Chapitre 28 : Les plus dignes

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Toute figure, aussi surpuissante et vaillante fût-elle, devait s’octroyer du repos de temps à autre. La légendaire reine-impératrice n’était pas une exception.

À quoi ressemblait-elle, lorsqu’elle ne brandissait pas son épée mythique, lorsque son armure dorée ne fulgurait jusque dans les yeux d’une myriade de curieux ? À une personne ordinaire, pour sûr, du moins au premier coup d’œil. Il suffisait de la lorgner en détail, et l’évident se révélait : où qu’elle se rendît, dans toute circonstance, Muznarie Rolog rayonnait indubitablement. Ce jour-là ne s’opposait pas à la norme.

L’unique différence était qu’elle séjournait un peu trop longtemps dans sa chambre selon ses conseillères et conseillers. Qui était envoyé, lors de ce situations critiques ? Faras Forhan, le meilleur d’entre eux. Ludram sympathique à la calvitie naissante et au visage parcheminé, il était réputé pour sa sagesse, un atout dont même la reine-impératrice avait besoin.

Brûlait alors la question : pourquoi lambinait-elle là ? Elle était consciente que ses fonctions ne pouvaient être mises en pause indéfiniment. La reine-impératrice inquiétait ses proches malgré tout, et força Faras à la rejoindre d’un pas plus hâtif qu’à l’accoutumée.

Il la trouva en face de l’embrasure. Depuis le sommet de son château, perché sur une si haute montagne qu’elle tutoyait la voûte céleste, Muznarie contemplait le relief si familier. Si les devoirs ne l’appelaient pas, Faras se serait longtemps pâmé : après tout, immobile ainsi, la reine-impératrice se méprenait à une statue sculptée du plus robuste marbre.

— Glorieuse reine-impératrice ! interpella-t-il. Quelles sont les raisons de votre absence prolongée ?

Sur ces mots, Faras esquissa une révérence, mais la monarque l’interrompit en se rivant vers lui. De nombreux plis constellaient son faciès, comme si un vent morose s’était abattu sans prévenir, et lui avait laissé de redoutables cicatrices. Rien qui pût affaiblir son somptueux halo, mais le saisissement n’en demeurait pas moins conséquent.

— Quel héritage vais-je laisser ? questionna Muznarie.

— Le doute vous assaille ? s’étonna Faras. Ne perdez pas foi, majesté ! Vers qui devrons-nous nous tourner, sinon ?

— Mon pouvoir permet de garder le monde en sécurité… Mais quand je serai partie, que se passera-t-il ? Voilà précisément la source de mes inquiétudes.

— Ce sera dans fort longtemps ! Vos tracas n’ont pas lieu d’être.

— Rien n’arrête le cours du temps, Faras.

Un malaise palpable enveloppa le conseiller. Lui qui partageait l’optimisme de la reine-impératrice, la négativité se transmettait à lui tout aussi aisément. S’arrimer au regard renfrogné de son interlocutrice relevait alors de la véritable prouesse.

— Je…, balbutia-t-il. Je n’y ai jamais pensé.

— Construire un héritage est tout aussi crucial que de maintenir la paix, sur le long terme. Comment m’y prendre ? Il serait peut-être temps de trouver des apprentis, et leur enseigner tout ce que je sais, du maniement des armes aux savoirs diplomatiques.

— N’acquerraient-ils pas seulement une fraction de vos talents ? Juste une hypothèse, je n’ai jamais songé à cette éventualité.

— Une fraction serait déjà exceptionnelle. Mon héritage persistera alors, et mon nom résonnera à travers les siècles.

La reine-impératrice espérait que ses propos inspireraient son conseiller, et ainsi toute crainte déserterait ses traits. Hélas, Faras n’était pas bâti de ce nardos-là, car de la sueur lustrait de son front envahi de plis. Muznarie l’installa sur une chaise grinçante, depuis laquelle il put étendre ses jambes sur un escabeau rehaussé d’un oreiller.

— Vous remplacer…, souffla-t-il. Pardonnez-moi, votre grandeur, mais je ne peux l’imaginer. Ce même si je quitterai ce monde bien avant vous.

— Je ne sais comment vous consoler autrement, déplora Muznarie. Sinon que j’œuvrerai à une tranquillité globale tant que mon corps me le permettra.

— Vous êtes indispensable, Muznarie. Plus que vous ne l’imaginez.

