Chapitre 27 : Côtoyer la vérité (1/2)

6 minutes de lecture

— Mais bien sûr ! s’exclama Kavel. Pourquoi n’y avais-je pas pensé plus tôt ?

Seule Muznarie tressauta quand la voix s’éleva subitement. Elle qui tournait autour de l’immense salle, ses bras lestés d’un monticule d’ouvrages, voyait la collection se fracasser à ses pieds. La douleur sourdait, malencontreuse, si bien qu’elle se tint sur un pied. Elle bondit tant que sa stabilité était menacée. Nasrik et Kavel s’enquirent d’elle, mais ce fut Yazden qui intervint la première, portant la soldate jusqu’à un banc à proximité.

Étendue, Muznarie se força à sourire entre deux lamentations.

— Tout va bien ! s’écria-t-elle. Si une poignée de livres avait raison de moi, ce serait franchement pathétique.

— Recourir à l’auto-dérision maintenant est inopportun, dit Yazden. Nul ne te jugera ici pour une blessure accidentelle. Je ne suis pas médecin, mais permets-moi de vérifier l’étendue des dégâts.

— D’accord, d’accord. Mais j’aimerais aussi savoir si l’information glanée valait bien la peine de me faire mal !

Kavel et Nasrik restèrent penauds quelques instants, durant lesquels Yazden retira la jambière de la militaire ainsi que sa chaussure. Hormis un rougissement à la plante du pied, il n’y avait aucun dégât visible, aussi Muznarie exhala un soupir soulagé même si elle grinçait encore des dents.

Pendant que Yazden massait l’hématome, l’historien saisit à pleines mains l’épais livre à la reliure orangée qu’il venait de consulter. Des motifs complexes et intriquées garnissaient la couverture comme des schémas au tracé toute en symétrie entrecoupaient les écrits. Kavel retrouva rapidement la page et interpella Muznarie ce faisant.

— Je m’entraîne encore, affirma-t-il, mais tes traductions sont toujours le moyen le plus fiable de parler avec Nasrik.

— Je considère ça comme un compliment ! s’ébaudit Muznarie comme ses joues s’empourpraient.

— J’avais déjà mentionné Delcaria. Malheureusement, il n’y a guère que moi pour réagir à cette surprise, et je trépigne déjà à l’idée de dévoiler tout cela à nos autres compagnons, surtout Zekan. Pourvu qu’ils aillent bien, d’ailleurs…

— J’aimerais les rencontrer aussi !

— Et tu en auras l’occasion, mais pour le moment, restons focalisés. Pour être bref, nous avions trouvé le tombeau de Delcaria au temple de Therzondel. Nous y avions découvert que le Mowa était une religion beaucoup plus ancienne que nous le pensions.

— Par la Créatrice ! s’écria Yazden.

Trois paires d’yeux intrigués se braquèrent sur elle. D’emblée la garde s’en déroba, sondant une échappatoire autour d’elle. Elle agit ensuite comme si une brûlante curiosité ne la ciblait pas, remettant la jambière de Muznarie avec une lenteur volontaire. Plus d’une minute eut beau s’écouler, ses camarades s’intéressaient toujours à elle, ce pourquoi elle se résigna.

— Pardonnez-moi pour cette interruption, bredouilla-t-elle. J’ai été pris d’une révélation soudaine, peut-être égoïste. Si l’émergence du Mowa précède nos connaissances, qu’en est-il de l’Enhéralion ?

— Nous n’en savons toujours rien, déclara-t-il. Arphagos Iokaran, la gardienne ayant rédigé ses mémoires, n’y mentionne pas d’autres croyances.

— Alors mon intervention était futile et la réponse, si elle existe, se trouve ailleurs.

— Rien dans nos conversations n’est inutile. Peut-être que, contrairement à Nasrik et Muznarie, tu ne peux nous aider à interpréter ces écrits d’antan, mais ton expérience nous aide aussi.

Yazden sentit un pincement au niveau du cœur, allégée par les propos de Kavel. Sourire et hochements coalisèrent en un remerciement, après quoi elle s’assit aux côtés de Muznarie, se murant dans le silence pour la suite de la conversation.

Kavel demanda alors du soutien auprès de Nasrik, laquelle confirma que son pouce était bien appuyé sur la partie correcte de la page.

— Pour en revenir à Delcaria…, continua-t-il. Notre discussion avec elle fut très courte, remerciez Vazelya. Elle était très évasive et avait volontairement omis certaines informations. Je ne devrais pas être surpris qu’elle fût gardienne !

— Il y a combien de temps ? demanda Muznarie.

— D’après Nasrik, les indices concordent pour une date d’environ quarante-trois mille ans. À ce moment-là, nous n’étions même pas à la moitié de la durée totale de la stase… Ce qu’il est important de préciser, car Delcaria voulait rompre avec cette « phase interminable », selon les dires d’Arphagos.

