Joie
"La joie de vivre est la plus hypocrite façon de cacher sa peur de mourir."
Philippe Bouvard
La chaleur assommante de l’été s’imprégnée déjà dans les tôles des maisons alors qu’il était tout juste midi. Les maisons étant collés les unes aux autres, l’été rendait la vie très dure pour ceux qui vivaient à Oak Street, le quartier pauvre de Larose, en Louisiane. Ovide Hewett, un jeune homme de vingt-six ans, marchait d’un pas sûr et rapide à travers ces rues qu’il connaissait si bien. Ses yeux ronds et marrons paraissaient fatigués et son visage fin le mincissait. Il portait une petite barbe de trois jours et des cheveux noirs coupés court. Sa grande taille l’aurait rendu imposant s’il n’avait pas été aussi maigre. Habillé d’une chemise blanche trouée et jauni par le temps, d’un pantalon gris délavé et d’une vieille paire de bottes, il faisait peine à voir.
Ovide avait la peau noire. En ces temps, l’esclavage sévissait toujours et seul quelques personnes de couleur pouvaient se prétendre libre. Ovide était l’un de ceux-là. Bien qu’il vivait dans ce quartier miséreux où les gens de couleur avaient fini par se rassembler. Alors qu’il arrivait devant une vieille maison à la devanture délabré, il entra :
— C’est moi ! Je suis rentré, chérie.
Une jeune femme s’approcha de lui. Elle faisait une tête de moins qu’Ovide et avait les yeux bleus. Son visage, aussi fin que celui d’Ovide, était plutôt dans la moyenne. Ses longs cheveux bruns et ses habits paraissaient moins sales que ceux d’Ovide. Elle portait une petite robe rose, avec de petites bottes et elle pouvait exhiber fièrement un collier avec un pendentif en forme de renard, ainsi qu’une bague de fiançailles. Contrairement à Ovide, elle avait la peau blanche.
— Tu es rentré ! s’exclama-t-elle.
— Comment s’est passé ta journée ? demanda-t-il en lui faisant un baiser.
— Bien, j’ai révisé mes devoirs et j’ai fait le ménage.
— Comment te sens-tu pour ton examen ?
— Plutôt bien, je dois dire, je suis confiante, dit-elle en souriant.
— Ah, c’est génial ! Quand tu auras passé ton diplôme de médecin, nous pourrons enfin partir d’ici !
— Oui. Mais… Tu sais, Ovide, je ne sais pas si cela va changer quelque chose à notre situation. Les gens ont vraiment du mal à accepter que nous soyons…
— Ensemble ? coupa-t-il. Et alors ? C’est notre problème. J’étais déjà assez énervé lorsque tu as dû venir vivre ici à cause de ceux qui t’insultait à longueur de temps et qui dégradaient ton appartement, mais je ne les laisserais plus faire, je t’en fais la promesse. Cet endroit… Il n’est pas fait pour une aussi belle femme que toi.
— Oh… C’est mignon, dit-elle en l’embrassant. Bon, va te changer, je ne veux pas que mon père te voie dans cet accoutrement. Et va te laver !
— Oui madame… Mais… Avant, j’aimerais te parler, Marie.
— De quoi ? demanda la jeune femme.
— Tu es bien sûre que c’est ce que tu veux ? Je n’ai jamais vu ton père et s’il a des esclaves noirs, je ne suis pas sûr qu’il m’accepte.
— On en a déjà parlé des centaines de fois, Ovide, dit-elle en fronçant les sourcils. Je n’ai pas vue mon père depuis maintenant trois ans. Il sera heureux de te connaître, sois en certain. De toute façon, je ne lui laisse pas le choix. Il m’a dit que je pouvais me marier avec qui je le souhaite et je t’ai choisi, toi.
— Je ne crois pas qu’il imaginait que tu finirais avec un noir…
— Ovide ! cria Marie. Je vais m’énerver si tu continues.
Elle s’approcha de lui.
— Arrête de te faire du souci. Je t’aime. J’aurais pu tomber amoureuse de n’importe qui d’autre mais c’est toi que j’ai choisis, c’est toi que je veux. Personne d’autre. Je ne crois pas qu’il sera contre notre union, mais si mon père n’est pas capable de l’accepter, alors…
— Je ne veux pas que tu coupes les ponts avec ta famille. Mais, ne disons rien au sujet du mariage pour l’instant, s’il te plaît. Une chose à la fois.
