Mensonge
“Mieux vaut une amère vérité qu’un doux mensonge.”
Proverbe russe
La joue rouge, Marie n’osait lever les yeux vers son père qui, dans une colère noire, l’avait frappé déjà à deux reprises. Alors qu’elle regardait ses pieds, elle sentit soudain un liquide chaud couler le long de son menton, tombant sur le sol. Voilà que je saigne… pensa-t-elle. Elle n’entendait plus ce que lui disait son père, trop occupé à espérer que quelqu’un vienne s’interposer. Mais il n’y avait personne. Elle était seule. Harold lui mis une troisième gifle :
— Tu m’écoutes ?! Pourquoi tu as fait ça ? Georges est une très bonne personne et tu n’auras pas d’autres chances avec lui ! Il est hors de question que ça se finisse ainsi ! Tu le reverras et tu lui présenteras tes excuses ! Tu n’avais pas le droit de le frapper comme tu l’as fait ! Et prie pour qu’il veuille encore de toi, jeune sotte !
La jeune fille laissa échapper un tout petit « non » presque inaudible.
— Que viens-tu de dire ?
— Non… répéta Marie.
— Non ? Tu oses me dire non ? À moi, ton père ?! Moi qui t’ai tout donné ? J’ai tout fait pour toi et tu oses me contredire ?
— Je ne veux pas de Georges ! C’est Ovide que j’aime et c’est pour ça que je l’ai emmené ici ! Pourquoi faites-vous cela ? Pourquoi ne voulez-vous pas mon bonheur ? Je pensais réellement que vous souhaitiez me voir heureuse…
— Je fais ça pour ton bien ! Ce nègre n’est pas fait pour toi ! Qu’il se trouve une personne comme lui et qu’il te laisse tranquille !
— Si vous refusez, je m’en vais ! Il est hors de question que l’on reste alors que vous ne voulez clairement pas de nous. Nous nous en irons ce soir.
Sur ces mots, Marie tourna les talons, des larmes commençaient à apparaître mais elle se retint afin de ne pas se montrer ainsi à son père. Pourquoi… Pourquoi est-il comme ça ? se demanda-t-elle. Alors qu’elle prit la poignée de la porte afin de l’ouvrir, son Harold mis sa main sur celle-ci, arrêtant net le mouvement de sa fille.
— Tu l’aimes vraiment alors, hein ?
— C’est ce que je me tue à vous répétez depuis que l’on est arrivés.
— Alors j’accepte de lui laisser une chance.
— Vous… Vraiment ?!
— Oui, dit-il en souriant. Mais à la condition qu’il m’écoute et fasse ce que je lui demande. Et j’aimerais clarifier une dernière chose avec lui avant que l’on commence. J’irais le voir tout à l’heure.
— Merci père ! s’écria Marie. Je sais que vous allez bien vous entendre tous les deux.
— Va te nettoyer, conclut son père.
Joseph entra alors dans la pièce, la laissant partir et fit un « oui » de la tête à son maître qui s’approcha de la fenêtre en souriant.
Ovide, assis sur un fauteuil un verre à la main, regardait les personnes autour de lui travailler. Il se plaisait dans cette situation mais ne pouvait s’empêcher d’être dégouté de lui-même, à aimer ça. Si je reste ici, je vais devenir comme tous ces blancs… pensa-t-il en souriant. À ses côtés, Benjamin attendait, les mains derrière le dos, que son maître lui ordonne une tâche. Malgré les tentatives d’Ovide pour engager la conversation, celui-ci ne répondait que par de très courtes phrases et allait toujours à l’essentiel.
— Et… Sinon, vous savez ce que nous aurons à manger ce soir ? demanda le jeune homme.
— Non, monsieur, répondit-il froidement.
— Ah… Et donc, cela fait longtemps que vous travaillez pour Harold ?
— Oui, monsieur.
Après un court instant, le jeune homme, toujours son verre à la main, reprit :
— Je pense que les choses seraient plus sympathiques si vous me répondiez avec autre chose qu’un « oui » ou un « non » …
— Je pense que les choses seraient plus sympathiques si vous arrêtiez de vouloir faire la conversation avec moi, monsieur. Je ne suis pas là pour ça.
