Chapitre 4 : Kamal

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Le prince était nostalgique. Comme ces solemnums paisibles à administrer la comptabilité du royaume allaient lui manquer ! Son père le sollicitait déjà davantage pour ses entrevues politiques et ses déjeuners d’affaires. D’un ennui mortel pour le jeune Eflamme ! Et ce n’était que le début de son calvaire : une longue et interminable enfilade de solaris à côtoyer des personnes superficielles dont le principal intérêt était la comparaison de leurs egos surdimensionnés. Leurs seuls hobbies consistaient en un tableau de chasse de conquêtes dont ils s'empressaient de partager la couche, ou bien d’acquisitions matérielles ostentatoires toutes plus futiles les unes que les autres. En attendant, leur peuple se lamentait et l’administration détournait l’argent public au nez et à la barbe de ses dirigeants.

Pourquoi avait-il fallu voir mourir Kabor d'un stupide accident de cheval, pour projeter ainsi Kamal au rang d'héritier ? Le prince fulminait. Dans ces instants de colère sourde, il percevait le sang Eflamme qui parcourait ses veines. Un rien pouvait l’embraser, alors il se retirait loin du monde, dans la grande bibliothèque. Il exécrait ce tempérament fougueux que sa nature lui imposait. Le prince pouvait refaire l'histoire autant qu'il se torturait à se la remémorer, rien n'y changerait quoique ce soit. Il deviendrait roi et la honte de son père.

Le poids du déshonneur que sa simple présence imposait à son géniteur l'oppressait. Ses épaules s'affaissèrent sous l'effet de ce fardeau invisible. La colère s’était éteinte, balayée par le souffle de la déprime.

Pour couper court à ses idées noires et ne pas sombrer dans un vide abyssal, il repensa à la soirée. Le jeune Eflamme avait été étonné de voir son paternel refuser la Naïadienne au chef O'roc. Le contrat commercial était plus que favorable aux Eflammes, concéder une danseuse était peu de choses en comparaison. Bientôt, son peuple, ou plutôt leur souverain, deviendrait le fournisseur exclusif de minerai à flammes de leur plus important voisin.

Peut-être la beauté de cette demoiselle valait-elle un prix aussi démesuré ? Cela lui semblait peu probable. Comment faire passer une créature avant les chiffres ? Cette idée était hors de sa portée. Il devait y avoir un autre motif qui restait obstinément dans l’ombre.

En y repensant, Kamal se rendit compte qu'il n'avait même pas levé les yeux sur elle. Aurait-il compris alors la possessivité du roi à l'égard de cette Naïadienne ? Rien n'était moins sûr. Le prince voyait dans l'arithmétique, l'esthétique parfaite et dans les livres, la beauté absolue. Il n'avait jamais compris l'obsession des hommes à mettre dans leur couche les créatures les plus convoitées. Ce n'était que perte de temps, des chiffres en moins à aligner pour mettre en ordre le pays. Comme s’amusait à le considérer Kamal, son père s'occupait donc pour deux de partager ses nuits avec de nombreuses femmes. Lui, prenait la charge du roi afin que toute la comptabilité soit à jour.

Ils avaient beau être du même sang, son père et lui n'avait décidément rien en commun. Comment préférer le corps d'une femme aux phrases élégantes et sophistiquées du poète Ellanthus ?

L'avait-il mise dans sa couche ? Probablement. Son géniteur possédait un désir jamais assouvi envers la gente féminine et les plaisirs que ces dernières pouvaient offrir, consentantes ou même contraintes. Encore un point qui éloignait le roi de son héritier. Kamal n'avait jamais côtoyé une femme, bien qu'il soit d'usage pour un jeune Eflamme de la noblesse d'acquérir ses lettres en la matière vers son quatorzième printemps. Le prince était pour ainsi dire en retard, mais cela lui importait peu. Le regard des autres ne l'atteignait pas. Il avait pris le parti de délaisser ses pairs au profit des mots.

Le roi exigerait bientôt de le voir s'initier, cela ne faisait plus l’ombre d’un doute. Pour l'instant, aucune d'obligation, Kamal jouissait donc de la situation tant qu'elle durerait.

Le prince attrapa un livre au pied de son lit et s'immergea dans l'histoire de la dynastie précédente des Eflammes, période d'instabilité et de guerres intestines avant l'arrivée au pouvoir de son arrière-grand-père.

Petit à petit, ses pensées se délitèrent pour s'éparpiller aux quatre vents, et seul compta le plaisir de la lecture et la joie de la connaissance.

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