Marie soupira et acquiesça. Ovide partit se laver pendant que Marie prépara sa valise. Ce moment, elle l’avait attendu depuis maintenant près d’un an. En effet, malgré qu’elle se soit installée avec Ovide, Marie souhaitait par-dessus tout renouer les liens avec son père, qui était sa seule famille, afin qu’il approuve leur union. Ses études pour devenir médecin l’avait contrainte à partir, et malgré les lettres qu’elle envoyait, elle ne recevait jamais de réponse. Seule sa dernière lettre en eut une, car elle annonçait son arrivée avec un homme.
Ils partirent en milieu d’après-midi pour la plantation du père de Marie, Harold. Elle se située à trois heures de diligence de Larose. Le voyage se passa relativement bien, et leurs paru très rapide. Ovide avait loué un moyen de locomotion pour l’occasion afin d’arriver avant la tombée de la nuit. À leur arrivé, en fin de journée, le jeune homme en prit plein les yeux ! La maison se situé au bout d’un long chemin, où des arbres étaient planté de chaque côtés. Une fois cette allée passer, la route faisait le tour d’une grande fontaine où l’on pouvait apercevoir une statue d’une femme portant une jarre. La maison, peinte entièrement en blanc, possédait un étage. Il y avait de nombreuses colonnes tout autour pour supporter le poids et pour faire office de décoration. De nombreuses fenêtres étaient dispersées, mais restée toujours symétriques. Sur la devanture, on pouvait compter huit colonnes : En partant de la gauche, entre la première et la deuxième, il y avait un petit chemin qui permettait de faire le tour de la propriété. Entre la deuxième et la quatrième, il y avait de grandes fenêtres. Entre la quatrième et la cinquième, on pouvait voir une grande porte double, dont les poignées dorées ressortaient. Entre la cinquième et la septième, il y avait de nouveau des fenêtres, puis une allée entre les deux dernières colonnes. Les volets étaient quant à eux, peints en vert. Devant l’entrée, Harold attendait avec quatre personnes de couleur. Habillé d’un costume blanc impeccable, et d’une cravate verte. Ses cheveux noirs coupés de façon parfaite ainsi que les rides de son visage montraient un homme à la cinquantaine bien passé. Ses yeux verts et sa moustache qui relevait de chaque côté, ne laissant paraître aucune émotion. À ses côtés, sur sa gauche, il y avait deux femmes habillées à l’identique : Une robe noire, ainsi qu’un tablier blanc avec des dentelles au niveau des épaules. Elles exhibaient en outre, un chouchou noir dans les cheveux. Sur la droite d’Harold, deux hommes se tenaient droit. Habillés de la même manière, ils portaient tous deux un costume et une cravate noire. Celui qui était le plus proche d’Harold avait aussi des lunettes et paraissait âgé. La diligence arriva, fit le tour de la fontaine et Marie sortie la première :
— Père ! Ça fait si longtemps ! Je suis heureuse de vous retrouver.
Le vieil homme ordonna aux trois autres d’aider à enlever les valises des deux amoureux et Harold s’approcha de sa fille en écartant les bras :
— Marie ! Je suis heureux moi aussi, dit-il en l’embrassant. J’ai hâte de voir à quoi ressemble l’homme que tu as ramené et de faire sa connaissance !
Il se tourna ensuite et s’avança vers la diligence :
— Sort mon garçon, ne soit pas timide !
Ovide mit un pied dehors et posa sa main sur la portière pour s’aider à sortir. Harold s’arrêta net. Il se tourna vers sa fille, qui lui sourit et lui fit signe de regarder dans la direction du jeune garçon. Le père se retourna donc et vit un homme noir. Il lui jeta un regard sombre et ajouta :
— Bienvenu... Marie ne m’avait pas dit que tu étais… Noir.
Ovide le regarda puis baissa la tête, gêné. Le vieux serviteur pesta et cracha au sol.
— Père ! En voilà des manières de recevoir un invité ! s’exclama Marie.
— Tu as raison, ma fille. Excuse-moi. Venez, je vais vous faire visiter.
— Oui… Merci, dit Ovide avec une petite voix.
Il suivit Harold, tout en regardant Marie. Il ne savait pas où se plaçait et cette remarque ne l’avait pas aidé à se sentir mieux. Harold leur montra la propriété :
— Nous possédons plus de trois milles hectares de terrain. Les champs tout autour de la propriété sont à moi. J’ai même racheté le marécage que vous avez dû voir, sur votre droite lorsque vous êtes arrivés. Il y a beaucoup de crocodiles, ça évite d’avoir des personnes qui s’échappent. Et vu que le reste du terrain est vaste, jamais personne n’a encore réussi à s’évader ! Pour le reste, nous avons la cuisine extérieure un peu plus loin, les écuries sont de l’autre côté de la maison et il y a une grange que l’on ne peut pas voir d’ici, pas très loin de la maison. Je vous interdis d’y aller. Vous pouvez aller où bon vous semble, mais n’allez pas à cette grange. Suis-je clair ?
