Chapitre 34 : Les abysses dissimulées (2/2)
— Les réponses se situent-elles vraiment ici ? interrogea Zekan à voix basse. Avais-je raison d’intégrer ce groupe ?
Tenté de s’arrêter, le barde se contenta de ralentir. De larges marches s’enfonçaient certes vers d’insondables abysses, mais des spirales céruléennes, traçant des motifs lumineux sur les murs en fezura, éclairaient le lisse dallage parfaitement préservé. Il régnait une chaleur agréable au sein du temple, éloignée de l’étouffante humidité de l’extérieur, mais aussi du froid anticipé en de telles profondeurs. Nulle senteur n’émergeait non plus des lieux, toutefois cadencés les sifflements d’une magie atavique.
De quoi exhorter Zekan à emboîter le pas de ses camarades, n’étaient ces questions qui trottaient son esprit. Remarquant sa moue sous ses pupilles dilatées, Makrine lui saisit l’avant-bras et l’entraîna à son rythme.
— Quelles peurs te paralysent ? murmura-t-elle. Rappelle-toi que nous sommes ici ensemble, et que je vous protègerai à ma manière.
— Je me demande juste si j’ai ma place avec vous, songea Zekan. Des dizaines de militaires et marins chevronnés nous accompagnaient. Des figures puissantes, entourées de prestige… Et pourtant me voici, musicien à mes heures perdues.
Makrine lui flanqua un sourire doublé d’un coup de coude amical.
— Hé ! interpella-t-elle. Nous sommes célèbres, maintenant. Notre présence dans ce temple est justifiée et basée sur un consensus.
— Tout de même, rétorqua Zekan. N’ai-je pas été motivé par l’égoïsme ? Dans ce cas, je vais me sentir stupide… Quel que soit ce qui a été construit ici, je suis sûr que c’est antérieur à l’émergence du Mowa, cette fois-ci. Peut-être aurais-je dû suivre les autres… Pourvu qu’ils aillent bien, d’ailleurs.
— Je m’inquiète pour eux aussi, à vrai dire. Seule Vazelya aurait pu les protéger de Nasparian, et maintenant qu’elle n’est plus de notre côté, leur seul espoir consiste à forger une alliance coûte que coûte. Mais même si cela arrive, nous ne le saurons pas avant un moment. Combien de temps explorerons-nous ce temple ?
— Cela reste à savoir.
Makrine soupira bruyamment, quitte à attirer l’attention sur elle. Son sourire s’était réduit à un simple rictus.
— Dire que j’étais censée te rassurer ! dit-elle. J’ai encore échoué. Mais quelque chose me turlupine. Comment peux-tu affirmer avec autant de certitude que cet endroit précède l’apparition du Mowa ? Une sorte d’instinct ?
— Non, contesta Zekan. Il est juste clair que nous marchons dans l’incarnation même de l’ancienneté.
— De la spéculation, en somme ! Elheof ne nous a pas encore beaucoup parlés.
— Il n’en a pas eu besoin. Et rappelle-toi aussi ce que Héliandri disait…
Makrine se mit à rire sans la moindre transition. Un tel éclat suscita la curiosité de ses amis, aussi se ressaisit-elle aussitôt, non sans opiner en direction de son ami.
— Dans ce cas, conclut-elle, ce n’est plus l’égoïsme qui t’impulse. Tu peux descendre avec nous sans te sentir coupable… Découvrons ce qui se cache ici-bas.
Rarement Zekan avait-il vu une telle ambition chez son amie, même si sa détermination devait occulter un voile d’incertitudes. Tous deux réprimèrent quelques frissons au moment de rejoindre leurs compagnons.
Bientôt s’élargirent leurs perspectives. Ils n’avaient que trop sollicité leurs muscles à force de descendre des centaines de marches, mais leur visage s’illumina dès que la salle se dévoila à eux.
D’innombrables cristaux hérissaient le plafond sinon jalonné d’une roche omnicolore. Toute couleur s’y reflétait, se projetait jusqu’aux rainures du sol veiné de vônli. Dans cette immense mais basse pièce se déployèrent des colonnes légèrement courbées, intaillées en profondeur, entre lesquelles sillonnait un flux crépitant. Chaque fois qu’il effleurait les coraux parsemés sur les interstices, des échos rebondissaient jusqu’aux murs veinés de bleu.
