Chapitre 38 : Contourner l'impasse

14 minutes de lecture

Jamais Héliandri n’avait pensé que sa précédente exploration lui avait tout révélé des civilisations disparues. Elle fut pourtant envoûtée sitôt que les bateaux atteignirent l’autre rive souterraine.

Ses compagnons réagirent pareillement.

Portés par un courant favorable, dépourvu de traîtresses chutes, ils avaient abouti à leur destination. À un endroit toujours dénué de vie, mais non de magie, tant elle palpitait de chaque interstice. Derrière des arcades artistiquement sculptées, identiques à celles de leur lieu de départ, moult représentations étaient gravées sur les murs. Si tous notèrent la similarité avec celles ayant jalonné leur trajet, ils constatèrent que le matériau employé ne correspondait ni à du fezura, ni à du vônli.

Héliandri bondit hors du navire sitôt sa coque eut touché le rebord. Sous l’arche filait cette exploratrice hâtive, qui effleura cette nouvelle paroi de sa paume. Et ouvrit grand les yeux chaque fois qu’un autre vrombissement tonna jusque dans ses temps. Aussi assourdissant fut le bruit, Héliandri était si fascinée que cela ne l’importuna guère. Un instant des fissures lézardaient chacune de ces fondations bleuâtres, le suivant elles se résorbaient en un battement de cils, pulsant au rythme d’un organe vital.

— Bienvenue au cœur de Kazgorat ! lança Havaden sur un ton solennel. Vous devez avoir beaucoup de questions, auxquels mon fils et moi nous efforcerons de répondre.

Il rejoignit l’aventurière sur ces paroles, Wixa et Elheof lui emboîtant aussitôt le pas. Bien que les bardes prissent davantage de temps à les rattraper, éblouis par les courbes gravées céans, ils se manifestèrent d’autant plus Il en fut de même pour Ijanes et Pernia, puisqu’ils s’occupèrent de stabiliser les moyens de transport, quoique l’agitation de l’eau s’avérait trop faible pour constituer une véritable menace.

Des interrogations demeurèrent alors en suspens, car Havaden et Elheof s’inclinèrent sans prévenir. Dans ces abysses circulait une titanesque quantité de magie dont ils bénéficièrent grandement, même en puisant une fraction. Des particules iridescentes dansèrent autour de leur silhouette ébranlée par ce contact avant pénétrer en eux. Ils étaient l’authentique réceptacle d’une énergie qui n’avait jamais dormi. Fût-ce passager, l’éclat émergeant dans leurs iris transperça les alentours, envoûta quiconque en témoigna.

Havaden et Elheof en sortirent avec une placidité légendaire, constituants naturels de leur environnement. À chacune de leurs foulées se répandaient de nouveaux sillons nitescents. Tantôt ils s’imprégnèrent jusqu’au plafond, tantôt ils s’infiltrèrent dans les profondeurs de la rivière souterraines. Accomplis, silencieux, père et fils se murent le long de la paroi, sans accorder la moindre attention à autrui.

Jusqu’au moment où Héliandri les apostropha.

— Vous ne dites rien ? s’étonna-t-elle. Votre air énigmatique ne nous aide pas beaucoup, je le crains.

Havaden posa un instant ses mains sur les épaules de son enfant, suite à quoi il fronça les sourcils en direction de l’aventurière.

— Quelle impétuosité ! s’exclama-t-il. Il me semblait que, chez les humains, acquérir des cheveux gris revenait à gagner en sagesse. Était-ce juste une idée reçue ?

Même si Makrine pouffa derrière elle, Héliandri ne lui en tint pas rigueur, préférant croiser les bras avec un air insensible. À ses côtés s’empressa Wixa, dont les traits se déparaient de rides révélatrices.

— Ne gaspillons pas notre temps en provocations ! préconisa-t-elle. Si nous nous trouvons ici en ce moment, c’est parce que nous partageons les mêmes objectifs.

— Cela reste encore à prouver, contredit Havaden.

— Ha oui ? lâcha Héliandri, poings contre ses hanches. Allons-nous être mis à l’épreuve, encore une fois ?

— Ce ton sarcastique permanent ne vous rend pas plus sympathique. Quoi qu’il en soit, Elheof se chargera des explications initiales. Il doit bien montrer qu’il a appris beaucoup de choses, lui aussi.

Une pression accabla subitement l’enfant quoiqu’il ne laissât rien transparaître. Elheof poursuivit sa marche sur un acquiescement déterminé et s’approcha davantage des fondations. Tout juste ses mains les frôlèrent que le matériau trépida à plus haut rythme. De surcroît, tous se calèrent dès que son doigt s’enfonça légèrement.

