Chapitre 19 : La négociatrice (1/2)

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Par-delà la péninsule apparut la destination tant souhaitée.

De part et d’autre d’une arche pierreuse s’élevait une paire de statues en granit. Deux ludrams, l’un féminin et l’autre masculin, avaient été immortalisés sur une posture fière et accueillante. Ils portaient une large ceinture dont la texture s’apparentait à du tissu alors que les ourlets de leur paréo frôlaient le socle fixé sur les rebords de l’éminence.

Étincelantes structures, illustres sculptures, elles étaient l’ouverture. Ce fut par ce chemin que la flotte termina de naviguer les luisantes eaux turquoises. Ce fut par cette voie que les terekas s’ébaudirent pour de bon. Car la baie se dévoila dans chaque direction. Car les habitations épousaient les courbures de la berge, étalées sur le relief en-deçà d’une dense et luxuriante jungle.

Meruviat, capitale du Ryusdal, s’illumina au cœur d’une journée déjà fort ensoleillée.

De faibles turbulences perturbaient l’avancée finale de l’armada. Partout où les voyageurs promenaient leur regard, une multitude de voiliers et de barques en bois opalin ballotait au rythme des vagues. Ghester dut manœuvrer ses bateaux avec circonspection comme les locaux s’écartaient du sillon que traçaient leurs coques. Chaque membre d’équipage s’aligna alors, évita soigneusement toute collision avec leurs compatriotes. Saluts et ovations se multiplièrent sitôt que les navires suivirent une ligne tranquille, se propageant telles des ondes à la surface de l’océan.

Paraken et Repha furent les premiers à s’appuyer sur le bastingage. Bientôt, sur chacun des bateaux, les marins cédèrent leur place pour que les terekas découvrissent leur pays de leurs propres yeux. Bien qu’animée par un élan, Wixa ne les rejoignit que plus tard. Un sourire allégea ses traits tout le temps qu’elle contempla le rivage.

— Notre nouvelle maison ? murmura Paraken. Si c’est le cas, je ne me plaindrai plus jamais de toute ma vie.

— Nous verrons, contrasta Repha. Ha, pourquoi notre Nasrik n’est pas venue avec nous ? Elle se serait tant émerveillée !

— C’était une décision difficile, dit Wixa, mais elle a choisi d’assumer ses responsabilités. Après tous ces mois à vos côtés, c’est encore difficile pour moi de comprendre comment fonctionne votre système familial. Mais je sais que vous avez accompli votre rôle.

Repha et Paraken se rembrunirent, ce malgré l’acquiescement résolu de leur interlocutrice.

— Notre petite Nasrik est devenue assez mature pour prendre ses propres décisions, affirma Repha d’une voix émue. Elle était prête avant la stase… mais dans quel monde incertain nous nous sommes réveillés ?

— Nous la connaissons mieux que personne, ajouta Paraken. Peu importe ce que racontent Aznorad et Bisaraj. Espérons juste qu’elle gardera son indépendance d’esprit face à leur influence.

— C’est vrai qu’ils m’ont laissé une impression particulière, confessa Wixa. Rien qu’à les mentionner… N’y pensons pas, nous en avons déjà bien assez débattu. Paraken, Repha, n’ayez aucun regret. Vous avez fait tout ce qui était en votre pouvoir. Vous pouvez vous reposer, désormais. Vous pouvez admirer.

De l’incertitude flotta quelques instants sur les yeux du couple. Ils peinèrent à se détacher de leurs sombres pensées, fussent-elles pondérées par l’adoucissement de la guide. Peu à peu, un agréable clapotis les amena en dehors du navire. Là où le flux et reflux chantait au rythme des fredonnements des habitants sur leurs propres bateaux. Peu à peu, ils se rassemblèrent en larges cercles, tels des lotus fleurissant sur un lac émeraude. Dès ce moment, des sphères s’envolèrent jusqu’à se dissiper dans l’azur de la voûte céleste.

Alors que les terekas contemplèrent ces éclats de part et d’autre de la baie, eux-mêmes se retrouvaient criblés de regard. Sur mer comme sur terre, des locaux interrompaient leur besogne pour mieux les détailler. Des étincelles jaillirent de leurs pupilles dilatées, tantôt teintées de curiosité, tantôt de respect.

