Chapitre 45 - Libre choix
R’yline s’éveilla peu après L’oïse qui lui offrit un plateau garni de fruits frais, d’une infusion rosée et d’œufs brouillés saupoudrés d’une épice carmine. Kamal était absent. Certainement dans ses livres.
— Merci, dit L’Oïse en attrapant une baie de soko.
— De ?
— De m’avoir offert ce moment. C’était…
— Incroyable ?
— Plus que cela !
— Tu as raison !
Les deux amies rigolèrent.
— Ton homme est assez libéré. Tout en étant attentionné et prévenant. J’espère trouver pareil compagnon un jour !
— Si je te dis qu’il a partagé son lit pour la première fois il y quelques solaris seulement, le trouves-tu toujours aussi ouvert ?
— Non, tu rigoles ?!
— Je suis sérieuse. Et ça me plaît chez lui. Il est… différent de ceux que j’ai côtoyé dans…
Les mots ne sortaient plus. Où était passé son assurance ? Evaporée en même temps que son masque ? La sensation d’insécurité qui l’enveloppait la fit chanceler. Pourtant, elle devait s’y résoudre. C’était le prix à payer pour l’authenticité et la liberté. Il lui faudrait du temps, sans aucun doute.
— Je suis désolée que tu aies eu à vivre ça. Je t’ai mal jugé, tu sais. Je… suis désolée.
— Tu n’y es pour rien. Mais, merci.
Kamal arriva à cet instant. La mine grave qu’il affichait interpella tout de suite la favorite.
— L’Oïse, je…
— Je rentre chez moi. Passe déposer le plateau dans la cantine, s’il te plaît.
— Entendu.
R’yline articula ensuite du bout des lèvres un « merci » à l’attention de son amie. Puis elle se leva et s’approcha de son amant.
— Qu’y a-t-il ?
— Un sujet… difficile que nous devons aborder.
— Je t’écoute.
— J’ai demandé à voir le Conseil. Pour connaître leurs objectifs. Voir comment les faire concorder aux nôtres. Savoir la suite à donner à notre séjour ici.
— Oui, nous ne pouvons rester indéfiniment auprès d’eux, nous finirions par les mettre en danger.
— Ils le feront d’eux-mêmes.
— Que veux-tu dire ?
— Ils veulent assassiner mon père.
— Tu…
— Et je veux les y aider.
R’yline ne savait plus quoi dire. Tout s’entremêlait dans sa tête : l’idée d’une libération, la terreur de se confronter au roi, la peur de perdre Kamal, le besoin de s’insurger…
— J’ai une idée, reprit Kamal. Mais cela signifie te mettre en danger.
Il la regarda sans ciller, malgré le voile de tristesse qui recouvrait ses yeux.
— Je t’écoute.
— Il ne pourra céder à l’envie de venir te chercher s’il te sait capturée. Le besoin de te punir pour rappeler qui est le maître sera trop irrésistible. Bien entendu, l’idée est d’attaquer avant que cela ne se produise. Mais je ne cache pas que nous ne pouvons pas tout maîtriser, même si j’étudierais tous les scénarios possibles.
— J’accepte.
— Si facilement ?
— Quelle autre alternative ? Etre brûlée sur la place publique ? Redevenir sa… chose ?
Elle dut se stopper tant l’idée lui donna la nausée.
— Fuir toute ma vie ? Vivre avec cette menace permanente ? Et puis…
Kamal posa ses mains sur les frêles épaules, si solides en cet instant, et colla son front à celui d’R’yline.
— Et puis ?
— J’ai…
Une larme roula sur la joue bleue.
— J’ai vécu égoïstement si longtemps. Je ne dis pas que ma vie a été facile, mais je n’ai pensé qu’à assurer ma position et me mettre à l’abri. Au détriment des autres, souvent. Je veux… Je veux faire un choix différent. Tu m’as fait prendre conscience que je me fourvoyais.
— Je n’ai jamais rien dit de tel !
— Je sais, mais tu as montré l’exemple par ta gentillesse et ton dévouement pour ton peuple. Tu m’as fait passer avant ta propre sécurité. Je me veux à la hauteur de ce cadeau. Ne pas reproduire les mêmes erreurs.
Le prince embrassa chaque larme à mesure qu’elle s’écoulait sur le visage de sa bienaimée.
— Et toi, tu m’as donné le courage de m’opposer à mon père. J’ai peut-être veillé sur mon peuple, mais j’ai toléré les abus et la maltraitance. JE dois assumer mes responsabilités.
— Alors, nous le ferons ensemble.
Ils s’étreignirent avant de retourner auprès du Conseil pour transmettre le choix sans retour de la favorite.
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