Chapitre 19 : La négociatrice (2/2)
Trois jours à peine s’étaient écoulés au moment où l’audience débuta.
Isolé du reste de Meruviat, le parlement ryusdalais se nichait sur une autre partie de l’île. Œuvre en pierre calcaire aux limites de la mangrove, veiné de quartz sur ses proéminences, il s’agissait d’un bâtiment ouvert sur l’océan. Une paire de canaux séparait une plateforme centrale marbrée des deux parties de l’assemblée.
C’était là que Ghester et Wixa avaient été convoquées. Debout par-delà le banc des invités, où Paraken et Repha gardaient une distance de sécurité avec Khavarat, Joguran et Amathane. Entre près d’un demi-millier de parlementaires, masse hétéroclite quoiqu’élégamment vêtue. Sous les œillades inquisitrices, élus lorgnant les terekas invités depuis leurs banquettes superposées sur une vingtaine de mètres. Devant un politicien d’aplomb qui pianotait sur le guéridon en métal en face de lui.
— Amirale Ghester Sounereta, déclara-t-il, vous avez accompli votre mission avec brio. Passons dès à présent et la suite et…
— Excusez-moi de vous interrompre, coupa Wixa, mais où sont les présentations de rigueur, avant toute chose ?
Aussitôt le silence enveloppa la salle, se soumettant aux ondulations de la mer. De leurs yeux écarquillés, beaucoup de parlementaires observèrent la guide, se référèrent aux inflexions de sa voix, à la prononciation de leur langue sans le moindre accent apparent. Leur représentant lui-même dut se tenir au rebord du guéridon, peinant à recouvrir l’équilibre. Il dénoua le nœud en étoffe sur son cou par-dessus son ample redingote dorée qui révélait son léger embonpoint. Sitôt qu’il eut redressé la tête, encadrée de cadenettes rouge vif, ses iris rosés gagnèrent en intensité. Ils étaient enfouis derrière les hautes fossettes de son visage glabre à la peau bleue.
Il se ressaisit comme si la dernière réplique ne l’avait guère affecté. Reporta son attention sur Ghester davantage que sur Wixa, plaquant ses mains moites sur le guéridon.
— Tout le monde connaît vos noms ici, affirma-t-il. Quant à moi, je suis Lersan Dhar, et je préside le parlement ryusdalais cette semaine. En quelque sorte, je serai le porte-parole des miens, et j’espère que malgré nos divergences, je saurais représenter notre diversité d’opinions.
— Une semaine ? attaqua Khavarat. Quelle pitoyable courte durée ! Vous avez réuni les parfaites conditions pour un pouvoir instable.
— Nous agissons ainsi précisément afin d’éviter de laisser trop longtemps le pouvoir aux mains d’une même personne. Nous pensons qu’il doit être efficacement réparti pour ne pas corrompre.
— Seriez-vous en train d’insulter ma reine et épouse ? accusa Joguran. Pesez soigneusement vos propos, parlementaire, surtout auprès d’invités d’honneur.
— Libre à vous d’y voir une offense, je me contentais juste de rappeler des faits. Maintenant, malgré tout le respect que votre statut vous offre, votre silence nous serait profitable pour le moment.
Ghester pouffa ostensiblement face aux grognements de Joguran et Khavarat, après quoi elle entreprit de prendre la parole à son tour. Toutefois Wixa l’avait déjà devancée, puisqu’elle emmenait Repha et Paraken sur la plateforme centrale. Les terekas ne s’étaient pas encore immobilisés que moult commentaires peu compréhensibles atteignaient leurs oreilles. Soutenus par la guide, ils refoulèrent les tressaillements, silhouettes d’intérêt dans un pays inconnu.
— Voici Paraken et Repha, présenta-t-elle. Si vous désiriez rencontrer le peuple terekas, ils en sont sans doute parmi les meilleurs représentants. Ils ont élevé Nasrik Harana, qui devrait devenir leur prochaine guide. Nasrik a fait le choix de rester dans son archipel pour aider le reste de son peuple, aussi serai-je leur guide ici.
— Intéressant, commenta Larsen. Dois-je en déduire qu’ils ne peuvent s’exprimer par eux-mêmes dans notre langue ?
