Chapitre 22 : L'information et le danger (2/2)
Bien peu de personnes étaient en mesure d’appréhender ces terres nouvelles.
Qui pouvait les blâmer ? Moult nations de Menistas, voire au-delà, se targuaient de leur immutabilité. Quand tout était considéré comme acquis, quand la vaste majorité des questions étaient estimées résolues, l’avenir se traçait comme une banale prolongation du présent. Soudainement, confrontées aux résurgences d’un temps inconcevable, les civilisations ne semblaient qu’à leurs balbutiements. Abruptement, toute une organisation sociétale devait être repensée.
Murée dans ses méditations, Vazelya y opposait sa certitude. Plus que jamais, elle appartenait à une catégorie bien distincte.
Elle n’était plus revenue depuis des mois. Déjà les remords la turlupinaient, puisque franchir les forces armées aux frontières s’était effectuée avec une facilité déconcertante. Le superflu devait être chassé, l’essentiel amplifié. Même si elle explorait de nouvelles îles, même si une histoire inconnue se déployait autour d’elle, elle ressentait une étrange sensation.
D’intruses pensées souillaient son esprit, aussi y martelait-elle un message redondant, destinée à s’y ancrer : cet environnement était le sien.
Vazelya se renforçait à chaque heure passante. Elle, mieux que quiconque, exploiterait ce flux omniprésent. Cette flore rayonnante se parait de subtilités que le premier quidam venu était incapable de déceler. Des particules imprégnaient ces arbres gigantesques, s’élançant à la conquête d’inatteignables hauteurs de ce relief accidenté. Des filaments s’enfonçaient dans les profondeurs maritimes, vibrant jusqu’aux plus obscures abysses. Une magie indicible colorait chaque fleur, faisait vrombir chaque feuille, impulsait chaque oiseau fondant depuis les éminences. Il suffisait à la mécène d’ouvrir ses paumes, et des rayons bienfaiteurs pénétraient en elle, circulaient à l’instar de son sang, lui procuraient un indubitable sensation de bien-être.
Vazelya pouvait alors se détendre, s’arrêtant au milieu d’une trouée. Mais si elle marqua l’arrêt, c’était parce qu’une ombre la talonnait depuis trop longtemps. Des étincelles grésillèrent autour de ses poignets. Irritée, elle vint à la rencontre cette silhouette encapuchonnée qui défiait son monopole de l’exploration.
Velk restait néanmoins impavide face à Vazelya.
— Tu as tout intérêt à t’expliquer sur-le-champ, avertit-elle.
— Et pourquoi ? riposta l’assassin. N’êtes-vous pas impressionnée que je sois parvenu ici ?
— Autrefois, peut-être. Lorsque le portail des ruines de Dargath signait l’arrêt de mort d’aventuriers trop téméraires. Aujourd’hui, il est si aisé de contourner les troupes stationnées aux frontières.
Vazelya dévisagea alors l’individu. Lui qui était paré à tourner autour d’elle était devancé, cantonné à étudier ses mouvements. Il ne trahit toutefois aucune faille derrière sa posture rigide.
— D’après ton accent, devina la mécène, tu dois être nirelais. Pas que cela m’avance beaucoup, mais je dois me débrouiller avec le peu d’indices laissées. Tu n’es pas enclin à me révéler ton identité, j’imagine ?
— Ma réponse dépend ce que vous en ferez, répliqua Velk, maintenant que votre sort favori est connu de tout un chacun.
— Si tu me connaissais vraiment, tu saurais que je ne l’emploie pas à la légère. Toutes mes dernières cibles l’avaient amplement méritées.
— Et étaient aussi plus faciles à atteindre, je suppose.
— Je te suggère de ne pas me sous-estimer. Mes pouvoirs dépassent tes conceptions.
— Je me garderais bien de m’y confronter. Je suis quelqu’un de stratégique, après tout. Quitte à patienter une bonne vingtaine d’années pour prendre les rênes d’une organisation. Ou envoyer une alliée gênante très loin afin de ne plus l’avoir dans mes pattes. Mais vous, Vazelya ! À moins que je me fourvoie, vous ne vous êtes pas simplement rendue ici pour admirer ces lieux ?
— Mes objectifs ne concernent que moi.