D’apparence impassible, Elheof se retourna auprès de la compagnie, son intense regard particulièrement focalisé sur les aventurières.

— Vous pouvez confirmer ? lança-t-il.

— Confirmer quoi ? fit Héliandri, dubitative.

— Le matériau derrière s’appelle le madrok. C’est aussi le résultat de la magie, mais différent de ce qu’on trouve ailleurs. Je voulais juste savoir si vous en aviez déjà vu par le passé.

— Non ! Comment il a été conçu ? Quelle est son origine ?

— C’est toujours une énigme. Le fezura et le vônli devraient suffire à protéger l’édifice de la pression des abysses. Ce que papa et moi avons compris, c’est que le madrok se veut plus flexible.

— Comme si les lieux étaient en perpétuel changement, alors que l’histoire a déjà été écrite…

— Votre interprétation, pas la nôtre. Papa m’a raconté que la stase des terekas n’était pas supposée durer aussi longtemps. Donc Kazgorat a été créé pour durer longtemps. Très longtemps.

Ce fut en présence d’une audience estomaquée qu’Elheof marqua une pause, durant laquelle il revendiqua au soutien de son géniteur. Mélude s’interposa pendant ce laps de temps, bondissant au-delà de la structure où ses camarades étaient restés. Ses yeux pétillaient, ses poils se hérissaient, et sur ses lèvres se dessinait sa soif de savoir.

— Je n’ai nulle intention de presser qui que ce soit, déclama-t-elle, mais les réponses risquent d’être fulgurantes ! Mon but est simplement de donner le contexte : nous qui avons exploré des terres inconnues, l’année d’avant, nous ne sommes pas au bout de nos surprises ! D’abord de nouvelles créatures émergeant aux confins de l’hémisphère sud, et maintenant un matériau inédit ? Ha, si seulement Kavel était présent avec nous, il aurait écrit de longs paragraphes entièrement dédiés à cette salle !

— As-tu terminé ? s’impatienta Havaden. Car tu viens d’interrompre mon fils.

— Pardon, pardon ! Mais je lis le mépris dans vos yeux, Havaden, comme si vous étiez contraint de nous guider à l’intérieur de Kazgorat. Les stigmates que je porte de ma précédente expédition sont plus qu’évidentes. Pour résumer : nous ne sommes pas n’importe qui ! Rien que voyager jusqu’ici représente une importante distance parcourue !

— À une lointaine époque, peut-être. Mais depuis des siècles, et les contacts entre ludrams et humains, les trajets entre Menistas et Hurisdas se sont banalisés. Il en est de même pour votre exploration au-delà des ruines de Dargath. Combien de centaines, voire de milliers de curieux foulent désormais le territoire des terekas ?

— Certes, mais nous étions les premiers ! En quelque sorte. Où que nous nous rendions, nous revenons avec assez de matières que pour écrire de nouvelles ballades !

— Voilà précisément le problème.

Mélude ravala sa salive, puis épongea son front perlé de sueur.

— Vous n’allez pas être un obstacle ? s’inquiéta-t-elle. Vous n’êtes pas comme lui ?

— Nasparian ? dit Havaden. Tu peux prononcer son nom, il n’est sans doute pas au courant de mon existence, et doit être fort occupé là-bas. Par ailleurs, ces comparaisons doivent cesser. Tout n’est pas prétexte à rédiger des ballades, figure-toi ! Certaines choses… sont hors de leur portée.

De tels propos glacèrent le sang de la chanteuse en sus de tordre ses traits, si bien qu’elle se réfugia auprès de ses homologues. S’invisibiliser était inconcevable, pourtant elle s’y échina, surtout après que Havaden lui eût décoché un regard malveillant.

Très vite, cependant, Mélude cessa d’être le centre de l’attention.

Héliandri menaça de s’effondrer. À brûle-pourpoint, elle s’accrocha d’une forte poigne à Wixa, laquelle la soutint avec pareille vigueur. Une énergie initialement inconnue la fendit de part en part, mais quand d’aveuglantes étincelles se matérialisèrent, elle localisa la source. Des grésillements heurtèrent ses tympans, des spirales s’entortillèrent autour de ses membres, et du flux s’écoula en elle comme s’il s’agissait de son propre sang. Le tout sous l’impuissance de ses alliés, sidérés par un tel déploiement de pouvoir, et l’inaction de ses hôtes.

