Chapitre 15 : Négocier la libération (1/2)

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Amathane s’interdisait de prendre ses aises dans ces lieux, dusse-t-elle s’y éterniser.

L’idée devint lutte lorsqu’elle reposait sur un lit bigarré. Là ses jambes caressaient la fine couverture moelleuse épousant la courbure prononcée de son matelas. Malgré sa grande taille, elle pouvait s’y détendre pleinement, et humer l’air frais issu des interstices. Jamais de puissantes rafales ne s’engouffraient à travers le mur bistre d’aspect poreux, rendant son sommeil d’autant plus confortable.

Mais elle restait dans une cage. Que des coraux la décorassent et que les barreaux étincelassent d’argent n’y changeait rien.

Allées et venues successives des gardes représentaient ses uniques opportunités de divertissement. Sauf que ces derniers arboraient des revêtements métalliques sur leur joue en permanence, aussi la captive n’apparaissait guère à la périphérie de leur vision. Parfois, Amathane les sollicitait à répétition, s’appuyant sur les barreaux de sa cellule. L’ambré de ses iris eut beau transpercer sur sa figure lisse et juvénile, ses boucles de même couleur s’étaient asséchées, et réduisaient ainsi toutes ses tentatives. Ses ennemis ne lui daignèrent pas un coup d’œil en traversant le couloir. Ses adversaires marchaient solennellement, leurs mains enroulées sur le manche de leur lance en bois clair, leurs bottes cliquetant sur le dallage en faïence.

Amathane ruminait alors dans son coin. Ébauchait d’irréalisables échappatoires avant de se morfondre, appelant son bien-aimé, maudissant le responsable ainsi que sa génitrice. Chaque beau discours mourrait dans sa gorgée, condamnés à demeurer esquisses. Au moins ne goûtait-elle pas à la pénombre, car les éclats dansaient de part et d’autre de la prison. Leur chuintement était une mélodie, leur scintillement un rythme.

Semaines après semaines, la détenue se sentait s’alourdir. Comme si le confort ne suffisait plus, comme si la fraîcheur de l’atmosphère se dissipait. D’abord négligeable, la redondance l’agaça tellement que le temps perdait de sa valeur. Elle était esseulée dans un inconnu que la durée n’accoutumait pas.

Mais quand une figure familière se dessina sous ses yeux médusés, des regrets l’envahirent sur-le-champ.

— Bonjour, cheffe des gardes ! fit Amathane entre ses râles.

Peu de place était laissé à l’ambiguïté face à tant d’hostilité. Quoique de taille inférieure à Amathane, à l’instar de la plupart des gardes, la meneuse jouissait d’une musculature contrastant avec la sveltesse de cette dernière. Nul parmi ses subordonnés ne portait la lance et le cuir rapiécé de son plastron et de son haubert. Outre ses jambières serties de gemmes jaunâtres, ainsi que les ossements suspendus à son baudrier, les boucles d’oreille et collier en corindon lui seyaient. Quelques vertes tresses dépassaient de son casque, qu’elle ajustait de temps à autre, sans oublier de toiser la prisonnière.

— Tu t’adresseras à moi correctement, décréta-t-elle d’une voix glaciale. Khavarat Tuvec, protectrice du Sewerti, seconde épouse de la reine Cluneï la sixième, guerrière renommée à la volonté inébranlable, impitoyable force qui…

Remarquant qu’Amathane se bouchait les oreilles, Khavarat frappa un barreau de sa lance. Aussitôt un pénible grincement assaillit les tympans de la collectionneuse qui fut rejetée en arrière. Le lit eut beau amortir sa chute, les rires répétées de la garde achevèrent de la turlupiner.

— Ton immaturité me surprend encore, dit Khavarat.

— Est-ce de l’immaturité que de rejeter les conventions et les dogmes ? rétorqua Amathane.

— Ton séjour ici aurait dû te rafraîchir l’esprit. Pourquoi déblatères-tu encore autant de fadaises ?