Une douce mélodie qui laissa Mélude guillerette et admirative, bien qu’aucun parfum ne la complétât. Tout sourire, elle apostropha Makrine et Zekan, qui ne s’enthousiasmait pas autant malgré leur air contemplatif.
— Quelle privilège nous avons d’être ici ! s’ébaudit la chanteuse. Nous allons écrire l’histoire une fois de plus ! Alliant fidélité et épique, si possible.
— Nous verrons si ce privilège dure…, contrasta Makrine.
— Hé, pas de défaitisme entre nous ! Nous en sommes revenus vivants la dernière fois, non ? Alors il n’y a aucune raison que ce ne soit pas le cas ici !
La guérisseuse imagina une multitude de répliques sans en formuler la moindre. Rien ne justifiait de réfréner l’effervescence avec laquelle Mélude explorait son environnement, encore moins d’affecter sa félicité. La circonspection d’Ijanes et Pernia suffisait à elle-même, tant ils inspectaient avec minutie, trahissant seulement une expression émerveillée de temps à autre.
Elheof les interpella, et tous le suivirent immédiatement. Ils convergèrent au centre de la pièce, se pâmèrent devant l’enchevêtrement d’arcades garnies d’abstruses esquisses. Sous cette voûte papillonnaient des orbes éclairant une table anthracite et rectangulaire, lestée d’une kyrielle d’ouvrages, de cartes et de parchemin en papier suranné.
D’un claquement de doigts, ils lévitèrent sous leurs yeux ébahis, et se mirent même à clignoter, comme s’ils étaient impalpables.
— Papa ? appela Elheof, pétri d’inquiétude.
Tout à coup apparut une silhouette intangible, une série d’images rémanentes prompte à perturber chacun des témoins. Quand il se stabilisa, Havaden paraissait aussi éthéré que son fils, dévoilant la complexité de ses traits sur sa figure allongée au menton volontaire et sous l’épaisseur de ses cheveux blonds. Un simple regard dans ses larges yeux gris, dépourvus d’éclat révélateur, suffit à pétrifier quiconque s’y plongeait. Mince et de petite taille pour un ludram, sa complexion bleu foncé contrastait elle aussi avec Ijanes et Pernia, lesquels le détaillèrent avec distance en enrayant un soubresaut. Sur son ample manteau de riche étoffe était constellée une vingtaine d’identiques symboles en forme de pointe. Ils suscitèrent moins de curiosité que les glyphes tracés le long de ses poignets, où deux cercles se superposaient, traversés par une ligne diagonale.
Havaden chercha à étudier ses hôtes, mais l’étreinte de son fils l’en empêcha. Insensible de prime abord, ses yeux s’étrécirent et ses lèvres se plissèrent. Il s’inclina pour mieux caresser le dos d’Elheof.
— Un bien étrange personnage, commenta discrètement Pernia à son partenaire. C’était vraiment à ce type de rencontres qu’on aspirait ?
— Contentons-nous de les guider pour le moment, suggéra Ijanes. Quoique, si nous comprenons mieux ce qu’il se passe, nous pourrions peut-être contribuer autrement…
Bien que Havaden ne les entendît pas, ses pupilles se dilatèrent et intimidèrent les marins sitôt qu’ils les croisèrent. Ils se référèrent à Wixa, unique personne à rivaliser avec son aura, et que Mélude exhorta à agir sans subtilité. Chaque foulée que la guide faisait, distraite par le clignotement des ouvrages alentour, Héliandri lui emboîtait le pas.
Elles se placèrent droit devant Havaden, qui écarta délicatement son enfant pour mieux les jauger. Malgré leur proximité, les aventurières n’osèrent s’approcher davantage à cause de l’énergie irradiant de lui. Inspirations et expirations sans qu’il ne prononçât le moindre mot, au lieu de quoi il saisissait livres et parchemins avant de les laisser flotter derechef.
— Je prends note de notre rencontre, déclara-t-il d’une voix gutturale, presque caverneuse. J’absorbe le savoir environnant. À consommer avec parcimonie, cela va de soi.
Une onde de confusion se propagea en un éclair. Des réponses s’étouffèrent dans leur gorge nouée. Où que leur esprit vagabondât, ils ne purent s’extirper de Havaden, dont l’emprise s’intensifiait passivement. Seule Wixa restait impavide, même si les poils de sa nuque se hérissèrent.
— Nous apprécierions plus d’éclaircissements, sollicita-t-elle.