— Bien sûr, bien sûr. Vos ambitions sont certaines, encore faut-il les concrétiser. Moi, je ne m’y fie qu’aux rumeurs. Il paraît qu’il murmure à l’oreille des terekas, autrement, il est introuvable.
Un éclat s’intensifia au bout des doigts de la mage. Elle s’approcha de Velk et le foudroya des yeux, courroucée, forçant ce dernier à reculer.
— Où cherches-tu à m’envoyer ? grommela-t-elle. Insinuerais-tu que les terekas sont coupables par association ? Qu’ils mènent leur existence comme cela les enchante, ils ont déjà bien assez d’ennemis.
— Quelle magnanimité ! persiffla Velk. Il s’agissait juste d’un coup de main. Nasparian est discret car, aussi puissant soit-il, il existe dans ce vaste monde plusieurs individus capables de rivaliser avec lui. Et vous en faites partie.
— La flatterie fonctionnait jadis avec moi, mais plus maintenant. Tu me répètes juste que Nasparian est si lâche qu’il utilise les terekas comme boucliers. Je l’atteindrais tôt ou tard, mais seulement en l’isolant.
— Vazelya, vous n’avez plus à prétendre être quelqu’un d’autre.
La coalescence de flux éblouit Velk malgré sa capuche. Face à lui se dressait une mécène tressaillante, les veines bouillonnantes, parées à décharger sa magie sur lui à tout instant. Des frémissements l’enveloppèrent tout entier.
— Cherches-tu à m’aider ou à me déstabiliser ? assena-t-elle. Quel profit tires-tu à me rencontrer au milieu de cet archipel ?
— Je voulais rencontrer la grande Vazelya Milocer en personne, dit l’assassin. Celle qui jouera un rôle capital dans un futur proche. Et si je puis me permettre, tout nous opposera. Pour le moment, nous nous dissimulons tous les deux en criminels que nous sommes. Mais là où je prédis un éclat spectaculaire pour vous, j’ai l’intention de rester discret, même si mes interventions devraient aussi influer drastiquement sur le cours des choses.
— Criminel ? Qui es-tu, bon sang ?
— Velk Dysmidan. Actuel maître de la guilde des assassins de Parmow Dil.
Une lueur iridescente courait le long des bras de Vazelya. Elle fusa en un instant, aussi véloce que possible, pourtant Velk s’était déjà téléporté, armé d’un ultime sourire narquois.
Il laissait derrière lui une mécène essoufflée mais guère esseulée. Adelris se plaça à ses côtés, mains plaquées sur ses hanches, héritier du dédain de l’assassin.
— Une belle occasion manquée, se gaussa-t-il. Où est l’invincible mage, capable de mettre à mal les scélérats et autres gredins ?
— Quand vas-tu me laisser en paix ? vitupéra Vazelya. Sors de ma tête !
— Ou sinon ? Ce n’est pas comme si tu pouvais me tuer une seconde fois.
— Non, mais je prouverai que tu as tort. Je ne suis pas celle que tu penses.
— Tu t’enfonces plus profondément chaque jour. Ourdissant des plans savamment conçus, jusqu’à ce qu’ils volent en éclats. Admets-le, Vazelya : tu es perdue. Réduite à improviser, à tenter désespérément te sauver ta réputation. Peut-être n’es-tu pas celle qu’ils cherchent.
— Tu te trompes ! Je suis la seule capable de défaire Nasparian.
— Même si tu réussis, qu’est-ce que cela changera ? Ils te craindront pour toujours. Ils te haïront à jamais.
— Je serai héroïne pour l’éternité !
La sphère s’était obscurcie au creux de ses mains. L’apothéose attendant d’être déployé. Un pur concentré de magie, manié sans faille à travers le réceptacle.
Vazelya fracassa son poing saturé de magie avec toute sa puissance. De l’impact naquit un profond cratère alors que la terre s’ébranla intensément. Des secousses se propagèrent à une vitesse inouïe tandis que des fissures lézardaient la trouée et atteignaient les hauteurs environnantes. Le ciel parut se déchirer sous le faisceau d’énergie grésillant.
Suite à la dissipation, il ne restait plus qu’une figure affaiblie au centre de la cavité, autour de laquelle l’herbe s’était teintée de gris. Adelris, lui, avait déjà disparu.
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