Chapitre 6 : Père et fils

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Un coup frappé à la porte tira Kamal de sa lecture.

— Oui.

Un homme en armure de cuir et gantelets métalliques entra.

— Prince, vous êtes attendu à l'entrevue des O'rocs, annonça le soldat.

— Merci Melghor.

L'homme ne bougea pas. Kamal souffla puis referma son livre avant de lui emboîter le pas. Le roi avait sans aucun doute donné ordre à Melghor de ne quitter la chambre qu’avec le prince. Combien de fois était-il arrivé trop longtemps après avoir été convoqué, reparti aussitôt dans ses lectures ? Et combien de fois le roi avait pesté, l’avait parfois molesté, ainsi que le garde ? Le souvenir des ecchymoses s'imposa. L'humeur de Kamal s'obscurcit. Puis les pensées négatives s’envolèrent au moment où Melghor prit la parole.

— Prince, avez-vous déjà lu le passage qui décrit la guerre de 333 ?

Kamal n'avait aucune envie de converser. L'ennui prit soudain la place laissée par la colère. Depuis des dizaines de solaris, ce garde s'évertuait à discuter ou peut-être à tenter de créer un lien. Kamal se fichait grandement des motivations de son interlocuteur. Tout ce qui importait, c'était sa tranquillité. Et cet Eflamme la lui refusait ! Quand allait-il baisser les bras ? Au bord de la lassitude, il s’en fallut d’un cheveu que Kamal ne lui envoie une réponse cinglante afin de retrouver sa bulle de silence, nécessaire avant toute entrevue avec son père. Malgré tout, l'héritier était impressionné par son obstination.

Devant les tentatives infructueuses de rompre la glace, Melghor replongea enfin dans le silence. Le passé refit alors surface, tandis qu’ils parcouraient les couloirs du palais au son de leur pas cadencé. À l'entrée dans l'adolescence et après une enfance solitaire, Kamal avait tenté de nouer des liens, mais l'objectif avoué ou non d'obtenir un profit d'une relation privilégié avec le prince l'avait écœuré. En définitive, il préférait les livres et la solitude aux faux-semblants.

Quel était le désir de Melghor ? Kamal n'en avait pas la moindre idée et cela lui importait peu. Il n’avait toujours reçu que trahison et mépris en retour. Depuis, Kamal ne cherchait plus et évitait simplement tout contact autant qu’il lui était possible.

— Sire.

Le garde s'inclina puis se dirigea à droite de la porte pour rejoindre son camarade en position de l’autre côté, dans une symétrie parfaite. Le battant s'ouvrit sur une grande salle de réunion où trônait une immense table rectangulaire en pierre grise, pourvue de fauteuils en bois molletonnés et recouverts de velours rouge. Le souverain se tenait debout, devant la cheminée, à l'extrémité de la table.

— Ahh, Kamal, tu es venu rapidement pour une fois... Tiens, je veux te montrer le document dont nous allons discuter séance tenante, enchaîna-t-il aussitôt.

Le prince attrapa les feuillets et lut sous l'œil critique de son père qui battait la mesure de son pied, perdant patience face au mutisme de son fils.

— Un point me questionne.

— Tu as toute mon attention mais je te prie d'être bref. Nos hôtes ne vont pas tarder.

— L'accord ne stipule à aucun moment de quantité minimum pour ce tarif préférentiel ni de durée contractuelle.

Le visage du souverain devint grave.

— Crois-tu que je n'ai pas essayé ?

Kamal hésita sur la conduite à tenir.

— Père, j'ai supposé que vous souhaitiez mettre à profit mes compétences en la matière.

— Tu te crois supérieur, tout à coup ?

— Non... Loin de moi...

— Assez ! Je voulais simplement valider ta compréhension des enjeux de ces pourparlers, me voilà renseigné : toujours à tatillonner. Ils m'ont donné un accord oral et c'est plus que suffisant. La diplomatie est un art où il va te falloir acquérir rapidement tes lettres de noblesse.

Pourquoi ces phrases méprisantes l'atteignaient-elles toujours autant qu'un coup d'estoc, voire davantage ? Les pensées rationnelles du jeune Eflamme ne pouvaient accéder au chemin tortueux des élans émotionnels qui affluaient et refluaient à son insu.

Une étincelle s'alluma, irrépressible besoin d'affirmation de soi face à cette condescendance. Mais elle fut vite soufflée par la peur, véritable orage tempêtant dans tout son corps. Son paternel lui avait toujours inspiré la terreur d'aussi loin que remontait sa mémoire, elle le dominait chaque fois qu'ils se trouvaient dans la même pièce. Le souverain semblait jouir de cette situation à sa guise.

Alors Kamal revisitait ses dernières lectures. Il visualisait une page, son contenu puis la tournait. Cela l'aidait à supporter ce jeu d'humiliations dont se délectait son père. Son doigt accompagnait sa lecture mentale telle une baguette battant la lente mesure de l'assimilation du savoir.

— Oui père, merci de votre patience.

Un sourire satisfait illumina les traits anguleux du souverain.

Soudain, des grognements accompagnés de bruits de pas se firent entendre dans le couloir.

— Bien, mon fils, observe et apprends.

Kamal répondit par un hochement de tête.

Une voix rauque et éraillée retentit au moment où le battant de la porte claquât dans l'air. Le chef O'Roc, vêtu d'un pantalon de cuir moulant et d'une tunique jaune vif, entra les bras largement ouverts et un sourire graveleux peint sur son visage grêlé. Il fut rapidement suivi de sept O'Rocs, moins massifs, mais tout aussi trapus.

— Mon ami ! Quelle belle réception hier soir. J'ai particulièrement apprécié le charme exotique de vos Naïadiennes, serait-il possible d'en faire mander au palais ? Votre prix sera le mien.

— Bien entendu, vous m'en voyez honoré.

— Et votre joyau, toujours indisponible ?

Les yeux du roi devinrent ceux d'un prédateur avant qu'un masque de bienséance ne vienne couvrir sa nature profonde. Seul Kamal nota ce fugace instant de spontanéité.

— Comment vous faire revenir si elle vous accompagne ? demanda le roi pour la forme. Et je suis vieux, avec l'âge il devient difficile de changer ses habitudes. Elle est une aide précieuse à la préparation de mes traités... un temps de relaxation est toujours bienvenu, pour poser les termes d'un contrat.

Accompagné d'un rire gras, le chef O'roc lui asséna une tape sonore sur l'épaule.

— Je comprends.

— Prenez place. Kamal, viens siéger à mes côtés.

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