Elle était flattée, l’imperturbable reine-impératrice. Elle était contente, la modeste dirigeante. Toute onde d’inquiétude cessait de la comprimer face à la kyrielle de compliments, ce nonobstant l’angoisse ostensible de son conseiller.

— Vos tourments se dissiperont bientôt, déclama Muznarie. Une fois mon repos terminé, je retournai me battre, héroïne d’aujourd’hui et de demain. La chérubine que j’étais n’aurait jamais imaginé la place que j’occupe dorénavant. À m’asseoir auprès des puissants, à défaire de viles forces, à négocier des armistices. Quand vous affirmez que je suis importante, Faras, vous le pensez vraiment ?

— Sincèrement, confirma Faras.

La reine-impératrice lui présenta son plus beau, son plus long, son plus puissant sourire.

— M’en voici ravie !

Peu après, Muznarie perçut ses propres ronflements.

Étendue dans une perception partielle de la réalité, comme si son réveil se devait d’être atermoyé. Tant que des louanges chatouilleraient ses oreilles, fussent-ils issus de ses songes, la soldate ne se motivait guère à ouvrir les yeux. Elle resterait étalée sur ce large lit, drapée par ses couvertures surannées. Sa main continuerait de pendre dans le vide tandis que sa bave se répandrait sur le matelas.

— Euh… bonjour ? fit Nasrik sur un ton indécis.

Délicatesse était requise lorsqu’il s’agissait d’extirper Muznarie de son sommeil. Précautionneusement, elle lui malaxa l’épaule, mais ne reçut d’abord que des gémissements sporadiques. Elle la secoua avec davantage de vigueur, si bien que le souffle de son bâillement lui cingla la figure.

Face à ses paupières lourdes brillaient des éclats blafards, jurant avec le bleu sombre dont se paraient les murs en nardos, tout comme le vermeil dominant du lit à baldaquin. Ils avaient pulsé des heures durant sans réussir à extraire la militaire de ses rêves. Désormais qu’elle reprenait conscience de son environnement, Muznarie appréhendait cette force inconnue, capable de l’isoler du monde avec un degré d’intensité supérieure aux autres personnes.

Elle éluda cependant cette sombre pensée. S’orienta vers son amie avec le dynamisme des bons matins. Lui tapota l’avant-bras en dodelinant de la tête. Son excès de zèle demeurait insuffisant à ralentir l’empressement de Nasrik.

— Je ne vais pas te reprocher de t’allonger toute la matinée, dit-elle. Pour être honnête, à force de nous éterniser ici, je ne saurais même pas confirmer si la matinée est terminée… ou même si elle a commencé.

— J’ai loupé quelque chose ? demanda Muznarie en enroulant ses mèches graisseuses autour de ses doigts.

— En aucun cas je ne te blâme ! Depuis que Zargian nous a annoncés être l’arrière-petit-fils d’Arphagos, Kavel peine à fermer l’œil. Il trépigne à l’idée d’en savoir plus. Il s’est donc réveillé tôt pour continuer de fouiller les écrits d’ici. Yazden ayant le sommeil léger, elle l’a accompagné, et je les ai rejoints un peu plus tard.

— Et je roupillais pendant tout ce temps ? Comme si… je ne servais à rien ?

Nasrik attrapa la main de Muznarie. Avant que ses traits ne se décomposassent, avant que le glas du désespoir ne l’assourdît. La soldate eut beau apprécier ce toucher, elle ne se détendit pas pour de bon.

— Ne néglige pas ton rôle de traductrice ! rappela Nasrik. Tu nous as été fort utiles jusqu’à présent, et cela se poursuivra ainsi.

— Même si Kavel a fait des progrès considérables dans ta langue en si peu de temps ?

Impossible de manquer le faciès livide de Muznarie, même si ses joues rosies détonnaient. De légers tressaillements l’ébranlaient même et exhortaient Nasrik à maintenir le contact.

— Quoi qu’ils aient pu te dire, consola-t-elle, ne les écoute pas. C’est précisément car je crois en toi que je t’ai réveillée. Tu dois savoir ce que nous avons découvert.

— Où sont Kavel et Yazden ? s’enquit Muznarie.

— En quête de plus d’informations. Parce qu’à moins d’une erreur impensable, Zargian a lui-même écrit ses mémoires. Une autre preuve de son manque d’honnêteté.