— Malheureusement non. Nous avons connu un voyage mouvementé, nourri par les craintes d’être rattrapés par les flottes de Menistas. Ils ne connaissent que des bribes, ce qui m’a encouragée à parler en leur nom.
— Et c’est là qu’un passionnant débat va s’ouvrir ! Les possibilités sont vastes : devons-nous bâtir de nouvelles demeures pour accueillir les terekas sur notre territoire ? Wixa, tu peux d’ores et déjà leur transmettre qu’ils y seront les bienvenus.
Sur un acquiescement s’exécuta la guide. Mais à peine ses chuchotements se transmirent que Ghester s’érigea par-devers, du sang montant à son visage, des plis parcheminant ses traits. De la tension s’exacerbait de sa stature rigide et encourageait les politiciens à la jauger avec prudence.
— Moi aussi, se targua-t-elle, je suis garante de la sécurité de ces réfugiés. Il serait temps de mentionner l’évident, non ?
— Votre voix vibre de douleur, constata Larsen. Il n’est pas aisé de voir des amis périr, même pour une cause aussi noble. Vous serez compensée par la juste valeur de votre exploit. Vous avez prouvé, une fois encore, que notre confiance envers vous n’était pas excessive.
— Rien à foutre de l’argent ! Vous ne comprenez pas ? Nous avons été attaqués si près de nos côtes !
— Par des mercenaires, oui, d’après votre rapport et les témoignages de votre flotte. Sans doute était-ce une intervention indirecte du Khanugon et de l’Ossora. Mais que pouvons-nous faire à ce sujet ?
À ce moment, Ghester escompta des protestations de part et d’autre de l’assemblée. Une nuée de cris prompts à nuancer un discours qui sonnait irritant à ses oreilles. Pourtant, les interventions se firent éparses. L’opposition se résumait à des murmures qu’elle percevait à peine. Ce qui l’irrita outre mesure.
Retroussant ses manches, l’amirale parcourut l’ensemble de la salle, grommelant chaque fois qu’un parlementaire osait la défier des yeux.
— Vous tenez tant que ça à ce que l’histoire se répète ? avertit-elle.
— Et quelle est votre proposition ? répliqua une politicienne. Entrer en guerre ouverte contre Menistas ?
— Je n’ai rien insinué de pareil ! Je dis juste qu’il faut renforcer la protection de notre territoire. Pour qu’il n’y ait pas un mort de plus à cause de la convoitise des continentaux ! Je suis parée à moi-même supervisée cette armée, à recruter des nouveaux talents, à…
— Doucement, trancha Larsen. Inutile de montrer autant de véhémence envers des nous. Nous avons été élus pour garantir le bien-être de nos citoyens, ou tout individu vivant sur notre territoire en général.
— C’est à ce moment critique que votre intervention est nécessaire !
— Votre compassion à l’égard des terekas est touchante, mais ne laissez pas le passé vous hanter. Les circonstances d’aujourd’hui sont différentes.
— Les nations responsables de ces horreurs pas si lointaines n’ont jamais pleinement admis leur responsabilité. Maintenant qu’un nouveau peuple les met face à leurs erreurs, ils ont peur. Et quand les gens ont peur, ils font n’importe quoi.
Des voix s’élevèrent depuis chaque recoin de l’assemblée, des contestations fusèrent à une cadence inégalée. Face aux propos de l’amirale se dressait un courroux de pareille teneur, pluie de dithyrambes parfois indirectement formulées. Ghester se cabrait de toute son envergure, et seulement parvint à en intimider quelques-uns. Wixa traduisait avec vitesse le débat à un couple pétri d’inquiétude, mais devait omettre de nombreux détails.
Soudain des applaudissements tonnèrent. Contre les hurlements dominants, contre le clapotis de l’océan. Ghester eut beau lui darder des yeux hostiles, Khavarat ne cessait de se tordre. Même lorsqu’elle s’arrêta de rire, un sourire hautain pendait toujours à son faciès.
— Si vos sessions parlementaires sont toujours aussi divertissantes, persiffla-t-elle, je peux remettre en question certains de mes préjugés à l’encontre de votre régime.
— Personne ne t’a donné le droit d’intervenir ! rugit Ghester.