— Oui, mais vous avez sûrement vécu beaucoup de choses, qui méritent d’être dites… J’aimerais apprendre à vous connaître un peu plus.
— Pour moi, la seule chose pire qu’un blanc qui prend du plaisir à nous faire du mal, c’est un noir, un frère, qui essaie de faire ami-ami avec eux. Vous n’êtes pas à votre place ici, pas plus que nous. Vous restez là, assis, comme eux. Vous ne valez pas mieux.
— Euh… Eh bien…
— Ovide ! Tu es là ! s’écria Harold. Je t’ai cherché partout ! Oh, je vois que tu prends tes aises, heureux de te voir ainsi !
— Excusez-moi, je ne voulais pas paraître impoli et le whisky était vraiment excellent.
— Ne t’en fais pas ! Tu as le droit d’en boire, tu es mon invité après tout. Voudras-tu venir avec moi ? Benjamin, restes ici et va aider les autres.
— Bien monsieur, répondit-il avant d’entrer dans la maison.
— Viens avec moi, Ovide, ajouta l’homme en souriant.
— Bien…
Le jeune garçon fixa son beau-père tout le trajet, se demandant ce qu’il pouvait bien lui vouloir et surtout pourquoi était-il devenu si convivial tout à coup. Ils traversèrent une grande partie de la propriété et croisèrent des dizaines de personnes jusqu’à arriver dans un endroit éloigné de tout. Une immense grange de couleur rouge et blanche se tenait devant eux. Harold ouvrit alors les deux portes et laissa Ovide entrer découvrant que l’intérieur était totalement vide. Au milieu de celle-ci, un homme était suspendu à plus de deux mètres du sol restait totalement inerte. Il s’approcha et découvrit avec horreur Alfred, le premier homme qui lui avait intimé de s’en aller. Le corps portait des écorchures de partout et les doigts étaient sectionnés. Certaines parties avait été brûlés et les yeux perçaient grouillés de vers. Harold ferma la porte derrière lui et s’approcha d’Ovide :
— Voilà désormais vingt-cinq ans que je dirige ce domaine. Vingt-cinq longues années où j’ai appris à diriger cet endroit de manière juste. Je suis sans nul doute dur avec tous ceux qui travaillent pour moi mais mes résultats sont là. Je fais toujours attention de qui je m’entoure et j’éloigne ceux qui pourraient me causer du tort. Malheureusement, il arrive que parmi ceux qui me sont les plus fidèles, certains cachent en réalité de sombres dessins. Tentatives de meurtres, fuites, vols… J’ai connus bien des crises mais je m’en suis toujours sorti. Cette maison, ce domaine, c’est tout ce que j’ai. Je le défendrais jusqu’à ma mort. Cela faisait bien longtemps que l’un de mes esclaves ne m’avait pas causé autant de tort. Te demander de fuir… Tsss, voilà qui est fâcheux. Ma fille tient à toi. Je ne comprends toujours pas pourquoi je dois dire, mais je lui ai promis de faire un effort et de te laisser une chance. Alors c’est ce que je vais faire.
— Pourquoi… Pourquoi me montrez-vous cet homme ? demanda Ovide horrifié.
— Pour que tu te rappelles qu’ici, c’est moi qui décide. Je suis le chef, le roi, le maître. Si tu t’opposes à moi, alors tu subiras le même sort. Mais si tu es prêt à prendre sur toi et à donner le maximum, alors je réfléchirais à votre demande. Elle tient énormément à moi et moi à elle. Alors, ne me déçois pas et tu ne la décevras pas non plus.
— Bi… Bien mon… Monsieur, bégaya Ovide pétrifié.
— Demain, toi et moi irons en ville. Je dois te montrer quelque chose. Si tu veux rester, alors je te conseil d’accepter et d’être devant la maison à huit heures demain matin.
— Oui. Je serais là.
— Parfait. Alors on fait comme ça, ajouta Harold en tendant sa main vers le jeune garçon.
— Oui monsieur, répondit-il en lui serrant la main.