Soudain Muznarie rejeta sa tête en arrière, l’oreiller amortissant le choc sur le sommier. Des respirations saccadées soulevaient ses côtes. Déjà qu’elle s’accrochait à son amie, sa grippe se fit aussi vigoureuse que ses forces le lui autorisaient. Nasrik sortit donc le livre de sa besace avec promptitude, ainsi apparut devant les pupilles dilatées de la soldate. Pas un nom n’était immortalisé sur la reliure, mais des demi-cercles étaient gravés sur la couverture de ce colossal ouvrage, surmontant une série de lignes sécantes d’apparence hasardeuse.

Nasrik posa le livre sur le lit, duquel émanait un flux grésillant, authentique, comme impérissable.

— Il y a énormément d’informations, prévint-elle. Nous n’avons pas encore tout lu, mais je voulais partager ce que nous savons avant que nous nous attaquions à la suite ensemble. Tu es prête ?

Muznarie ravala sa salive, toujours aussi pâle.

— Pas vraiment, confessa-t-elle, mais vas-y.

— Tu te souviens de combien la vue de ces sépultures à l’entrée m’avait frappé ? Si l’affliction ne m’avait pas autant rongé à ce moment-là, le bon sens m’aurait dictée d’y rester, et de vérifier chaque nom. Gardiennes et gardiens originaux sont devenus ossements et poussières, succédés par des générations et générations. Cet ordre n’avait pas été conçu pour survivre aussi longtemps… Qu’ils aient tenu vingt-cinq mille ans constitue déjà un exploit en soit.

— Mais certains ont dû survivre, à commencer par Zargian.

— Seule une poignée, je le crains… L’isolement et l’inceste, pour reprendre ses mots, ont eu raison des autres. Quelques-uns ont outrepassé les règles et ont essayé de se rebeller, mais ont été neutralisés similairement à Delcaria. D’autres se sont envolés à dos de krizacles pour rallier Menistas.

— Malgré la barrière magique qui bloquait littéralement le passage ?

— Ils ont décidé de partir… dans l’autre direction. Vers le pôle sud, que personne à leur connaissance n’avait jamais foulé. Ils auraient alors été des pionniers… qui, pour encore citer Zargian, s’apprêtaient à tomber dans les abysses de l’histoire. Les krizacles ne résisteraient pas au froid, et leurs dépouilles finiraient piégées sous les glaces éternelles. Sinistre présage, si tu veux mon avis.

— Et s’il s’était trompé ? S’ils avaient traversé le pôle sud avec succès ?

— Dans ce cas, ils auraient forcément atteint Hurisdas. Ce serait incroyable ! D’après Kavel, personne ou presque n’avait théorisé la présence d’un second continent depuis leur continent respectif. Avant le premier contact entre ludrams et humains, je précise. Mais cette théorie est aussi inconcevable, je le crains. Des fossiles de krizacles auraient été retrouvés en Hurisdas, sinon !

— Sauf si… Enfin, je ne sais pas. J’avoue que je suis un peu perdue.

— Tu élabores malgré tout des hypothèses intéressantes ! Revenons au groupe principal, par contre. Zargian insiste sur l’inévitable déclindes siens, face auquel il s’est senti impuissant. Lui seul avait trouvé le moyen, selon ses dires, de maintenir la stase. Grâce à l’équilibre entre les dogmes d’un ordre plus âgé que bien des civilisations, et les séditions d’esprits brillants et hâtifs.

— Selon ses dires ! Pardon de t’interrompre, mais il ne s’est pas montré un peu évasif ? Impuissant face au déclin des siens ! Ou bien les a-t-il laissés périr pour que sa philosophie prime… Pour qu’il garde le contrôle ?

Muznarie aurait chuté du lit si Nasrik ne l’avait pas rattrapée de justesse. Pour cause, les secousses avaient frappé derechef, accompagnées d’un vrombissement tonitruant. À peine eurent-elles le temps saisir ce qu’il se déroulait qu’un halo iridescent et éblouissant les entortilla, telle une aura malvenue.

Cette salve d’énergie les emporta instantanément.

Tandis que la soldate se ramassait sur le froid dallage, la terekas se réceptionna lestement. La soudaine illumination avait cessé de leur agresser les rétines, mais la semi-pénombre où elles étaient immergées ne les rassurèrent pas davantage. À brûle-pourpoint, Nasrik examina son environnement, et aida aussitôt Kavel à se relever après s’être occupée de Muznarie.

Ils témoignèrent de l’étreinte de Yazden, enserrant Guvinor dans l’ombre de l’arche, ses yeux mouillés de larmes.

— Par la Créatrice, vous êtes sain et sauf ! s’époumona-t-elle. Depuis combien de temps étions-nous séparés ?