— Ainsi je le demande. Parce que j’ai une proposition bien nette à faire, à l’opposé de votre incapacité à vous mettre d’accord.
— Permission accordée, décréta Larsen.
Ghester ne put que fulminer, retenir ses invectives contre tout un chacun. Khavarat s’approcha d’une démarche légère, bientôt talonnée par Joguran, et tous deux narguèrent leur adversaire. Seule Amathane demeura en retrait nonobstant les interpellations de la princesse consort.
— Devons-nous cirer tes oreilles pour que tu comprennes proprement l’instruction ? ironisa cette dernière.
— Je vous l’ai déjà dit, lâcha Amathane. J’ai un passif avec elle.
— L’heure est donc venue de braver tes peurs, voleuse. N’oublie pas que ta liberté est en jeu.
Un lourd poids contractait le cœur de la collectionneuse. Peu de quidams dépassaient sa taille, mais Ghester figurait parmi eux, et elle ne manqua pas de la toiser. Piégée dans l’assemblée, les plis de sa figure révélée par la lueur extérieure, Amathane tâtonna. Quitte à frustrer l’audience, quitte à se heurter à l’impatience de ses rivaux.
À sa surprise, elle fut accueillie par un demi-sourire.
— J’ai bien reconnu ton nom, fit Ghester. De tous mes ennemis, tes parents devaient être les plus distrayants à affronter. Pas étonnant que ma petite Ulgam soit devenue si robuste, vu que je croisais le fer avec Berisen pendant sa conception !
— Vous…, bredouilla Amathane. Vous ne me haïssez pas ?
— Si j’avais trucidé tes parents, tu te serais vengée sur mes enfant ?
— Bien sûr que non !
— Tu as ta réponse.
— Mais c’était différent ! Je servais sous les ordres de ma mère.
— Tu n’étais qu’une adolescente.
De nouveaux applaudissement retentirent sous leur regard médusé, coupèrent court à la conversation. Des rictus constellaient le faciès de Khavarat, qui essuyait une larme ruisselant sur sa joue.
— Quelle magnanimité sélective ! blasonna-t-elle. Amathane sert toujours sa mère dans la guilde des collectionneurs de Parmow Dil. Voilà pourquoi, aujourd’hui, elle est notre prisonnière.
— Tout s’explique, dit Ghester. Votre abus de rancœur vous empêche d’enterrer le passé.
— Vos paroles sont teintées d’hypocrisie. Vous qui avez bâti votre carrière sur votre méfiance de Menistas alors que vous servez un pays s’en étant beaucoup inspiré. Le Sewerti revendique totalement son indépendance. D’ailleurs, voilà une transition idéale.
Sur sa lancée, Khavarat céda la parole à Joguran, qui s’était déjà positionné devant Larsen. Bien qu’il le fixât principalement, il ne manqua pas de balayer le reste de l’assemblée, se dérobant seulement de Wixa. Il se raidit, s’éclaircit la gorge, canalisa toute détermination en lui.
— En peu de mots, vous avez révélé votre faiblesse ! critiqua-t-il. Mais n’ayez crainte, nous pouvons vous décharger d’une partie de vos responsabilités. Khavarat a raison : le Sewerti constitue un havre plus paisible pour les terekas.
— Quels sont vos arguments ? questionna Larsen.
— Ils relèvent de la simple observation. Avant cette audience, nous baguenaudions au port, où nous avons aperçu votre flotte en pleine réparation. Aussi impressionnante soit-elle, elle reste vulnérable face aux forces de Menistas. Vous n’êtes plus les maîtresses et les maîtres de la mer, admettez-le. Nous proposons donc d’accueillir les terekas au sein de notre territoire. Leur sécurité revêtira davantage de signification que vos promesses.
Tonnèrent des vociférations capables de faire hérisser ses poils. Ni une, ni deux, Ghester le tira par la cape avant de l’empoigner par le col. Elle brandit son poing entre deux injures, exerçait une telle force que Joguran ne pouvait plus se mouvoir.
— Charognard d’opportuniste ! beugla-t-il. Vous utilisez notre malheur à votre avantage ! Je m’en cogne de ce que racontent les parlementaires, le débat n’est pas possible avec vous.
