Chapitre 2 : L'héritier
Cette soirée avec ces rustres O'rocs était un calvaire. Kamal repensa à la conversation avec son père un peu plus tôt. Le roi était venu le trouver avant d'accueillir le Peuple de la Terre.
— Kamal, aujourd'hui je te veux à mes côtés. Tu observeras l'entretien avec les O'rocs puis tu m'accompagneras lors de la réception en l'honneur de nos invités.
— Père, nous avons encore du retard sur les comptes des Terres d'Osany. Suite à vos menaces, nous avons enfin reçu les derniers documents mais je n'ai pas eu le temps de les analyser. Il nous faut un bilan rapide de la situation afin d'ajuster les impôts pour le début du solemnum qui se rapproche à grands pas.
— Je reconnais ta compétence dans ce domaine mais nous disposons d'un conseil d'experts qui peut amplement suppléer ton absence ; un prince héritier, nous n'en avons qu'un. Malheureusement...
Le visage du souverain s'assombrit, ses poings se crispèrent. Le silence résonna lourdement dans la pièce avant que le roi ne reprenne la parole :
— Ton frère aurait dû occuper cette place. Mais l'héritier n'est plus, et tu sais ô combien cela m'afflige ! Ce n'est pas de gaieté de cœur que je te le demande mais ton statut l'exige.
Kamal se sentit vaciller, mais n'en montrât rien. Il devait faire front à cette bise désobligeante, humiliante même. Il n'avait jamais été proche de son frère, lui qui suivait avec rigueur le chemin tracé par son père. Sa mort ne l'avait donc que peu émue. Pourtant... Il regrettait les solaris où Kabor l'insultait à voix basse de plasidiae dégénéré, le faisant choir d'un pied bien placé juste devant le souverain. L'absence de railleries avait scellé son sort : il devait prendre la relève. Rien n'était pire à ses yeux. Le manteau royal n'était rien d'autre qu'un linceul condamnant l'héritier à une vie de sociabilité forcée, de minauderies mêlées d'une brutalité excessive qui lui donnaient la nausée. Kamal se forçât malgré tout à répondre :
— Je suis désolé, père, de ne pas être à la hauteur de Kabor. Je m'y évertue, je vous le garantis. Peut-être serait-il avisé d'envisager Kaphaël...
— Non ! C'est mon fils et je l'aime mais il est sot. Je préfère un homme instruit même s'il n'est pas à la hauteur de la tâche qui lui incombera qu'un idiot qui emmènera mon royaume à sa perte.
Ce fut au tour de Kamal de crisper les poings. Ses phalanges blanchirent pour contenir au mieux les insultes ouvertes de son géniteur. Comment pouvait-il être son père ? Ils avaient si peu en commun. Cela restait un mystère de déception pour le roi et une malédiction pour son fils.
Le prince devait rester dans les bonnes grâces de son protecteur et suzerain.
— Veuillez m'excuser père. Je...p persista-t-il.
— Il suffit ! J'ai encore assez à faire pour ne pas perdre mon temps en discussions stériles ! Tu es mon héritier et, toi comme moi, devons nous en accommoder. Je ne vais pas ressasser comme j'aurais préféré un aîné capable de diplomatie et qui sache profiter de la vie, bon sang ! Comment ai-je pu engendrer un enfant pareil ? Cela me dépassera toujours ! Nous vivrons tous deux avec les remords de ce qui aurait pu être si ton frère était encore en vie. De toute façon, je ne peux pas te renier alors tu tiendras ton rôle et moi le mien.
Une gifle. Ce fut l'effet de ces paroles sur le jeune Eflamme. Il s'était fait une raison depuis la fin de son enfance. Malgré cela, ces phrases assassines le blessaient toujours cruellement. Comment un père pouvait-il rejeter à ce point sa descendance ? Pourquoi ne pouvaient-ils se partager les rôles pour le bien du pays ?
Kamal ne le comprendrait jamais. Il avait appris à ses dépens à ne pas faire sortir de ses gonds le roi des Eflammes. Leur nature même d'Elémentaire de Feu les rendait particulièrement prompts à la colère, souvent rageuse et destructrice. Kamal avait toujours été à part, d'un tempérament trop posé pour un Eflamme. Il avait fini par s'en accommoder, même si petit, il avait cherché à forcer sa nature pour être le digne fils de son père. Seule la déception s'était toujours peinte sur les traits paternels. Quant à sa mère, elle était partie trop tôt. Heureusement, sa nourrice avait été là pour embellir cette enfance terne et solitaire.
Les livres étaient devenus son monde, les chiffres ses amis.
— Je serai au rendez-vous, concéda-t-il en s'inclinant avant de sortir de la pièce en direction de la bibliothèque.
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