— Je me goure peut-être, mais il faut se mettre à la place de Delcaria. À ce moment-là, ça devait faire presque vingt-cinq mille années que les terekas étaient dans leur stase. Rien qu’imaginer ce nombre me donne le tournis…

— Arphagos comprenait l’impatience de Delcaria mais désapprouvait ses méthodes. Sauf que la prêtresse maîtrisait la magie à la perfection, lui permettant de mettre en œuvre ses ambitions.

Kavel referma abruptement le livre tandis qu’il écarquillait des yeux. Inquiète, Nasrik frôla son avant-bras, mais il la rassura d’un acquiescement résolu.

— Delcaria partageait le goût de la symétrie avec Arphagos, reprit-il. Voilà pourquoi elle a créé une île aussi rectangulaire, quitte à ce qu’elle paraisse artificielle. C’est là que la prêtresse a érigé son temple… Elle avait l’intention d’interpeller le panthéon Mowa, pour qu’il lui confère le pouvoir d’arrêter la stase sans utiliser la sphère sur la tour du savoir.

— Je suis perdue ! fit Muznarie. Bon, si j’arrive à suivre correctement, cette prêtresse a dû échouer ?

— Tu l’as deviné. De la main d’Arphagos elle-même, même si elle avait reçu l’autorisation de ses pairs, une solution d’ultime recours.

— Ce devait être un affrontement épique ! Du genre à déchirer des abysses jusqu’au ciel ! Peut-être même que ces terres en portent encore les marques. Bien sûr, c’était tragique, mais je ne peux m’empêcher de frissonner à l’idée de…

— Désolé de briser tes songes, mais Arphagos a avoué que la confrontation n’eut rien de spectaculaire… Ni même d’honorable. Elle s’est infiltrée dans le temple de Therzondel, que Delcaria pensait imprenable, et lui a cisaillé le cou durant son sommeil.

Un air de déception dépara les traits de Muznarie. Kavel ne sut quoi ajouter, mais avant que l’opportunité ne se présentât, Yazden lui arracha l’ouvrage des mains avec une brutalité inattendue. Frénétiquement, ignorant les réactions d’autrui, elle fit tourner les pages d’un doit souple. Mais les mots échappaient à sa compréhension, les phrases s’enchaînaient sans qu’elle en saisît quoi que ce fût.

Yazden abandonna aussi rapidement qu’elle s’y était engagée, et rendit le livre à l’historien.

— A-t-elle rapporté toute la vérité ? songea-t-elle.

— Des mémoires sont subjectifs par définition, développa Kavel. Pour s’assurer de la véracité, il faudrait nous procurer une biographie indépendante. Cela étant, aussi élusive fût-elle, Delcaria a confirmé ce récit par sa simple existence.

— Un morceau manque forcément ! Rappelez-vous, lorsque Nasparian a dévoilé qu’il avait occis Onjuril… Il l’a incinéré afin d’éviter que la nécromancie ne s’en mêle. Pourquoi Arphagos n’aurait pas agi pareillement ?

— Car elle a trouvé une autre solution pour empêcher Delcaria de nuire. Elle l’a enterrée au sein même de son temple, avant d’enfoncer l’île dans les abysses.

— Avec le recul, l’idée présentait des failles évidentes, nous nous accordons là-dessus.

— D’une certaine manière, cette preuve que nous avons tous les deux brandi l’a trahie… Quand nous avons traversé le portail, la configuration des îles avait été décidée par Nasparian. S’il cherchait à libérer les terekas de leur stase, il a dû l’interroger, puisqu’au moins elle en avait l’ambition avant lui !

Kavel laissait ses compagnons dans leurs réflexions. Il devait se rafraichir après avoir tant discouru, aussi céda-t-il sa place à Muznarie. Bien que Nasrik eût saisi une partie de ses répliques, bien qu’elle eût elle aussi parcouru l’ouvrage, des nuances devaient encore emplir son esprit. Elle s’accrocha à la traduction de la soldate, attentive comme jamais.

Des secousses se propagèrent le long de la pièce. Guère assez intense pour faire chuter les œuvres de leur étagère, mais assez pour effrayer Muznarie, qui s’accrocha derechef à Yazden. Dans ces perturbations s’incrustait une sensation familiarité, face à laquelle Kavel et Nasrik se dressèrent.

— Encore vous ? attaqua cette dernière, son sang bouillonnant.

Je ne m’annonce que lorsque je le juge opportun, se justifia Zargian. Et justement, maintenant que vous l’avez découvert, je vais vous révéler une information capitale, que je ne pouvais partager plus tôt.

— Laquelle ?

Arphagos Iokaran était mon arrière-grand-mère. Pour les gardiennes et gardiens des générations d’après, elle a été érigée en légende. Je la considérais moi-même comme un modèle même si, hélas, elle n’a su retarder l’inévitable que de deux siècles. Ce qui, par rapport à la durée de la stase, constitue une période insignifiante.

— Vous n’aviez pas beaucoup révélé sur vous…

Tout à fait. À l’instar de Nasparian, le nom que je vous ai donnés n’est qu’un pseudonyme. Pour le reste, je requiers davantage de patience de votre part… et enfin vous serez libres.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Saidor C ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0