Alors que le soleil brillait à l’horizon, prêt à disparaître, les différentes personnes qui vivaient dans le domaine commençaient lentement mais sûrement à revenir à la maison ou dans leurs différents appartements. Tout le monde s’afférait à tout remettre en état et à préparer les outils pour le lendemain matin. Ovide se baladait au milieu de tout ça, il n’avait pas vu Marie depuis que les invités étaient partis. Il arriva aux bords des marécages, sur le côté Est de la maison, et il contemplait les lieux : l’eau s’étendait à perte de vue, et beaucoup d’arbres et de plantes différentes semblaient coexister ici. Il s’approcha de l’eau et la regarda attentivement. Son reflet laissait paraître un homme plutôt triste. Il le savait, il devrait plutôt se réjouir de pouvoir rester ici et que son beau-père l’ait accepté… Du moins, qu’il lui laisse une chance. Il donna un coup de pied dans l’eau, comme pour enlever cette vision qu’il avait devant lui. En se remémorant la journée, il se demandait s’il devait vraiment être heureux. Harold le déteste, il ne fait aucun doute de cela. Son attitude et cette façon de l’avoir évincé auprès de Georges lui laissait penser que malgré tout, c’était sa couleur de peau qui lui causé tant de problème. Puis, il se remémora les paroles de cet homme, ce Benjamin. Pourquoi… ? Pourquoi avait-il été si cruel ? Il se sentait déjà mal à l’aise face à cette situation, devait-il en rajouter ? Doit-il seulement rester ? Seule Marie lui montre réellement de l’affection, et si tous les autres membres de sa famille étaient comme son beau-père ? Ses pensées s’embrouillaient les unes avec les autres et il n’eut le temps d’y penser plus longuement que Marie vint derrière lui. Elle s’asseya à ses côtés et Ovide ne réagit pas, trop occuper à chercher sa place et à se demander si tout ceci est réellement bon pour sa femme. Après tout, si son bonheur devait passé par leur rupture, ne devrait-il pas s’en aller ? Serait-elle plus heureuse sans lui ?
— À quoi penses-tu chéri ? demanda-t-elle.
— Rien… Où étais-tu passée ? Je t’ai cherché partout. Qu’est-ce que tu as au visage ?
— Excuse-moi… dit-elle en baissant la tête. Mon père… Est-il venu te voir ?
— Oui, comment le sais-tu ? Qui t’as fait ça, Marie ?
— Je le lui ai demandé. Il n’est pas totalement pour avoir un gendre noir, tu sais…
— C’est lui qui t’a frappé ?!
— Oui. Mais c’était nécessaire. Crois-moi.
— Quoi ? Comment tu peux dire une telle chose ?
— Ne t’en fais pas. Et ne lui dit rien s’il te plaît. Qu’a-t-il dit ?
— Il ne s’en tirera pas comme ça ! Il m’a dit qu’il m’emmènerait en ville demain. Je ne sais pas trop ce qu’il veut qu’on y fasse.
— Ah c’est bien ! Il faut que tu en profites pour lui montrer que tu n’es pas celui qu’il croit, je veux qu’il te voie comme je te vois moi ! Et ne lui dit rien, ça ne ferait que créer des problèmes. Si demain c’est concluant, alors tout ça n’aura pas été vain.
— Cela ne va pas être facile, il…
— Il ?
— Non rien, conclut Ovide pensant qu’il valait mieux éviter de donner trop de détails. Je vais faire tout ce que je peux pour qu’il m’accepte, j’espère que tu le sais.
— Oui, je le sais et je te remercie de faire tant d’effort, c’est très important pour moi d’avoir son accord et sa bénédiction. Il est la seule famille qu’il me reste avec ma tante et même si elle n’est pas là, je veux que mon père comprenne que je suis heureuse avec toi. Je sais qu’il est parfois un peu virulent mais je l’aime, il a toujours été là pour moi, tu comprends ?
— Ne t’en fais pas. Demain, je vais tout faire pour qu’il sache que je ne laisserais pas tomber si facilement et qu’il devra se contenter de moi comme gendre qu’il le veuille ou non ! ajouta Ovide en souriant.
Marie lui rendit son sourire et tout deux s’embrassèrent. Joseph, au loin, les regardait faire et il cracha au sol après avoir grimacer. Il retourna dans la maison et claqua la porte.
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