— Je dois juste m’adapter à votre présence, expliqua Havaden. Mon fils et moi avons eu le privilège d’être les premières à redécouvrir Kazgorat depuis des temps immémoriaux.
— Je vous préviens, fulmina Héliandri. Si vous dites aussi que nous sommes indignes de fouler ces lieux, je vais…
— Rien de tel ! Rien de tel. Je tenais juste à préciser ceci : maintenant que cette relique s’est hissée des abysses, elle doit être préservée à tout prix. Je recommande donc une exploration respectueuse.
— Tant qu’ils nous fournissent les réponses…
— Évidemment. La question est plutôt de savoir si votre âme est capable de les encaisser.
Joie et malaise bataillaient sur les traits de Zekan, moins furtivement qu’il ne l’eût espéré. Pendant que Makrine et Mélude s’enquéraient de lui, Héliandri en profita pour attraper une carte en vol, mais elle lui échappa aussitôt des mains. Havaden et Elheof la considérèrent alors avec un air intrigué.
— Une volonté de t’illustrer par le geste, devina le père. Avant de partir, nous gagnerions à nous entretenir en privé. Pas que bardes et marins méritent d’être écartés des secrets… mais il faut juste se montrer préventifs.
Derrière lui s’érigeait un mur bâti en solides fondations, strié d’aspérités. Néanmoins, plus Havaden s’en rapprochait et plus il paraissait se désassembler, vibrant au rythme de ses foulées. Il n’eut qu’à tracer un cercle de son index et une porte incurvée en émana. Quelques murmures pantois se répercutèrent sans qu’il ne les considérât, entrant avec diligence.
Wixa et Héliandri le rejoignirent dans son isolation, mais leur progression se fit hésitante, dénuée de sérénité.
Le sentiment s’amplifia une fois que le claquement les sépara de leurs compagnons.
Wixa canalisa subrepticement, histoire de se préparer à toute éventualité, et se rasséréna alors. Dans sa lumière, Héliandri aspira à pareille quiétude, et s’en rapporta aux grimoires si bien agencés le long des étagères. Il y avait aussi quelque chose d’apaisant à admirer les ondulations magiques affluait sur les fentes, surtout qu’il passait de l’azur au mauve entre ses pulsations sporadiques.
Ce ne fut qu’après un silence prolongé que Havaden s’intéressa de nouveaux aux aventurières :
— Vous êtes un livre ouvert. Habituées à frôler avec la mort. Vous avez tout à craindre ici, et pourtant vous vous présentez devant moi.
— Épargnez-nous de vos paroles énigmatiques, s’impatienta Héliandri. Vous avez peut-être des questions, mais nous aussi. À commencer par ce que vous avez fait à votre fils ! Tant que vous ne vous justifiez, nous n’avons aucune raison de nous fier à vous.
Il eut beau feindre l’insensibilité, la façade de Havaden se décomposait à vue d’œil. Courbant ses doigts à hauteur de sa hanche, il se calma suite à une longue inspiration, bien que les foudres du jugement s’abattissent encore sur Héliandri. Wixa saisit son poignet, lui implora de retirer ses propos, mais son amie s’opiniâtra envers et contre tout, nonobstant l’hostile magie sifflant à proximité.
— Je vais blâmer cette accusation sur le fait d’un jugement hâtif, dit Havaden sur un ton aussi neutre que possible. Sinon, je croirais que vous me soupçonnez d’être un ennemi sur base d’avoir ramené mon propre enfant à la vie. Quelle autre raison que l’amour que je lui porte aurait pu me motiver ?
— Pardonnez Héliandri, fit Wixa, elle n’a pas pensé à…
— À m’irriter ? Il m’en faut davantage. Admettons qu’elle parle sans réfléchir. N’y aurait-il pas une pointe d’hypocrisie dans son attitude ?
Toute réplique fut retardée le temps que Havaden détailla Wixa. Si cette dernière ne flancha guère, elle dut transmettre une part de flux salvateur à sa partenaire, tant elle peinait à dissimuler sa transpiration.
— Je suis un peu déçu, soupira Havaden. Es-tu vraiment Héliandri Jovas, l’aventurière téméraire ayant fait trembler les institutions ? Tu as choisi la mauvaise personne sur laquelle cracher ta haine. Ne penses-tu pas que le monde serait meilleur si chaque vie était pleinement vécue ? Si guerres et famines n’existaient plus, et que le trépas ne surviendrait qu’à la toute fin, paisiblement ?