— Oh, c’était censé être une torture ? Le confort de ma cellule raconte une tout autre histoire. Les seuls moments affreux sont quand je goûte votre fade cuisine.

— Quelle vision étriquée de la gastronomie. Typique d’une ryusdalaise, incapable d’apprécier un mets s’il n’est pas surchargé d’épices. Ici, la saveur provient des ingrédients.

— Voilà une bien pathétique excuse.

— Par ton insolence, tu insultes désormais notre cuisinier et notre pêcheuse royaux ?

Khavarat pinça son front plissé, s’épargnant cette âpre vision. Tôt ou tard, elle devait cependant fixer la garde, à qui elle ne dédia que condescendance. Plus Amathane s’amusait de cette situation et plus le sentiment s’exacerbait.

— À quoi rime cette joute verbale ? provoqua-t-elle. Lors de notre première rencontre, tu laissais sous-entendre que je serais condamnée à des travaux forcés.

— Un châtiment approprié pour une criminelle dans ton genre, répondit Khavarat, feignant la placidité. Hélas, entre nous, Cluneï ne possède pas mon pragmatisme. Elle préfère aborder la situation avec plus de nuance, pour reprendre ses propres mots.

— Quelqu’un de raisonnable ? J’étais partie pour la détester, au vu de sa position. Elle me plait mieux que les armures sur pattes que j’ai croisées jusqu’à présent, finalement.

— Ha, tu aggraves ton cas sans que je puisse intervenir ! Bien, assez tergiversé. Nous vivons vraiment en des temps exceptionnels, car notre valeureuse souveraine t’accorde une audience. Pour une scélérate comme toi, il s’agit d’un privilège.

Amathane n’en crut pas ses yeux. Aucune ironie ne semblait s’insinuer dans les traits de Khavarat, qui prononçait chaque mot avec sérieux et assiduité. Sans laisser à la captive le temps de réagir, la garde inséra la clé dans la cellule, et l’ouvrit d’un geste diligent. L’acquiescement devint injonction face à la collectionneuse déboussolée.

— Elle va enfin rendre le verdict ? demanda cette dernière. Une peine de durée bien déterminée ? Voire même une libération immédiate, comme je le mérite ?

— Cluneï s’exprimera bien mieux que j’en suis capable, déclara Khavarat.

— Et je suis libre de mes mouvements ? J’aurais imaginé des menottes, ou au moins des liens.

— Ce serait faiblesse de ma part. Je ne te crains pas, Amathane.

— Une arrogance prenant des formes de générosité. À défaut d’être sympathique, tu es intéressante, Khavarat Tuvec.

— Le silence est préférable, merci. Maintenant, aussi patiente soit notre reine, il faut encore la mériter. Ceci dit, hors de question que tu te présentes à elle dans cette tenue. Nous allons rectifier cela.

À brûle-pourpoint, Khavarat emmena la captive hors de sa cellule, vers une pièce exigüe où couturiers et lavandiers professaient. Bien qu’Amathane fût criblée de regards, on lui accorda la faveur de se vêtir en dehors de toute présence. Elle dut enfiler un pourpoint mordoré en satin aux manches trop courtes, si serré que ses mouvements en devenaient restreints. Des broderies criardes sur sa tenue la firent grimacer par surcroît, surtout quand Khavarat s’esclaffa.

La garde escorta alors la prisonnière avec promptitude. Par-delà des escaliers en colimaçon se déployait le reste du palais, que Amathane découvrit bouche bée.

Elle marcha le long de couloirs sinueux, çà et là composés de mosaïques, autrement d’une tapisserie lestée de parures. Des rayons iridescents frappaient en permanence à cause des immenses vitres que récuraient moult laveurs, toutefois atténués par le vent marin se faufilant entre failles et ouvertures. Soit ces fenêtres donnaient sur des bassins d’un bleu éclatant, soit sur des plages de sable blanc. Dans les deux cas, des arbres résineux surmontaient des fontaines turquins, encadrées d’arches qui s’enchâssaient entre des coraux. Se forma un tableau qu’Amathane admira avec joie, en dépit du parfum salé, n’étaient les coups de coude que lui assénaient Khavarat.