Un instant durant, l’aventurière fut en symbiose avec son environnement. Peu la distinguait de son amie, tant ses yeux brillaient d’un éclat similaire, fût-ce éphémère. À ses pieds se déroulait une colonne de magie absolue. Elle était d’une pureté sans égale, marque d’une époque résolue, mais ébranlait Héliandri au-delà du raisonnable.

Wixa lui saisit l’avant-bras, captura une partie du rayonnement. Plus leur lien se renforçait et plus les effets de la magie s’adoucissaient. Mieux encore, Héliandri commença à en bénéficier, réceptacle d’un flot dont elle appréhenda la puissance. Intense mais douce caresse, un contact transcendant les aspects physiques, un voyage hors de ces profondeurs sans qu’elle n’en aperçût les contours.

Une porte s’ouvrit sur un grondement, si tonitruant que même Havaden et Elheof sursautèrent, leur cœur manquant un battement. Deux parois délimitèrent une longue allée où le madrok continua de s’illustrer, même si ses palpitations avaient ralenti.

— Impressionnant, commenta Havaden. Devrais-je donc reconsidérer l’exploratrice expérimentée ?

Héliandri réagit à peine à la mention : elle se tenait encore à Wixa, qui elle-même oscillait. Une démesurée quantité de magie sifflait encore à proximité, et avant de se fondre dans son environnement, elle persistait à houspiller les aventurières. Avisant leur équilibre précaire, Makrine accourut pour les soutenir, mais elles se stabilisèrent en peu de temps.

Un intervalle durant lequel le guide et son fils s’étaient déjà approchés du couloir. Mains croisées derrière le dos, de profonds sillons parcheminant leur faciès, ils n’accordèrent qu’un coup d’œil de biais à leurs invités.

— Il existe donc des connexions qui ne trouvent pas d’explications immédiates, conclut-il. J’imaginais, qu’en ces lieux, votre histoire passée n’aurait qu’une signification symbolique.

— Vous ne savez pas comment ce phénomène s’est produit ? s’étonna Ijanes.

— Qui croyez-vous que je suis ? N’avez-vous pas assez croisé d’individus supposément surpuissants ? Je ne suis qu’un humble mage, motivé par la même curiosité que la vôtre.

À son tour, Havaden effleura les interstices du mur. Une chiche lueur s’embrasa alors sur ses doigts, parcourut son poignet, et une sensation de bien-être le conquit. Il y eut de courtes secondes de répit. Subséquemment, il s’intéressa derechef à la compagnie, surtout à Héliandri et Wixa, encore secouées par ce déluge inopiné.

— C’est un savoir rassurant, dit-il. Vous ne foulerez pas Kazgorat en intruses. Vos camarades, en revanche…

— Elheof nous a demandé de venir pour nos talents de navigation, rappela Pernia. Si notre contribution se termine maintenant, pas de problème, nous resterons ici. Tant qu’il y a encore des provisions, bien sûr !

— Restez avec nous ! proposa Zekan. N’avez-vous pas envie de découvrir ce qui se terre en ces lieux ? Après tous les services que vous nous avez rendus, vous l’avez mérité !

Pernia haussa des épaules puis opina.

— J’avoue être tentée ! s’exclama-t-elle. À force de vous accompagner, on finit par s’intéresser à ces secrets d’antan. Sauf que nous risquons d’être un poids mort. À la limite, Phiren et Amathane auraient été plus utiles.

— L’histoire ne mérite pas d’être connue que par une poignée de spécialistes, rétorqua Makrine. Quelle importance que vous estimez ne pas pouvoir contribuer directement ?

Proche de s’enfoncer vers cette nouvelle voie, Havaden se retourna brusquement, et toisa la barde avec la même sévérité que son homologue quelques minutes plus tôt.

— Là est ton erreur, lâcha-t-il. Je pensais avoir été clair : Kazgorat ne ressemble à aucune ruine, aucun édifice que vous avez exploré auparavant. Les réponses ne se dévoileront pas juste car vous les avez exigées.

— En quoi est-ce différent de nos précédentes expéditions ? demanda Héliandri, arquant un sourcil. Les terekas s’expriment dans une autre langue, utilisent un alphabet différent, même ! Nous ne serions pas là si nous nous arrêtions aux premières difficultés.

— Je le répète, Kazgorat précède l’émerge de l’écriture dans toute civilisation. De plus, les souvenirs de ces terres ne vous étiez pas accessibles, car la magie s’offrait à vous. Ici, il faut la mériter.

— Au vu de ce qu’il m’est arrivé, j’estime que c’est mon cas.

