Chapitre 55 - Une porte entre deux mondes

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L'attente la mit au supplice. Jamais R'yline n'avait désiré un homme à ce point et ce, sans y voir une élévation de son statut. Kamal lui offrait l'espoir et l'apaisement. Comment ne pas vouloir jouir d'un tel présent dans l'instant ? Pourtant, ses sentiments auraient été moins ardents s’il n’avait pris soin de ses gens. Il fallait se montrer patient.

Son coeur empli d'adoration s'y opposait, il réfutait la tempérance de la raison.

Cette dualité permanente l'éreintait, surtout dans l'état de vulnérabilité imputable aux récents évènements. Le temps s'étira, l'accablement s'accrut. Son sentiment de solitude aussi.

Lorsqu'elle put enfin retrouver son bienaimé, R'yline exultât un instant avant de constater l'état d'épuisement de Kamal. Elle le forçât aussitôt à s'allonger, partit chercher sa nourrice qui lui préparât une décoction revigorante tandis que la Naïadienne lui massait les tempes.

Elle sentit sous ses doigts les tensions s'envoler peu à peu, avant qu'il ne s'assoit pour siroter le breuvage fumant, tout en narrant ses exploits. Ses yeux s'animèrent malgré les cernes.

— J'ai réussi ! Notre pays est enfin doté d'une assemblée représentative. C'en est fini de la passation du pouvoir par héritage. Je ne vous raconte pas la tête des nobles lorsque je leur ai annoncé le décès brutal de leur souverain. Ils se sont offusqués brièvement avant de voir les opportunités offertes par la déchéance de mon tyran de père. Chacun a d'abord cherché à tirer parti de la situation. Vite envolée le scandale de sa mise à mort et la nécessité de réclamer vengeance ! Je les ai focalisés sur l'argent économiser à ne plus soumettre les Naïadiens, et les échanges commerciaux qui pourraient naître de leur indépendance. Sans parler de la reprise des tractations avec les Eoles, frileux depuis l'envahissement des Terres d'Osany. Ensuite, j'ai attaqué et exposé le changement de gouvernance. Il n'a pas été aisé d'obtenir les appuis nécessaires pour arriver à la promulgation de cette loi. Il a fallu officialiser mon couronnement, symbolique bien sûr, vu les délais. Puis le solaris entier pour rédiger l'édit qui sera affiché dans toutes les communes du pays pour informer le peuple de la nécessité d'un déplacement aux urnes dans quatre-vingt-neuf solaris, le temps d'organiser les élections. Ils ont des suées froides en pensant à la charge qui les attend. Ça ne va pas chômer au palais, je vous le garantis !

— Tu es donc à la tête du pays jusqu'à l'annonce du résultat des élections ? demanda Manielle.

— Non, j'ai... besoin de changer d'air. J'étouffe ici. J'ai donné les pleins pouvoirs aux trois familles les plus influentes, ainsi les décisions devront être faites à la majorité, pour limiter les prises d'intérêts personnels. Cela ne pourra pas tout prévenir mais, du moins, les faveurs concédées seront-elles limitées. D'autant que les Chelrvi et les Heugdo ont plus de points de divergences que de convergences.

— De ce que j'entends, il va falloir se dire au revoir, n'est-ce pas ?

— Oui. Nous viendrons vous voir avec R'yline, mais je ne me sens pas capable de rester dans la capitale. J'ai soumis la proposition de me voir attribué l'apanage de mon choix, le prix à payer pour ma destitution. Une petite île aménagée, près de la côte est.

Kamal se tourna vers R'yline.

— Je me rends compte que j'ai omis de te consulter, c'est venu pendant les discussions. Une envie soudaine. Je...

— C'est parfait ! la rassura la danseuse. Je n'aurai pas pu rester à la capitale, et le calme de la nature me fera le plus grand bien. Ai-je le temps de faire mes adieux à D'lyss ?

— Bien sûr ! Je tiens à ce que nous soyons bien installés, il va donc falloir un peu de temps pour préparer notre arrivée. Il y a une belle demeure en pierre, qui servait à mon grand-père lors de réceptions diplomatiques, mais elle n'a pas servi depuis longtemps, il faut donc vérifier l'état de la propriété et ce dont nous avons besoin pour y vivre confortablement.

Une idée traversa soudain R'yline qui s'entendit la prononcer à voix haute, sans même avoir pris le temps de l'étudier :

— Pourrions-nous y accueillir des orphelins ou des enfants qui ont, comme moi, été rejetés ou vendus par leur famille ?

— Je n'y avais pas pensé mais, après le temps passé auprès des enfants des rebelles, je trouve l'idée séduisante et stimulante ! s'enthousiasma Kamal, dont le sourire radieux illuminait la pièce.

— Cela ne fera pas une charge trop lourde, avec vos propres enfants ? s'inquiéta Manielle.

— Je... Je ne suis pas sûre de pouvoir enfanter. Je n'ai jamais été enceinte malgré...

— Je n'ai pas désir à être père, intervint Kamal. J'aurai trop peur de devenir comme le mien. M'occuper de ceux dont le sort n'a pas été favorable me plaît davantage. Enfin, si cela te convient ma fée des eaux.

R'yline rougit. Ce surnom l'émut et lui plut dans l'instant.

— Je n'ai jamais voulu être mère, avec mon métier. Mais je crois qu'il y a bien assez de malheureux à prendre sous notre aile avant d'imaginer fonder une famille. S'il est souhaitable de faire un choix, alors je réchaufferai le coeur de ces infortunés, avec toi.

Soudain, Kamal se prit la tête entre les mains, en gémissant.

— Que t'arrive-t-il ? s'inquiéta R'yline.

— Un mal de tête... puissant et... des étourdissements.

— Il faut te reposer, Kamal sinon tu vas y laisser ta santé, l'avertit Manielle.

— Je monte me coucher.

— Je t'accompagne, s'imposa la soigneuse, qui ne pouvait s'empêcher de couver son protégé.

Une fois seule, R'yline se repassa le fil de la discussion en boucle. Son esprit avait du mal à ingérer toutes les informations. La liberté pour son peuple ? La liberté pour elle-même ? Un projet de vie ? Et l'amour ? Finalement, un prince et une courtisane pouvait fonder un foyer commun. Ils pouvaient s'autoriser à s'aimer. La danseuse avait beau palper la réalité de la situation, une partie d'elle-même se refusait à croire à ce bonheur. Une roturière et un prince, un couple improbable. Et pourtant...

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