Chapitre 18 - Tourments
Une rage sourde le possédait. Kamal apercevait trop nettement les tentatives habiles d'R'yline pour masquer les traces laissées par le souverain. Il était persuadé que son père n'avait pas mis à jour leur subterfuge, sinon pourquoi l'aurait-il laissée à sa disposition pour les sept prochains solaris ? Pourquoi alors la battre ? Il se demandait si son imagination l'amenait à aggraver ce qu'elle avait dû vivre au cours de cette longue matinée ou s'il était en deçà des horreurs subies un peu plus tôt. Il avait entendu, lors de conversations et d'anecdotes alcoolisées, son père se vanter d'actes violents pour remettre un serviteur désobéissant à sa place, mais Kamal n'y avait prêté que peu d'attention. Ce n'était alors que la suite logique de la brutalité côtoyée durant son enfance : mots humiliants, coups dans le ventre et dédain permanent. D'un coup, ces bribes captées à la volée prenaient un tout autre sens.
Kamal fut pris d'un élan protecteur et il serra davantage la jeune femme. Le volcan s'éveillait soudain sous le feu de sa colère. L'étreinte ne l'apaisa pas, au contraire l'éruption menaçait d'exploser à tout instant. Cet état le déstabilisait. Le prince ne se rappelait avoir perdu le contrôle qu'à deux ou trois reprises au cours de sa vie. Il avait laissé la fureur à son père, préférant la tranquillité de l'érudit. Sûrement un moyen de se détacher de cette image paternelle dure et colérique.
Le corps soudain amorphe de R'yline le sortit de ses pensées. Il dut la soutenir pour éviter la chute. Kamal la traîna jusqu'à sa couche où il l’allongea. Il aperçut dans le regard topaze un mur de verre sur le point d’exploser, mais cela fut si fugace qu’il se demanda s’il ne s’agissait pas d’une vue de son esprit.
Il laissa ses yeux parcourir les traits harmonieux de la Nymphe. Cette femme exerçait sur lui un pouvoir étrange. Était-ce la raison pour laquelle son père se refusait à se séparer d’elle ? Peut-être ce pouvoir mettait-il le souverain dans une fureur incontrôlable, lui le dominateur et unique maître de toute chose ? Pourquoi ne pas la répudier alors ? Parce qu’elle était à ce point désirable…
Le prince se sentit tiraillé entre la compassion pour l’état de la jeune femme, la colère qui pulsait face à cette domination par la force, et la méfiance face aux intentions réelles de la créature. Après tout, que savait-il d’elle ? N’était-elle pas allée à la bibliothèque à dessein pour le rencontrer ? N’avait-elle pas trouvé âme charitable pour lui conter quelques faits littéraires afin d’obtenir les faveurs du prince ? Sa position d’héritier ne faisait plus aucun doute. Cette dernière offrait ainsi à ses potentiels amis et protégés une place de choix au sein du palais et plus largement au sein de tout le pays.
À mesure que le temps passait, Kamal sombrait davantage dans la confusion, constatant que, pour la première fois de sa vie, il était dans l’impossibilité de réfléchir. Cela le désarçonnait autant qu’il s’en trouvait irrité.
Ils restèrent ainsi longtemps. Immobiles et silencieux.
Soudain, R’yline attrapa la main de Kamal et la fit glisser sur sa joue. Le prince se raidit aussitôt. Elle était en définitive comme tous les autres. Cet élan de la veille n’avait été qu’une brève bulle illusoire qui venait d’éclater sous ses yeux. Elle voulait le séduire et par la même renforcer sa position.
— Merci, souffla-t-elle.
Il ne put empêcher le frisson de parcourir son corps sous l’effet combiné de la voix suave d’R’yline et de cette reconnaissance. Pourtant feinte, à n’en pas douter. Aussi, agrippa-t-il les doigts frêles pour les placer sur l’édredon avant de quitter la pièce.
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