Ils étaient ouvriers, pêcheurs, marchands ou gardes, et ils observaient visiteurs pantois sur les passerelles endommagées. Ils se coalisaient des maisons en tuile et en pierre, sur lesquelles des vitres quadrangulaires détonnaient avec les chaudes couleurs des murs lestés de coraux par endroits. Ils circulaient entre les hauts édifices, dotés de toits pointus qui projetaient des ombres sur les pavés flavescents. Ils se faufilèrent entre les tapis fleuris incrustés sur les interstices, dont le parfum défiait la triomphante odeur de l’océan. Les uns s’arrêtaient de désaliniser l’eau traversant une fente magique vers les aqueducs, les autres cessaient de réparer l’arcade parcourue de feuilles scintillantes et bleutées. Peu manquaient l’arrimage de la flotte, beaucoup hissèrent le drapeau du Ryusdal, où trois lignes parallèles et indigo surmontaient un arbre à feuilles semi-caduques sur un fond céruléen.

Dès que Wixa vit le port de Meruviat d’assez près, elle remarqua une part non négligeable d’humains parmi la population. Elle échoua à se dissimuler parmi les ludrams de son équipage, et croisa le regard de certains, qui plantaient le leur dans la lumière de ses iris. Un mutisme songeur l’immobilisa comme des bourdonnements assaillirent ses tympans.

— Les réjouissances seront pour plus tard ! annonça Ghester. Matelots, emmenez vite les blessés que nous n’avons pas pu traiter ! Quant à nos morts… Les malheureux doivent aussi être ramenés de toute urgence auprès de leur famille.

Le tumulte ne put que s’amplifier tant l’équipage s’affaire à brûle-pourpoint. Ghester enjoignait en particulier ses enfants à s’exécuter. Guère de commentaires ne s’entendaient dans cet empressement, mais les râles et gémissements se glissaient entre les cris. Dans cette effervescence se déployèrent les ponts, l’accès par lequel des dizaines de personnes, habitants et réfugiés, posèrent pied sur terre. Ghester supervisait chaque action, s’assurait que nul ne se heurtait, que personne n’était oublié.

Ses yeux se plissèrent toutefois vers des vaisseaux à proximité. L’amirale désigna avec méfiance un trio de caravelles, ancrés un peu plus loin sur la berge, spécifiquement leurs voiles circulaires. En-dessous, les drapeaux sarcelles et bistrés, constellées de taches saphir, oscillaient sous les assauts du vent septentrional.

— Que font-ils ici ? maugréa Ghester.

— Où est le mal là-dedans ? demanda un marin. Le Sewerti a toujours coopéré et échangé avec notre pays. Notre rivalité depuis le couronnement de Cluneï ne devrait pas avoir d’importance.

Furibonde, l’amirale resserra sa main autour de sa mâchoire, avant de lui montrer les chatoiements argentés sur les planches mordorés des caravelles.

— Frotte tes mirettes ! lâcha-t-elle. Tu crois qu’il s’agit d’un simple navire marchand ? Seule Cluneï parerait ses bateaux de décorations aussi ineptes sans craindre d’attirer des pirates !

— Qu’est-ce que c’est, dans ce cas ? demanda Wixa.

— Une importante délégation. Je doute que Cluneï ait eu l’effort de se lever de son siège, mais elle a dû dépêcher tout le gratin du Sewerti.

— Pour quelle raison ? Ne me dites pas que…

— Eh si. Qu’ils se ramènent juste avant notre arrivée n’a rien d’une coïncidence. Franchement, je savais cette monarchie rétrograde intéressée, mais lâche à ce point ? Attendre que nous prenions tous les risques pour tendre leur main vers des personnes vulnérables ? Ils me débectent.

Ghester lâcha le matelot avant de glavioter face à une guide interloquée. Pas un instant n’orienta-elle son attention ailleurs que vers le drapeau. Malgré les sollicitations de son équipage, des sillons ne cessaient de s’épaissir sur sa figure comme elle fit craquer ses poings à hauteur de ses hanches.

— Il va falloir encore causer, soupira-t-elle. Et les faire partir d’ici… si tant est que c’est en mon pouvoir.

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