On ordonna à l’amirale de lâcher le prince consort, elle n’en fit rien. On répétait les règles de bien séance, les nécessités du débat, pourtant Ghester n’en avait cure. Elle enserrait une victime impassible au détriment des cris autour d’elle. C’était un tintamarre dont elle se réjouirait presque si la colère ne crispait pas ses membres. Même Wixa, en retrait, se limitait à servir d’égide pour Repha et Paraken, lesquels exsudaient face à cette scène.
Au rythme des nuées indignées s’intercala Khavarat. Même si elle ne sut que repousser légèrement Ghester, ce fut suffisant pour lui faire lâcher prise. Elle se dota d’un air contempteur en se confrontant à l’irritation de l’amirale.
— Quitte à provoquer l’incident diplomatique, lança-t-elle, autant le faire dehors. Ce serait dommage d’abimer votre joli quoiqu’inutile parlement.
— J’ai déjà choqué pas mal de personnes ici, dit Ghester. Si vous insistez, je peux vous casser la figure à l’extérieur.
— Ne nous sous-estimez pas, amirale ! riposta Joguran. Cluneï ne nous a pas épousés que pour notre beauté et notre éloquence.
— Non, arrêtez ! s’époumona Wixa. L’objectif de cette audience était de nous allier contre une cause commune ! Par pitié, oubliez vos querelles d’antan et…
La porte principale s’ouvrit sur un puissant grondement, claquant contre les murs. Cinq figures s’érigèrent sous la multitude de parlementaires, avancèrent au mépris des réprobations. Chaque action s’interrompit, Joguran éteignant l’orbe enflammée qu’il avait généré derrière son dos.
— Personne ne vous a donné la permission d’entrer, s’indigna Larsen. Sortez immédiatement ou…
À leur tête se tenait une humaine qui progressait plus rapidement que tous ses compagnons. D’aucuns la reconnurent alors, bouche bée face à sa présence, et déjà posèrent une kyrielle de questions. Mais elle les ignora toutes pour s’imposer sur la plateforme centrale, depuis laquelle elle s’annonça :
— Je suis Héliandri Jovas et je viens vous faire une demande.
Dans le silence, ses paroles résonnèrent dans les oreilles tout un chacun, y compris parmi celles et ceux qui ne comprenaient pas le nirelais. Au milieu de l’assemblée, l’aventurière assurait son influence. Tout le sérieux de son expression se dissipa néanmoins au moment où Wixa se précipita vers elle. Au moment où leur étreinte conquit le cœur des témoins. Au moment où des pleurs coulaient sous les iris lumineuses de sa partenaire.
Par sa prestesse, rejoignant la plateforme d’un leste bond, Phiren chercha à éclipser ce moment. Il tomba dans les bras d’Amathane qui le couvrit de baisers et l’assena de doux compliments. Jamais leurs sanglots ne se tarirent, ni quand ils subirent les brocards d’autrui, ni lorsqu’ils furent rappelés à l’ordre.
Émue, Mélude frotta ses paupières, regrettant de ne pas avoir emmené son luth avec elle.
— Finalement, les retrouvailles que nous espérions ! s’émerveilla-t-elle.
— Il y a de quoi écrire une belle chanson, commenta Zekan.
— Doit-elle mentionner tout le contexte ? demanda Makrine. Souvent les ballades omettent des rôles importants, mais parfois, c’est difficile de tous les mentionner.
Les bardes restèrent à un recoin discret du parlement, d’où ils exhortèrent Héliandri, laquelle s’en servit comme impulsion. Mais d’un coup d’œil de biais à son amie, il n’y avait qu’un instant, insuffisant pour la préparer à ses larmes.
— Héliandri…, souffla Wixa. Je croyais t’avoir dit de ne pas me suivre. Que nos chemins devaient rester séparés.
— Je suis désolée, répondit sa partenaire, mais je crois que tu avais tort.
— Pourquoi ? Car tu ne voulais pas voyager seule ? Mais regarde ! En partant à ma recherche, tu t’es fait de nouveaux compagnons. Comme tu viens de le montrer, certains te suivent encore aujourd’hui.