— Quid de tes autres compagnons ? Devons-nous lambiner ici jusqu’à ce que ces enchantements murmurent à leurs oreilles ?

— Je n’ai pas une grande sensibilité à la magie, vous savez. J’ignore pourquoi elle a communiqué avec moi, mais je ne serai sans doute pas l’exception. Havaden, permettez-moi d’être claire. Nous ne laisserons personne derrière. Si vous refusez qu’ils viennent, je ne vous suivrai pas.

De ses yeux surgit une résolution inouïe. Par sa posture, Héliandri compensait sa différence de taille avec Havaden, lequel fut momentanément enrayé. Il échangea un regard sibyllin avec son fils, et tous deux communiquèrent en silence durant de longues secondes. Suite à quoi Elheof s’engagea dans le couloir, son visage encore et toujours dépourvu d’expression.

— Soit, se résigna Havaden. Inutile perdre notre temps en futiles débats. Nous devrons faire avec : suivez-nous.

Mélude réprima un cri de joie, hélant Ijanes et Pernia sur un saut enthousiaste. Elle se positionna à hauteur de Makrine et Zekan, eux-mêmes derrière Héliandri et Wixa. Bientôt un group compact chemina dans cette allée s’engouffrant sur une longue distance, pourtant dépourvue de l’obscurité caractéristique de ces profondeurs.

Salle après salle, ils restèrent subjugués.

En trois décennies d’exploration, jamais Wixa et Héliandri n’avaient avisé de semblables phénomènes. Un aspect changeant singularisait chaque pièce où la compagnie mettait les pieds. Tantôt de massifs piliers soutenaient un plafond voûté et serti de mosaïques, tantôt un vent forcissait aux alentours et serpentait dans les creux d’une vallée fertile. Tantôt des étagères saturées de grimoire s’illuminaient de part et d’autre d’un dallage poli, tantôt des arcades rocheuses surplombaient les dunes d’un désert rayonnant d’ocre. Tantôt des ponts en fezura joignaient des plateformes circulaires surmontant d’insondables gouffres, tantôt des calottes glaciaires délimitaient une banquise sinon infinie.

Le madrok vibrait continuellement autour des explorateurs, mais parfois devait se recharger. Alors les salles redevenaient symboles de vacuité, et les parois, aussi bleues fussent-elles, apparurent bien ternes en comparaison de ce qu’elles pouvaient déployer. C’étaient toutefois des moments propices au repos, à la restauration, à la réflexion.

— Je suis confus, avoua Zekan. Havaden, je pense que vous avez omis des éléments cruciaux.

— Ce ton suspicieux me déplaît, répondit le mage. La paranoïa n’a pas sa place à Kazgorat, lieu de partage de connaissances par excellence.

— Je ne suis pas un spécialiste de la magie, mais ce dont nous avons témoigné… Cela me paraît tout bonnement impossible.

— Il ne s’agit pas d’illusions, si c’est ce qui t’inquiète.

— Il y a tout de même une incohérence dans votre récit ! Comment pouvez-vous être persuadé que Kazgorat a été érigé antérieurement à l’apparition de l’écriture ?

— Sinon nous en aurions déjà trouvé des traces. Quels que soient les esprits derrière sa création, ils ont élaboré d’autres moyens pour communiquer.

Entraîné par son élan, Zekan fut néanmoins devancé par Makrine, mue par une comparable impulsion.

— À aucun moment vous ne vous êtes questionné là-dessus ? lança-t-elle. Ces pionniers maîtriseraient une forme de magie unique, capable de prouesses qu’aucune civilisation ultérieure n’a été capable de reproduire, et pourtant l’écriture serait de la portée. Zekan a raison : ce n’est pas logique !

Havaden s’emporta dans un éclat de rire, si puissant qu’il s’arc-bouta contre le mur attenant, et dut même essuyer ses larmes.

— Et vous vous prétendez expérimentés ? se moqua-t-il. N’avez-vous pas appris à éliminer toutes vos préconceptions après être allés sur le territoire des terekas ?

— C’est différent ! rétorqua Héliandri. Leur histoire a été oubliée avec les millénaires, mais une fois révélée, la temporalité est logique. Qu’en est-il de Kazgorat ? Comment un édifice encore plus ancien a-t-il pu passer inaperçu ?

— La relique ne s’est hissée qu’après la fin de la stase. Enfoncer ces constructions dans les abysses semble être une technique fort usitée pour dissimuler le passé… Il reste à pleinement établir leur lien.