— Je l’ignore, admit le politicien. Le temps ne semble pas s’écouler de la même manière ici. Particulièrement pour moi.

L’anxiété creusait des sillons sur les joues de Yazden, ce que ses sanglots n’arrangeaient guère. Encore moins l’irruption de Zargian qui se tenait sur le seuil de la porte latérale. Nul ne lui réserva un accueil amène, même si toute réprobation s’éclipsait pour l’instant derrière leur circonspection. Le gardien ne put progresser d’une foulée sans que les explorateurs ne l’étudiassent avec minutie.

— Qu’avez-vous fait de Guvinor ? tança Yazden, rompant le silence pesant.

— N’a-t-il pas l’air en pleine forme ? se vanta Zargian.

— À l’extérieur, peut-être. Mais maintenant, nous sommes pleinement conscients que votre magie s’insinue en nous… Et ses effets, subtils, ne sont pas nécessairement bénins.

— Une once de souffrance n’est en rien dommageable. Il fallait le préparer.

— Le préparer à quoi ?

Zargian ne la gratifia d’aucune réponse, ce qui amplifia son regard malveillant. Ignorant les attaques de toute part, le gardien se dirigea vers un guéridon, où trônaient quatre bols fumants en émail. Intrigués, et quelque peu affamés, les voyageurs se cantonnèrent à des muettes accusations circulaient avec les plats. Il en tendit un à Guvinor et Yazden, puis donna les deux autres à Nasrik et Kavel, lesquels l’acceptèrent à contrecœur.

— Je crois que vous m’avez oubliée ! sollicita Muznarie en levant frénétiquement le bras.

Une odeur anormale s’exhalait depuis le bouillon. Dedans flottaient des morceaux de poisson aux épaisses écailles violettes, que Nasrik identifia comme gascaron. Ses camarades grimaçaient face à son goût salé, mais la militaire était tout de même jalouse. Nasrik, quant à elle, avala quelques cuillerées avant de détailler son bol.

— J’apprécie le geste, commenta-t-elle. Mais la recette manque d’authenticité. Où est le riz vert ? Ils forment toute la saveur de cette spécialité.

— De l’ergotage ! s’exclama Zargian. Mes priorités se situent ailleurs. La tâche de préserver les techniques agricoles appartient à d’autres.

— Très bien, je ne veux pas me montrer trop exigeante. Est-ce ainsi que vous montrez votre bienveillance, Zargian ? En nous concoctant des moitiés de plats ?

— Offrir la nourriture est un geste universel.

— J’en conviens, mais elle ne nous détournera pas de la façon dont vous nous avez traités.

Des étincelles accusatrices jaillirent de part et d’autre de la pièce. S’intensifièrent à mesure que Zargian et Nasrik se rapprochaient. Là où Yazden et Guvinor gardaient une distance de sécurité, Kavel était exposé. Il refoula toutefois ses tressaillements pour mieux se dresser à hauteur son amie.

Un gargouillement perturba leur concentration.

— Vraiment, je ne veux pas interrompre ! insista Muznarie. Et je ne veux pas non plus abuser de votre hospitalité. Mais comme vous entendez, j’ai…

— Tu devrais faire preuve de davantage de gratitude, dit Zargian. Sans mon intervention, personne n’aurait pu maintenir la stase.

— Nasparian nous en a sortis, mentionna Nasrik, pourtant il reste notre ennemi. De ce que j’ai compris, vous avez surtout retardé notre réveil. De quelques dizaines de millénaires.

— Et si tu m’écoutais, au lieu de faire preuve d’une méfiance excessive ? Au lieu de fouiller dans mes mémoires sans mon autorisation, précipitant un déluge de vérités que vous peinerez à appréhender ?

— Je vous ai déjà écouté ! Je suis las de vos discours ampoulés pendant que le sort de nos peuples se jouent ! Répondez maintenant à nos questions, ou nous partirons. Je n’ai pas été libérée de ma stase pour être piégée dans la cité de Thusred !

Seule la faim empêchait Nasrik de jeter son bol au visage du gardien. Courroucée, elle se rassasia de rapides cuillérées, puis compatit de la détresse de Muznarie. Il y avait de quoi la détourner de Zargian, bien qu’il fût l’obstacle entre elle et la militaire. Il s’empara même du bol que Nasrik offrit à Muznarie, au grand dam de cette dernière.

— C’est de l’acharnement ! critiqua Kavel, trimant à hausser le ton.

— Je pensais mes actions explicites, soupira Zargian. Il va falloir clarifier tout cela.

