— Quand mes parents m’ont vendue, peu après la fin de la guerre, j’avais douze printemps. Mon maître devait rentabiliser au plus vite son investissement. Il… Il m’a mise dans le lit d’un de ses fidèles clients : une vierge vaut son pesant d’or. Une vraie brute ! Il m’a pénétré sauvagement jusqu’à contentement puis m’a gardée sur sa couche jusqu’à ce qu’il me chevauche à nouveau. De toute les façons possibles. J’ai cru mourir. J’ai perdu mon innocence et mon enfance cette nuit-là.

Le corps de Kamal bougea de sa propre volonté pour envelopper la Naïadienne de ses bras, attirant sa tête contre son épaule musclée.

— Je suis tellement désolé ! Si mon père n’avait pas envahi vos terres ! S’il n’avait jamais existé ! Je… Il m’a convoqué, présenté la jeune Eflamme qui est venue directement sur moi. Je… Je n’ai pas su quoi faire. Tout s’est passé très vite. Sa bouche sur moi, les mouvements rythmés. Le regard autoritaire et amusé de mon père.

— Pourquoi ? demanda-t-elle dans un souffle.

— Pour faire de moi un homme. Une bête sauvage, plutôt ! éructa Kamal. Je le hais !

Il hésita. N’était-il pas allé trop loin ? Son père en avait fait pendre pour moins que ça. Elle était sa favorite après tout.

R’yline le repoussa en douceur, le regarda. Il la sonda en retour. Quelque chose en elle était différent. Il le sentait comme il sentait son Essence de feu à disposition ou un courant d’air sur sa peau.

Ses yeux étaient un monde qui l’appelait avec autant de force que les livres. Il n’avait qu’une envie : y plonger corps et âme pour ne faire qu’un avec elle. Était-ce cela, l’amour ?

Il s’interdit de raisonner davantage et posa ses mains sur les joues d'R'yline. Leurs visages se rapprochèrent lentement. Il se sentit flotter aux côtés de son âme. Puis le contact de ses lèvres. Doux et tiède. Il lui rappela le goût suave de la baie de joko, la douceur d'une pluie d'été, la faim dévorante de lecture des dernières pages d'un ouvrage inédit. Sa bouche en demandait encore. Elle y répondit avec un mélange d’empressement et de lenteur mêlés. Cet appétit à savourer chaque effleurement ne fit qu’accroître son désir. Il voulait à nouveau sentir le goût de ses lèvres. Pour la première fois de sa vie, il brûlait de sentir un corps pressé contre le sien, de figer cet instant dans l’éternité.

R'yline posa la main sur la nuque de son amant puis glissa jusqu’à ses cheveux en bataille qu’elle agrippa. Elle accentua la pression de leurs baisers. Les mains du jeune Eflamme descendirent le long du dos de la Naïadienne pour venir se nicher dans le creux de ses reins. Ses bras l'attirèrent contre lui, raffermissant le contact de leurs lèvres. Il n’avait jamais senti pareille urgence.

R’yline plaça soudain une jambe sur ses cuisses, ce qui l’électrisa aussitôt. Le traumatisme de sa première fois fut remisé aux oubliettes de son subconscient. Il profitait pleinement de ce moment charnel. R’yline donnait le tempo. Sa langue vint caresser la sienne avec une infinie douceur. Cet effleurement excita davantage le prince. Plus rien d'autre n'existait que cet instant, plus rien d'autre ne comptait qu'R'yline. Il voulait sentir tout son corps contre le sien et percevait l'envie réciproque de sa partenaire.

Kamal se surprit de la facilité de leur étreinte. Il ne réfléchissait plus. La Naïadienne posa une main sur sa cuisse pour remonter jusqu’à son entrejambe. Le prince sentit son corps réagir au toucher aventureux mais sa tête s'y refusait. Il s'immobilisa. Les doigts d'R'yline frottèrent le tissu en remontant jusqu'à la ceinture du jeune homme. Kamal agrippa les doigts de sa partenaire. Il recula légèrement et contempla le visage à la fois désireux et emplie de mélancolie de la danseuse. Elle agissait avec professionnalisme mais la douleur se terrait, voilée dans un coin de son âme.

Il n'était pas son père. Il ne voulait pas la posséder.

L’héritier se sentit soudain confus. Et si elle ne cherchait qu'à tirer profit de la situation ? Si tout ce qui lui importait était d'asseoir son statut auprès du fils et du père ? S’il se trompait ? Il avait senti le désir d'R'yline, mais n'était-ce qu'un mirage offert à chaque homme partageant sa couche ? Il voulait croire à un lien unique qui les unissait, mais son esprit redevenu actif le tempérait, le rendant méfiant. Après tout, depuis sa nourrice, il n'avait connu aucune autre relation désintéressée. Pourquoi cela changerait-il ?

Le prince se sentait tiraillé entre l'envie de l'embrasser à nouveau et le besoin impérieux de fuir. Retrouver sa logique et ses livres. Ramener le calme sur le tsunami d'émotions qui le traversaient. Mais l'idée de rompre tout contact le terrifiait. Il voulait encore sentir la douceur de sa peau, le goût aérien de ses lèvres.