Chapitre 18 : Hors d'atteinte (2/3)

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Guère une surprise, même si des anicroches ont quelque peu ralenti leur progression.

Des meilleures circonstances m’auraient amené à mieux apprécier cette situation. Des mois d’insupportable blocage, et voici que le brillant parlementaire Guvinor Heï Velham, à peine arrivé, a accompli d’importants progrès en si peu de temps.

C’était son destin de se rapprocher de moi. Quant aux autres, nous verrons ce que l’avenir le leur réserve. Tout ce dont je suis persuadé, c’est que la rencontre inévitable doit se produire de manière imminente. Académiciens, aventuriers et autres « collectionneurs » foulent déjà ces terres, désireux d’appréhender ne fût-ce qu’un fragment de leur signification. Il serait absurde de ma part de m’enfoncer dans cette quête de solitude lorsque notre dénommée « archipel » a perdu de son ancestralité.

Toujours est-il que cet échange doit s’effectuer avec organisation et sagesse. J’aimerais que mes observations soient erronées, hélas je dois me rendre à l’évidence : ludrams et humains, quel que soit leur niveau de développement, ont cette fâcheuse tendance à lever armes et sortilèges quand les conditions tournent à leur désavantage. Ces parlementaires prétendent être les garants de la paix ? Ils s’estiment représenter la civilisation la plus avancée qui ait jamais existé sur cette planète ?

Vous ne connaissez tellement rien à votre histoire. Pire encore : dans votre outrecuidance, vous l’avez délibérément cachée. Craigniez-vous de faire face aux contradictions de votre idéologie ? Voilà pourquoi il est indispensable que quelqu’un de sage et éclairé supervise ces interactions. Que ces passages aient été écrits ou non, nous sommes tous conscients de ce qu’il peut advenir au moment où la réalité ne se conforme pas aux désirs des plus dangereux d’entre nous.

En quelque sorte, Nasparian a émergé en conséquence de vos échecs. Celui que d’aucuns décrient comme responsable, de catastrophes passées et à venir… Guvinor, tu réaliseras bientôt qu’il y davantage de potentiel en toi que d’être le frère du déchu. Nasparian n’a jamais été la réponse et ne le sera jamais. Toi, en revanche… Il faut te modeler à cette fin.


*****


— Guvinor a une question très pertinente à te poser, rapporta Muznarie à Nasrik.

— J’imagine qu’on a le temps d’en discuter, répondit la concernée, haussant les épaules en parfaite stabilité sur sa monture.

— Ça l’a trituré depuis que nous sommes partis du village, voire même avant ! Alors, Guvinor sait pertinemment que certains terekas sont allés à Menistas, d’autres bien plus au nord. Mais si ses estimations sont correctes, il reste plus de cent milles des vôtres vivant dans un seul hameau ! Et malgré sa grande taille, ça reste étonnant, non ? Compte tenu du nombre de cités que nous avons survolées… Surtout que votre hameau se situe à quelques jours de marche à peine de la forêt de Sinze, d’où nous venons !

Nasrik soupira, ce qui inquiéta Kavel, mais elle l’apaisa aussitôt.

— Je devais bien m’exprimer à ce sujet tôt ou tard, se résigna-t-elle. Et je m’excuse déjà de ne pas pouvoir vous révéler toute la vérité maintenant. Déjà, nous n’avons pas fait de recensement exact, mais je suis certaine que nous sommes moins de cent milles. Beaucoup des nôtres se sont mis à explorer nos anciens territoires, désireux de s’y reconnecter.

— Nous allons peut-être donc les rencontrer ? envisagea Muznarie.

— Peut-être. Et peut-être même que d’en bas, ils pourraient trouver leur inspiration à nous voir voyager à dos de krizacles. Mais je vous dois une réponse plus précise… Il est plus facile pour nous de vivre dans un village d’allure insignifiante. Un endroit d’apparence sans histoire, depuis lequel nous pouvons reconsidérer nos ruines et édifices.

— Était-ce là que vous viviez avant votre stase ? Après tout, les volcans ne sont pas tellement éloignés !

— Une fraction d’entre nous seulement. Même s’il est vrai que l’emplacement de notre hameau était stratégique, à cet égard.

— Intéressant ! Je m’en vais de ce pas le rapporter à nos compagnons. Puisque j’imagine que l’autre raison ne peut pas être divulguée maintenant.

— Malheureusement non. Vous le saurez bien assez tôt, quand vous serez prêts… et quand je serai prête aussi. J’espère que vous comprenez.

D’intenses rafales s’engouffrèrent entre les créatures sitôt que la soldate débuta la traduction, l’obligeant à hausser la voix. Elle rapporta néanmoins les propos de Nasrik avec fidélité, et ses camarades prirent le temps de considérer ces éclaircissements, réfléchissant sans s’exprimer, songeant sans s’épancher.

Ensuite de quoi ils continuèrent de se laisser emporter.

Toute la disposition, tout le relief des terres émergées se manifestaient depuis les cieux. Il s’agissait d’un réseau fragmenté de prime abord, mais dont la configuration se révélait à force de les détailler. Plaines, vallées, montagnes, sylveset déserts se succédaient par progressives transitions. Par dizaines, puis par centaines des îles se déroulèrent, et leurs biomes étincelèrent sous leur contemplation continue. La plupart possédaient des contours d’aspect naturels, parfois si proches de leurs voisines que des ponts y avaient été érigés, fussent-ils physiques ou magiques. D’autres, en revanche, n’épousaient guère la courbure de l’océan, et se trahissaient ainsi au milieu de leur semblable.