— Je n’ai pas traversé l’océan pour des raisons égoïstes ! Enfin, pas seulement. Tu as dû apercevoir cette colonne de lumière.
— Ça va de soi. Mais je suis la guide des terekas, donc ma priorité est de trouver un nouveau foyer pour ce groupe.
— Et si c’était lié ?
Héliandri abandonna Wixa dans un moment de confusion pour mieux s’orienter vers Larsen. Toussoter l’aida à préparer son discours, guère à sa heurter à la perplexité des parlementaires.
— Célèbre aventurière ou non, lâcha Larsen, en quoi ton expertise nous aidera aujourd’hui, Héliandri Jovas ?
— Votre façon de parler m’était trop familière. Je n’ai pas envie que mon expérience avec le parlement nirelais se répète ici.
Des contestations surgirent de plus belle tandis que Khavarat et Joguran s’esclaffèrent. À hauteur de son amie, Héliandri demeura impavide malgré tout, réduisant la distance avec Larsen.
— Un gigantesque pilier de lumière d’un jaune flamboyant, mentionna-t-elle. Même après trente ans d’exploration, même après ma précédente aventure, je suis toujours impressionnée. Vous n’avez pas pu la manquer.
— Nous en avons déjà débattu, précisa Larsen. Nous serions ravis d’avoir ton opinion à ce sujet, mais ce sera pour une future réunion du parlement.
— Au contraire, il faut trancher maintenant ! Et je vous remercie déjà du temps que vous m’accordez… Vous voyez, j’ai exploré Menistas de fond en comble. Mais à l’aube de ma cinquantaine, je me rends seulement dans votre archipel pour la première fois. Je connais si peu sur votre pays, encore moins votre rivalité avec Sewerti. Wixa et moi ne sommes que des éléments extérieurs, et vouloir apporter une voix neutre pourrait vous sembler hors de notre portée.
— Ce sujet aurait été évoqué tôt ou tard avec nos invités… Cette colonne de lumière est issue d’une île au nord. Entre le Ryusdal et le Sewerti, pour être précis… Elle incarne la parfaite illustration de nos différends. Nos deux pays revendiquent cette île, mais elle fut longtemps considérée si longtemps comme sans intérêt que nous ne souhaitions guère aller plus loin. Héliandri, ne serais-tu pas en train de raviver ses flammes ?
— Vous vous disputiez avant que je débarque ! Et puis, certaines forces ne peuvent être conquises, mais elles peuvent être comprises.
Héliandri se retourna sans attendre la réponse de Larsen, au lieu de quoi elle opina en direction de Wixa. Elle baigna dans l’éclat austral, silhouette unique sur la plateforme. Chaque réquisitoire devait être éludé, chaque doute devait être expurgé. Avisant l’hostilité des représentants, contre laquelle elle restait placide, l’aventurière les sollicita d’une poigne ferme et d’une main tendue.
— Nous devons observer cette île de plus près, suggéra-t-elle. D’après mon expérience, il ne peut s’agir que d’une relique des temps anciens. Une connexion entre notre passé et notre avenir. Je propose donc une expédition. Amirale Ghester, qu’en pensez-vous ?
— Pourquoi ça devrait être la première priorité ? demanda la concernée.
— Car la vérité qui s’y dissimule va bouleverser notre histoire. Cette préoccupation se situe bien au-delà de nos divisions. Terekas ou tegaras, continentaux ou insulaires, ludrams ou humains, nous sommes tous concernés. Si quelqu’un doit s’y rendre, alors ce ne doit pas être le citoyen d’une seule nation. Moi-même, je me considère apatride, mais je ne peux y aller seule.
— L’aventurière veut accomplir de nouveaux miracles ? ironisa Joguran. Une coalition entre des voix jugées irréconciliables ?
— Je vous en demande beaucoup, je sais, mais croyez-moi, c’est capital.
Héliandri ferma brièvement les paupières, prit une longue inspiration. L’idée était de réfléchir à chacun de ses mots, quitte à faire patienter davantage une audience qui s’y accrochait.
— Nous avons les clés pour comprendre notre passé, déclara-t-elle. Et si mes hypothèses sont correctes… Je parle d’une époque plus lointaine encore que les terekas.
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