— Oui, monsieur, dit Ovide.
— Oui, père, ajouta Maire. Ça a énormément évolué depuis que je suis partie ! La dernière fois, le terrain devait être deux fois plus petit.
— Oui, le commerce du coton se porte plutôt bien, malgré que ce soit très ennuyeux. Et puis, je me suis aussi diversifié…
— Ah bon ? Je ne le savais pas. Dans quoi ? demanda la jeune femme.
— Tu le sauras en temps voulu, ma fille, répondit-il avec un grand sourire. Bien, je vais vous présenter les gardes, ainsi que ceux qui s’occuperont de vous.
Derrière eux, les servants suivaient, sans dire un mot. Harold se tourna vers eux :
— Bien. Nous avons Adélaïde.
Une des deux jeunes femmes s’avança et se présenta. Son visage fin portait une cicatrice sur la joue droite.
— Monsieur.
— Je compte sur toi pour satisfaire tous les besoins de ma fille. Fais-en sorte qu’elle passe un bon séjour parmi nous.
— Oui, monsieur.
Elle fit deux pas en arrière et se remit dans le rang. Harold appela une autre personne :
— Alfred.
— Monsieur, dit un homme en s’avançant.
— Tu t’occuperas d’Ovide.
— Oui, monsieur, assura-t-il en se reculant.
— Joseph.
— Monsieur, répondit le deuxième homme, avec des lunettes.
— Voici Joseph. Marie, tu devrais te rappeler de lui.
— Bien sûr, répliqua-t-elle. Difficile de vous oublier, Joseph.
— Je suis bien content de vous revoir, madame.
— Joseph nous sert depuis sa plus tendre enfance. Il a servi mon père avant moi, et il continuera tant que ce domaine sera mien. Il est fidèle, et c’est tout ce que je demande. N’est-ce-pas, Joseph ?
— Oui, monsieur.
Il fit deux pas en arrière. Harold reprit la parole :
— Bien. Marie, viens avec moi, je souhaite te parler. Alfred, montre à Ovide où se trouve sa chambre.
— Oui, monsieur, répondit mécaniquement l’homme. Monsieur, si vous voulez bien me suivre…
Ovide regarda Harold, se demandant comment il avait pu connaitre son nom alors qu’il ne s’était même pas présenté. Marie lui fit un sourire, signe qu’il pouvait suivre le serviteur. Il se tourna vers Alfred et dit :
— Je vous suis.
Le servant marchait à une allure rapide. Ils entrèrent à l’intérieur de la maison : l’entrée était grande, et donné sur un escalier. Trois autres pièces étaient fermées. La décoration était plutôt chaleureuse et il y avait beaucoup de bougies allumées. L’homme commença à monter les escaliers et il passa par un long couloir qui les emmena vers l’arrière de la maison. Le serviteur lui indiqua une chambre et ouvrit la porte :
— Voici votre chambre, monsieur. Si vous avez besoin de quoique ce soit, je serais dans la chambre d’à côté. Si vous voulez voir, madame, veuillez me le signaler avant.
— Nous faisons chambre à part ?
— Oui, monsieur.
— Mais, comment cela se fait-il ?
— Il vous faut demander au maître, monsieur.
— Bien... Merci. dit Ovide en souriant
L’homme poussa soudainement la porte et s’adressa à voix basse à Ovide :
— Fuyez le plus vite possible avant qu’il ne soit trop tard, avant que…
Le servant arrêta de parler, et plongea ses yeux dans ceux d’Ovide, le suppliant du regard de bien vouloir l’écouter. Puis, d’un geste vif, il rouvrit la porte et sortit de la pièce. Alfred se stoppa brusquement devant Joseph, qui se contenta de sourire avant de repartir en sens inverse.
— Tout va bien ? demanda Ovide sur le pas de la porte.
— Ou… Oui, monsieur, répondit Alfred en se retournant.
Ovide vit la peur dans les yeux de l’homme, la sueur qui perlait alors sur son front. Le serviteur resta quelques secondes sans bouger, avant de lui souhaiter une bonne nuit puis de s’en aller. Ovide le laissa partir, sans rien dire.
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