Jamais les voyageurs ne manquaient de panorama à admirer à mesure que les jours se succédaient. Tout particulièrement, si l’équilibre le lui permettait, Kavel inscrivait les similitudes avec Menistas maintenant qu’il disposait du recul nécessaire. Nombreux étaient les lacs à fulgurer en contrebas des hauteurs, souvent de bleu mais tantôt de smaragdin et de mauve, alimentées d’un flux qui s’élevait même jusqu’à eux. Innombrables étaient les jungles et forêts, parfois composées d’espèces endémiques, elles aussi conquérant les hauteurs, elles aussi dotées d’une multitude de nuances. Éparse était la faune tant certaines îles en abritait toute une variété, là où d’autres en étaient dépourvues. Même dans ces cas-là, l’historien ne pouvait cataloguer chaque animal. S’il relevait les gigantesques poissons aux écailles reluisantes, bondissant entre les passages océaniques, tout comme les reptiles aux maintes pattes chassant entre les cours d’eau, il ne pouvait déceler de plus petits animaux. De même, à sa stupeur, pas le moindre oiseau n’apparut, hormis quelques ghusnes par endroit amenés par d’autres explorateurs.

Pour beaucoup, l’attention se reportait vers les constructions en lieu et place de la nature. Vers ces ouvrages éparpillés sur les versants ou la densité forestière, que la magie avait préservé de toute érosion. Vers ces cités rivalisant avec ces inclinaisons, encadrées de murailles crénelées sous des arches s’enchâssant avec esthétisme. Vers les ruines où pierres et briques se mêlaient harmonieusement au fezura et au vônli, parfois perdues dans la vastitude des gorges, souvent apparentes à même steppes et coteaux. Sculptures et monuments d’autrefois jaillissaient dans cette immensité, où la magie ruisselait jusqu’à chaque interstice, même si une multitude demeurait hors de leur vision.

Des horizons bien connus se matérialisèrent après plusieurs jours de voyage.

Quiconque s’était aventuré à proximité suffisante du temple de Therzondel le reconnaîtrait même cerclé d’un panorama inédit. Il s’érigeait sur une île parfaitement rectangulaire, entouré de grands arbres au feuillage ambré, puissante bâtisse ornée de gemmes et composée de pierres incurvées.

Les explorateurs ne durent se consulter qu’une poignée de secondes pour ordonner à leurs krizacles de changer de direction. Aussitôt ils filèrent vers le sud, où la route d’antan se confondait avec des points de vue naguère invisibles. De nouveaux édifices et sanctuaires se hissaient devant eux, ou à la périphérie de leur vision, mais ils n’y prêtèrent guère attention, tant la tour du savoir le leur accaparait.

Sauf Dehol. Lui lorgnait ailleurs, plus bas. Même si le pouvoir des créatures restait contenu en elles, des réminiscences s’intensifiaient, promptes à épaissir les plis sur ses joues. Il se crispait sur sa monture qui ralentit subitement. Il épongeait son front lustré alors que Julari devait le tenir, silhouette fragilisée dans les airs.

Dehol se ressassait face à la préoccupation de ses amis. Chassant les pensées qui le hantaient, il pointa une île à l’ouest d’un doigt tressaillant.

— Vous vous souvenez ? demanda-t-il. Il y a bien longtemps, et pourtant si récemment, quand nous étions séparés…

— Un petit rappel ne serait pas de refus ! suggéra Muznarie.

— Lorsque j’ai quitté ces lieux pour la première fois, lorsque la paix est devenue impossible… J’ignorais ce que l’avenir me préparait. Il me fallait retourner ici… Mais je ne m’y rendrai que si tu es prête, Julari.

D’un timide acquiescement, la fermière répondit à l’appel de son compagnon.

— Vous avez tous votre histoire avec ces lieux…, murmura-t-elle. Moi aussi, maintenant. Nous y sommes, alors ? La fontaine de mémoire ?

— Oui. Juste en-dessous de nous, en-deçà de la tour du savoir.

— Je suis prête à affronter la vérité. Inutile de retarder indéfiniment ce moment.

Dehol opina à son tour, quoique sans l’ombre habitant sa camarade, au lieu de quoi un air morose flotta sur son faciès. Il évitait encore les sollicitations de Julari et se concentrait plutôt vers le symbole, qu’il détaillé d’un œil minutieux.

Immobilisés dans les cieux, leurs compagnons patientaient.

— Vous ne nous suivez pas ? demanda Yazden.

— Nous avons notre propre quête à mener, expliqua Dehol. Nous vous rejoindrons dès que nous en aurons terminé.

— Êtes-vous sûrs ? insista Kavel. Souviens-toi de la dernière fois, Dehol… Notre intérêt collectif doit supplanter nos objectifs personnels. S’il nous faut effectuer un détour pour vous accompagner, alors nous n’hésiterons pas.

— J’apprécie, vraiment. Mais c’est un fardeau que je dois porter seul, justement car je me rappelle comment ça s’est déroulé…

— Dehol, je crains que…

— Mon choix est fait, Kavel. S’il te plaît, respecte-le.

Un éclat d’hésitation parcourut le jeune homme. Il sonda des failles dans la résolution de Dehol, mais rien ne transparaissait de façon immédiate. Pareille détermination se lisait chez Julari qui hochait du chef chaque fois que son compagnon s’exprimait sur la question.

Kavel ne put que soupirer.

— Très bien, accepta-t-il. Faites attention à vous. Et revenez aussi vite que possible.

— C’est promis, affirma Dehol.

Des chemins supplémentaires s’ouvrirent au rythme imposé par les krizacles. Deux d’entre eux s’élevèrent vers de plus grandes hauteurs, vers l’unique édifice à même de tutoyer la voûte céleste. Restait le dernier, plongeant vers le plus discret réceptacle de flux, préparant un atterrissage avec douceur malgré la vitesse avec laquelle il s’approchait de l’île.

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