— Je…, hésita Héliandri, essuyant la goutte perlant sur sa tempe. Ce sont des problèmes moraux ! Je dois y réfléchir.
— Pas la peine. Ta priorité devrait être ta quête. Il s’agit littéralement de ta profession, si toutefois elle peut être qualifiée ainsi.
— Je n’ai pas besoin qu’un mage empreint de sagesse me rappelle l’évident.
— Ta propension à la provocation est un signe de manque de confiance en toi. Enfin… Je ne voulais pas verser dans mes affaires personnelles, surtout car je dispose d’un autre moyen de prouver mon intégrité.
Havaden claqua des doigts de plus belle, desquels jaillit un arc étincelé. Tout autour retentit alors un clapotis, des flots d’immense pression qui menaçaient de rompre la paroi du temple. Du moins était-ce ainsi que ses invitées le percevaient, même si rien ne se mouvait alentour, sinon leur hôte lui-même. Bras derrière le dos, tête légèrement baissée, une quinzaine de livres voletèrent derrière lui et formèrent son sillage.
— Moi-même, admit-il, il me reste des secrets à percer. Figurez-vous que je vis ici depuis seulement quelques mois.
— D’où venez-vous ? questionna Wixa.
— Mes origines revêtent peu d’importance. Si vous tenez tant à le savoir, j’ai grandi dans le quartier de Sor-Goja, un faubourg d’Argouk, capitale du Menkaop. Loin de la rivalité des délégations vous accompagnant, en somme.
— Qu’avez-vous découvert ? demanda Héliandri.
— Si pressées… Comme je l’ai mentionné, tout porte à croire qu’appréhender tout le savoir gravé dans cette relique nécessitera plus que ma personne. Jamais un passé aussi lointain n’avait été accessible si facilement. Pour l’instant, j’ignore s’il s’agit encore d’une aubaine ou malédiction.
Héliandri s’autorisa un rictus de fierté malgré la désapprobation de sa partenaire.
— Pour nous, lança-t-elle, la réponse est facile.
— Je pardonne cette transgression, dit Havaden. Il se pourrait que votre présence soit un atout. En ce sens, Elheof a agi avec discernement.
— Donc vous n’êtes pas un érudit calé en la matière ? fit Héliandri. Ça, pour une surprise ! Nous pourrions être utiles l’un pour l’autre.
— Ce que je sais déjà, je peux vous le partager. Kazgorat ne possède aucun lien apparent avec les terekas. Pourtant, même s’ils ne sont qu’une poignée à lambiner sur les plages, la magie imprégnant ces murs… s’est renforcée dès que vos vaisseaux ont accosté.
Intriguées, Wixa et Héliandri se regardèrent en haussant épaules et sourcils.
— Si Kazgorat s’est hissé des abysses en même temps, songea la guide, comment êtes-vous persuadé qu’il n’y a aucun lien ? D’autant que, sauf erreur, vous n’avez exploré ces îles, tandis que j’y ai séjourné pendant des mois entiers.
— Menkaop est isolé, concéda Havaden, mais il serait insultant de conclure que nous ne sommes pas au fait des récents événements. Mes observations sont basées sur une méthode rigoureuse.
— Ha ! Qu’il est avisé d’allier science et magie.
À peine Héliandri reçut le coup d’œil improbatif de Wixa qu’elle marmonna des excuses entre ses dents. Pourtant Havaden avait à peine cillé à son tacle : il tournait en rond dans la pièce, toujours accompagné de ses ouvrages. Bien que ses invitées se fussent habituées à son aura, elle se calèrent à la lueur émergeant dans ses iris.
Lorsqu’il s’immobilisa, elles se rivèrent d’autant plus sur lui.
— Je sais ce que j’ai vu ici, dit Havaden, et ai pu comparer facilement. Aucune écriture. ne correspond à la langue employée par les terekas : il s’agit même d’un autre alphabet. Similairement, les divinités représentées ici ne correspondent pas au panthéon du Mowa. Ni d’aucune croyance de Menistas ou de Hurisdas.
Ce fut entre deux aventurières pantoises que Havaden se positionna. Il contrôlait le rythme avec laquelle il partageait ses trouvailles, quitte à distiller de l’impatience chez ses interlocutrices. Même figée ainsi, Héliandri trépignait à outrance, un sourire ambitieux se dessinant sur ses lèvres. Le gardien s’en amusa avant de se diriger vers la porte magique, sur il apposa ses paumes.
