Chapitre 14 - Une longue nuit
Kamal sentit ses épaules s'affaisser d'un coup au moment où la jeune Naïadienne accepta sa proposition. La pression exercée par son père était plus forte qu'il ne l'aurait cru. Il se devait de congédier la danseuse mais étrangement, il n'en ressentait aucunement l'envie. Son regard se posa sur l'ouvrage plaqué contre la danseuse.
— Je trouve votre choix judicieux, la plume d'Eskalielle est d'une finesse incroyable. Avez-vous déjà lu La quête des tréfonds ? offrit-il afin de prolonger ce moment.
La jeune femme plaça quelques mèches de cheveux derrière ses oreilles. Un joli bruit flotta un instant dans l'air.
— Non, je n'en ai pas eu l'occasion. Je...
Il la vit rougir. Le contraste avec sa peau azur évoqua au prince le soleil qui embrase le ciel avant de se coucher.
— Je vous écoute.
— Je n'ai appris à lire que très récemment.
Il aurait dû s'y attendre. Kamal se sentit idiot.
— Veuillez pardonner ma maladresse. Écoutez, lorsque vous aurez fini cet ouvrage, je trouverai le moyen de vous faire parvenir son premier livre. C'est l'un de mes romans préférés. Je suis curieux, où avez-vous appris à lire ?
Un silence plana. La Naïadienne tritura une mèche de cheveux.
— Je vous mets mal à l'aise, ajouta le prince tout en se grattant la nuque.
— Oh, non ! Je suis... Je n'ai pas l'habitude d'aborder ce sujet ou de converser avec un seigneur.
Un voile orageux se posa sur le regard du prince. Il savait son père porté sur la chose mais il pensait sottement qu'il ne se limitait pas à les mettre dans sa couche.
— Alors, nous sommes deux.
Kamal aperçut la surprise illuminer le regard azur un court moment avant de voir son visage se figer à nouveau dans une attitude convenue.
— Mon seigneur, puis-je vous demander ce que vous entendez par là ?
— Que je n'ai pas pour habitude de converser, cela m'ennuie. Souvent. Je préfère les livres et les chiffres.
Elle pouffa.
— Consternant pour un prince, n'est-il pas ?
Cette fois, la Naïadienne leva la tête et plongea ses yeux dans les siens. Son regard était un océan aux ondulations mouvantes, un sourire irradia sur ses traits fins.
— Non, charmant.
Une vague de chaleur parcourut Kamal des pieds jusqu'au sommet de son crâne.
— Asseyons-nous. Tenez, prenez le fauteuil face à moi.
Le prince était de plus en plus intrigué par cette danseuse qui répondait si peu à l'image superficielle et avide qu'il s'était rapidement forgée. La conversation était d'une étonnante facilité. Il n'était pas certain de se rappeler un solaris où cela avait pu être le cas avec qui que ce soit, hormis sa nourrice et sa famille bien entendu.
Leurs échanges se poursuivirent jusqu'à ce que les rayons rosés ne viennent créer un reflet lavande sur la peau de la Naïadienne. Cette dernière sursauta légèrement puis murmura :
— Je dois y aller. Votre père m'attend...pour...
— Oui, le compte-rendu de notre nuit ensemble.
Elle hocha la tête puis se leva dans un mouvement fluide.
— Puis-je corriger un oubli ? demanda Kamal en attrapant sa main alors qu'elle se dirigeait vers la porte.
Le doux tintement résonna lorsqu'elle se retourna.
— Bien entendu.
— Votre nom ?
Elle rit à nouveau.
— C'est vrai que nous avons parlé toute la nuit. Je suis R'yline.
— Et moi, Kamal.
Elle retint de nouveau un éclat de rire. Une envoûtante cape de chaleur enveloppa le prince alors que la danseuse quittait la pièce.
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