Malgré ces repères, la collectionneuse finit déboussolée dans cet édifice aux allures labyrinthiques. Des dizaines de pièces se succédèrent sans qu’elle sût proprement distinguer les étages. Cuisiniers, charpentiers, artistes et aristocrates peuplaient ou maintenaient l’état des lieux, leur insouciance transparaissant quelle que fût leur occupation. À sa surprise y figuraient de nombreux humains.

Khavarat cornaqua Amathane jusqu’à une plateforme bâtie en fezura. D’une simple pression sur une brique, elle s’illumina de flux et s’éleva sur un grondement, les transportant sur une vingtaine de mètres.

Les hauteurs vertigineuses impactèrent d’autant plus la collectionneuse qu’elle les apercevait sans ambiguïté, entre des carreaux teintés et munis d’épais châssis. Des dalles ivoirines s’illuminaient par endroits, et finirent de désorienter Amathane qui parcourut la salle avec l’estomac noué. Elle croisa davantage de gardes que dans n’importe quelle autre partie du palais, pourtant ils la calculèrent à peine. Ils savouraient de l’asgurel et jus de fruit autour de tables en albâtre. Ils se distrayaient sur des jeux de plateaux et de cartes depuis le confort de leur fauteuil.

D’abord, Amathane tenta de repérer son jeu favori, le puragyon, figurait parmi leur liste. Mais elle s’y focalisa tant qu’elle faillit trébucher sur la première marche. Khavarat se gaussa derechef, avant de lui attraper l’oreille et de pointer un doigt assuré droit devant elles.

— Tu as l’honneur de rencontrer notre reine, déclara-t-elle. Puisque tu n’es pas familière avec notre système, suis ces simples instructions : fixe-la droit dans les yeux et ne te détourne que si elle t’y autorise.

Un éclair d’hésitation la fendit, mais quand la figure s’érigea face à ses yeux ébahis, Amathane n’eut d’autres choix que de s’exécuter.

Elle était installée sur un trône en verre, dont le dossier incurvé était ornementé de gemmes. Elle était assise sur une paire d’épais coussins, ses mains appuyées sur les larges accoudoirs, ses chaussures pointues en cuir reposant sur un tabouret pareillement rembourré. Même affalée sur son siège, Cluneï sonda Amathane avec une telle insistance que cette dernière en grinça des dents. Une robe azurée, sertie de rubis entre ses fils ambrés, soulignait sa gracilité. Une couronne triangulaire coiffait sa tête aux courtes mèches noires, bordant ses oreilles et ses joues incrustées de perles. Elle avait remonté ses manches ouvragées pour laisser entrevoir ses bracelets en puntarelle. Mais ce qui figea la collectionneuse était son visage ovale au nez pointu. Tantôt elle arborait une expression de marbre, tantôt un éclat guilleret se glissait entre ses jugements ostensibles.

Il lui fut impossible de respecter ses engagements. Dès que Khavarat se dressa entre elle et la monarque, elle embrassa longuement Cluneï, puis lui déposa un baiser sur chacune de ses joues. Même lorsque la dirigeante réapparut dans sa vision, Amathane ne put s’empêcher de regarder à sa gauche.

Le ludram à la complexion grise jurait parmi l’ensemble des tegaras et des humains alentour. Il portait un pourpoint similaire à Amathane, ce qu’il ne manqua pas de remarquer, quoique plus ample et complété d’une cape anthracite. Il avait noué ses mèches argentées pour mieux sa figure anguleuse, dotée d’iris carminés et d’une barbe hirsute. Plus grand que la reine, il était de similaire carrure, et rayonnait d’une aura presque égale.

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