yline se concentra sur la caresse de sa robe fluide semblable à l'ondulation de l'eau en mouvement, ses médaillons et bracelets résonnant tel le son cristallin de son élément.
La Naïadienne ouvrit la porte des loges, retrouvant avec délice l'effervescence de ses consœurs dans les ultimes préparatifs.
— R'yline, as-tu aperçu les invités ? demanda M'eline.
— La surprise offerte à nos hôtes est d'un enjeu capital pour notre souverain, il ne peut ainsi gâcher l'un de ses atouts, répondit-elle hautaine. Le maître a fait en sorte de me tenir à l'écart pour leur offrir l'effet d'émerveillement souhaité.
Sa cadette s'empourpra, soudain confuse, et s'empressa de répondre :
— Bien sûr, tu as raison. C'est qu'on...
— Vous bavassez et spéculez sur ces O'rocs. Mettez plutôt votre énergie à profit pour perfectionner votre danse.
— Tout de suite, R'yline.
Les bras croisés, la danseuse esquissa un léger sourire.
Pour que le souverain fasse appel à ses services, l'enjeu devait être de taille et cela seul comptait. Les autres Naïadiennes s'agitaient pour tenter de calmer leur nervosité, certaines l'observaient à la dérobée pour le plus grand plaisir de l'intéressée. Qu'elles l'envient donc !
Consciente de ses capacités, R'yline était sereine. Elle replaça sa robe blanche qui mettait en valeur sa peau bleu pâle puis s'approcha du miroir. La Naïadienne vérifia une ultime fois la précision de son maquillage afin de faire ressortir ses yeux topaze et s'assura qu'aucune mèche rebelle ne venait altérer sa beauté. Tout était à sa place. Pas un cheveu ne dépassait de ses quatre petites nattes qui se rejoignaient sur le haut de son crâne pour former un tressage élaboré le long de son dos. Le reste de sa chevelure soyeuse cascadait librement jusqu'au creux de ses reins.
Elle avait hâte de happer le regard de l'assemblée. Son rythme cardiaque accéléra, l'adrénaline affluait dans ses veines. Comme elle aimait s'enivrer des regards d'adoration des hommes ! Des yeux jaloux de leurs femmes et des autres danseuses !
Soudain, le signal fut donné, c'était au tour de sa troupe de divertir les convives.
R'yline prit quelques grandes respirations puis se plaça en tête du petit cortège. Il laissa dans son sillage le son harmonieux offert par leurs médaillons et bracelets. Ce tintement initiait l'envoûtement avant même leur apparition.
Des exclamations accompagnèrent leur entrée, puis un silence se propagea telle une onde sur toute l'assemblée. Quelques O'rocs bavaient déjà ostensiblement devant la beauté des danseuses. R'yline fut écœurée de cette absence de tenue qui ne faisait qu’accentuer la répugnance que leur aspect massif et grossier lui inspirait. Sans parler de leur peau granuleuse repoussante. Pourtant, elle était à la fois satisfaite d'attiser ainsi la convoitise, comme toujours, même sur des créatures aussi peu gracieuses que celles du Peuple de la Terre.
Avant même que les musiciens n'entament les premiers accords, des doigts pointèrent de plus en plus nombreux dans sa direction. Elle ne put s'empêcher un regard en biais vers T'lude dont les yeux s'embrasèrent de jalousie. Certes, sa consœur comptait parmi les plus belles créatures du Peuple des Eaux, mais, même elle faisait pâle figure à côté du galbe parfait d'R'yline.
Les premières notes de musique résonnèrent enfin dans la salle. Les danseuses ondulèrent dans une synchronisation millimétrée. Immédiatement, tous les spectateurs focalisèrent leur attention sur R'yline pour ne plus la quitter des yeux. Elle portait le même vêtement vaporeux que les autres danseuses, mais il prenait sur elle une autre dimension. Telle une araignée, elle se tenait au centre de son ouvrage de dentelles dont chaque invité se trouverait bientôt prisonnier, hypnotisé par sa grâce.
Sa danse était à la fois la pluie, frêle et légère ; la cascade, puissante et dominatrice. Ce mélange de force et de fragilité, qu'elle seule possédait, engluait irrémédiablement chaque homme dans sa toile.
Puis la danseuse se retrouva seule en scène. C'était son moment. Elle avait travaillé d'arrache-pied pour obtenir pareil privilège. Sentir les regards admiratifs et concupiscents la galvanisait. Elle était la perle dans l'écrin, convoitée de tous. Le retour de la troupe n'y changea rien, tous restaient obstinément fixés sur sa silhouette. La danseuse osa une œillade sur son roi. Il ne la quittait pas des yeux. La Naïadienne observa les O'rocs, l'avidité se lisait sur leurs visages. Elle sentit une joie indescriptible. Ce soir, ils se battraient pour elle. Ce soir, elle serait observée, choyée, désirée.
Une ombre fugace voila cependant son humeur. L'héritier au trône de la Contrée Cybeline était absorbé dans la lecture d'un épais ouvrage. Comment osait-il ? Personne ne lui résistait ! La danseuse reprit aussitôt le contrôle, nul ne devait apercevoir sa contrariété, cela ternirait sa sensualité. Elle se jura de le faire succomber.
Annotations
Versions