Des filaments violets fusèrent, s’entremêlèrent, chuintèrent. Une colossale quantité d’énergie gravitait autour de lui, si bien que Wixa se précipita à son aide. Toutefois Havaden refusa, inébranlable face à un tel déploiement de pouvoir.
Quand le flux ralentit, quand un grondement commençait à sourdre des gonds, Havaden regarda Héliandri et Wixa avec une assurance suprême.
— Il ne faut pas autant d’énergie pour ouvrir une simple porte, rectifia-t-il, fût-elle magique. J’entamais juste les préparatifs pour… l’exploration des abysses.
— Devons-nous aller encore plus bas ? s’inquiéta Wixa.
— Vous avez déjà descendu bien assez de marches. Disons plutôt que vous allez tout de suite comprendre la particularité unique de Kazgorat. Ici, la plupart des ruines sont restées au fond de l’océan.
Des murmures intéressés se propageaient de part et d’autre du mur. Alors que la porte s’ouvrit, et que le flux se dissipa momentanément, Havaden franchit promptement la séparation.
— Inutile de vous angoisser, annonça-t-il. Nous sommes protégés par une magie ancestrale : jamais les flots, aussi tumultueux soient-ils, ne nous submergeront.
Dès que Héliandri et Wixa le rejoignirent, saluées par leurs camarades mus par une ardeur nouvelle, toutes deux ouvrirent la bouche en grand. Une rivière s’était déroulée en leur absence, et s’enfonçait dans l’opacité. Deux petits bateaux tanguaient au ras de la pierre lisse : dotées d’un revêtement métallique, leur étrave pointue était sertie du même glyphe que celui le poignet de Havaden.
Elles s’illuminèrent au moment où ils posèrent le pied sur la passerelle. Chaque vibration, comme irréelle, contractait leur cœur et serrait leur gorge, mais ils s’engagèrent malgré tout. Pendant qu’Ijanes et Pernia se coordonnaient afin de manœuvrer les navires, Héliandri et Wixa talonnèrent Havaden pour rejoindre le capitaine, là où Mélude, Zekan et Makrine montèrent sur le bateau de la navigatrice juste après Elheof.
Sur des tergiversations à moitié exprimées débuta la suite de leur périple. Même si le cours d’eau s’élargissait à mesure que le courant les emportait, des esquisses semblables à la salle d’où ils venaient peignaient les murs, éclairant le passage à l’instar de l’étrave.
Tout juste s’étaient-ils embarqués que Pernia ne put réprimer un rire. Elle éluda les regards préoccupés d’autrui, mais quand elle avisa Zekan à proximité, elle le sollicita avec discrétion.
— Je repensais à ce que tu racontais, glissa-t-elle. Sur les croyances de ces lieux.
— Tu nous as entendus ? s’étonna le barde.
— Je n’étais pas bien loin devant, et lorsqu’on navigue, il faut avoir l’ouïe fine. Tu sais, je ne suis pas spécialement dévouée à Ytheren, mais la religion est une partie importante de l’enseignement, au Ryusdal.
— Et donc ?
— On mentionne rarement sa rivale, Uslaren. Quand on dit que Ytheren règne sur les océans, et nous accueille à notre mort, il y a un élément qu’on omet souvent.
Zekan eut beau ravaler sa salive, s’agrippant à Makrine, il échoua à se détourner de la conversation. À éviter le discours de Pernia, qui elle-même contenait à peine ses frissons.
— Dans notre croyance, expliqua-t-elle, Uslaren est jalouse d’Ytheren. On rapporte qu’elle arracherait les âmes qu’Ytheren n’a pas encore recueillie, histoire d’avoir un peu de compagnie dans son sanctuaire. Vertueuse ou mauvaise, Uslaren s’en cogne, tant qu’elle ne se morfond pas dans solitude, donc ça n’a rien à voir avec un jugement divin.
La navigatrice compatit avec les affres de son interlocuteur, bien qu’elle laissât à ses homologues le soin de le consoler. De son côté, elle se fixa sur les écritures s’incurvant sur les parois, comme happée par un message insaisissable.
— Cette rivière ressemble drôlement au sanctuaire d’Uslaren, murmura-t-elle.
Annotations
Versions