Sur un cri de Muznarie tomba le bol, qui se brisa sur le dallage. Plusieurs morceaux frétillaient sur une mare salée s’infiltrant sur les interstices. Quitte à subir le regard dédaigneux du gardien, la jeune femme avala goulûment le gascaron, et se régala malgré la sévérité de son jugement.

Zargian se positionna alors au centre de la pièce, depuis lequel il interpella les explorateurs, un air grave intaillé sur ses traits.

— Les circonstances pourraient être plus favorables, déclara-t-il. Cependant, considérez que mes interventions s’apparentaient à des épreuves, dont le but était de savoir qui parmi vous était digne. Dehol l’était, et malheureusement, il a préféré suivre la destinée de quelqu’un d’autre.

— De quoi serions-nous dignes ? s’impatienta Yazden.

— D’une part, de comprendre pourquoi, en dépit des soixante-sept mille années écoulées, les terekas ont été extraits trop tôt de leur stase. D’autre part, comment nous pouvons tirer avantage de cette situations défavorable pour bâtir un avenir l’idéal. Peut-être n’ai-je pas acquis votre confiance absolue, mais vous me devez néanmoins votre totale attention.

— Vous plaisantez ? lança Kavel. Vous n’ignorez pas les tourments infligés… encore moins le nombre de morts, pas vrai ?

— Kavel, tu es digne, mais tu pourrais faire mieux. Aussi tragique fût la perte de ton frère aîné, arrête de la laisser te définir.

— Personne ici n’apprécie la manière dont vous parlez, Zargian. Et puis, quels sont vos critères pour juger quelqu’un de digne ?

— Ils sont d’une simplicité aberrante. Il suffit que vous ayez un lien avec ces lieux. Que vos capacités soient au niveau. En ce sens, l’identité de l’intruse est tout sauf une surprise. Un sourire outrecuidant illumina le visage de Zargian. Il désigna une soldate tressaillante, à qui il pointa catégoriquement la porte.

— Pars, somma-t-il.

— Comment osez-vous ? s’emporta Nasrik. Son rôle de traductrice est capital pour…

— Nous nous comprenons parfaitement même si je dois alterner entre deux langues pour converser avec vous. La magie méphitique avec laquelle Nasparian l’a empoisonnée est désormais caduque.

— Je refuse ! décida Muznarie. D’accord, je ne suis pas la plus utile du groupe, mais j’ai envie de savoir le…

— Tu n’es pas digne. Et si tu es trop stupide pour le comprendre, il est temps pour toi de revenir d’où tu viens.

Kavel et Nasrik s’interposèrent. Yazden bondit vers Zargian. Au mépris de leurs hurlements, ils ne furent pas capables d’affaiblir le flux qui s’accumulait autour du poignet du gardien. Un rayon blanchâtre et bleuâtre émergea de ses mains et enveloppa l’impuissante soldate, qui n’eut même pas le temps de geindre.

En un instant, elle fut encore téléportée. En un instant, elle dut renoncer à ce lointain passé.

— Toi, ici ? s’étonna Ralaïk. Mais comment ?

Même si une douleur minime lacérait son dos, même si une nuée supplémentaire de cris lui perçait les oreilles, Muznarie concédait le confort relatif. Enfin elle jouissait de la caresse des rayons du soleil que la canopée tamisait. Un vent ondulait à travers les arbres et s’abattait sur sa broigne, démêlant ses mèches au passage. Une senteur végétale, tantôt teinté d’un parfum fleuri, avait aussi de quoi ravir ses narines. Elle inspirait de grandes goulées d’air, accueillait cette fraîcheur à pleins poumons. Sur ce lit verdâtre, à proximité des tentes, elle était parée à s’isoler d’une profonde sieste.

Des dizaines de militaires s’étaient massées autour d’elle. N’était son lancinant mal de crâne, Muznarie se serait redressée. Elle remarqua les silhouettes, les unes curieuses, les autres inquiètes, leurs murmures chantant jusqu’à ses oreilles. Parmi eux se trouvait Parza, le cœur battant à tout rompre, le visage si plissé malgré son âge.

Daref écarta sa fille avec douceur et avisa sa subordonnée étendue devant lui.

— Comment tu es revenue ? questionna-t-il.

— Ha, commandant ! s’écria Muznarie. Vous n’êtes pas content de me rev…

Daref empoigna Muznarie par le col, angoissé, la fixant jusqu’au fond de ses prunelles.

— Où est ma femme ? paniqua-t-elle. Où est la générale ?

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