— Par où débuter ? demanda Wixa. Les pistes sont maigres, et Kazgorat a l’air de beaucoup plus s’étendre qu’au premier regard…

Au lieu de répondre, Havaden s’orienta auprès des bardes, mais aussi du capitaine et de la navigatrice, autour desquels il tourna avec circonspection. Il effectua plusieurs rotations, quitte à les mettre mal à l’aise, quitte à s’attirer la perplexité de son propre enfant. De pourpres étincelles crépitaient à chacune de ses foulées.

— Vous avez encore tout à prouver, déclara-t-il. Vous serez néanmoins soulagés de savoir que ce que vous cherchez, ce lieu peut vous l’offrir.

Ce disant, il s’immobilisa en face de Zekan, à qui il coula un coup d’œil d’autant plus inquisiteur. Le concerné évita de flancher, surtout grâce au soutien de Makrine et Mélude.

— Toute une mythologie s’est développée en ces temps-là, affirma-t-il. Sans qu’elle ait la moindre connexion avec le Mowa, cette fois-ci. Il n’appartient qu’à vous de la découvrir… si tant est que vous vous montrez assez patients.

Pétrifié, Zekan dut compter sur les sollicitations de ses camarades. Figé, il n’aperçut son interlocuteur s’éloigner que du coin de l’œil. Havaden s’enfonçait dans l’allée contiguë en compagnie de son fils, et exigea à ses invités de s’adapter à leur vitesse. À bout de souffle, Zekan s’exécuta néanmoins, se fondant dans la compagnie avec un parfait mutisme.

Un véritable dédale s’étendit à mesure qu’ils poursuivirent leur périple. Heures puis jours défilèrent, du moins tant qu’ils en gardaient le compte. Bien qu’il leur fût impensable de s’accoutumer à ces anomalies manifestes, ils s’adaptèrent à cette succession de projections, s’évertuèrent à en tirer une signification. Entre de grandes étendues et des salles exigües se révélait une pléthore d’informations abstraites.

Alors qu’ils parcouraient un couloir si ressemblant aux précédents, Havaden et Elheof se mirent à chuchoter. Non un échange bref, plutôt une longue conversation qui n’eut de cesse d’intriguer leurs invités. Héliandri accéléra quelque peu la cadence, mais au moment où elle parvint à leur hauteur, l’enfant s’était déjà retiré. Et Havaden l’interpella aussitôt.

— Voilà un moment adéquat à la discussion, murmura-t-il. Je supposais d’ailleurs que cette question pendait au bout de tes lèvres.

— À propos de quoi ? demanda l’aventurière.

— Est-ce que toutes ces projections t’ont détournée de l’essentiel ? Tous ces piliers auraient dû t’intriguer. Cette œuvre ne t’a pas parue familière ?

— J’en ai témoigné aux ruines de Dargath. J’attendais d’en découvrir plus avant de commenter. Vous savez, chaque fois que vous parlez, tout devient encore plus nébuleux dans mon esprit.

Havaden étrécit les yeux, s’adaptant au rythme de l’aventurière.

— Ha oui ? fit-il.

— Comment en savez-vous autant sur les ruines de Dargath et sur les terekas ? insista Héliandri.

Des pupilles dilatées transpercèrent la lueur alentour. La main volant à son menton, Havaden s’apprêta à éclaircir la situation, mais il y songea plus longtemps que Héliandri n’eut anticipé.

Distraite, elle marcha accidentellement sur une dalle traîtresse, qui s’enfonça sur un cliquetis. Un vrombissement ébranla alors le couloir.

— Attention ! hurla Wixa.

Elle plongea sur son amie, la secourut d’une justesse d’un bloc manquant de s’écraser sur elle. De ce choc retentissant se propagea une colonne de poussières. Sur une quinte de toux, étendues sur le pavé, Héliandri déplora d’être séparée de ses compagnons, pendant que Wixa s’assura que sa partenaire fût saine et sauve.

— Des pièges ici ? s’écria Héliandri. Comment allons-nous…

Malgré son inquiétude apparente, Havaden se limita à épousseter son manteau, ensuite de quoi il indiqua aux aventurières la direction à suivre.

— Nous les retrouverons en temps voulu, dit-il. Kazgorat est un labyrinthe qui n’a de cesse de nous reprendre.

— C’est ainsi que vous réagissez à l’idée d’être séparé de votre fils ? s’indigna Héliandri.

Un sourire se dessina au bout des lèvres de Havaden.

— Nous nous retrouverons bien assez tôt, affirma-t-il. Je pensais que tu l’avais réalisé, Héliandri. Tôt ou tard, nous finirons par converger au même endroit.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Saidor C ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0