Chapitre 42 : Noble incursion (3/3)

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Aux confins du globe, de l’échelle des particules à celui des monuments, un pouvoir millénaire avait surgi. Manipulé dans toute sa variété, il n’exhibait pas le moindre signe de tarissement.

Longtemps n’était perçu que le chant de l’océan dans cette partie de l’hémisphère sud. Des flots d’une sérénité exemplaire, tantôt perturbés par des bourrasques, submergeaient des reliques insoupçonnées. Ce n’était guère un ordre naturel : des vibrations, issues du fond, remontaient parfois à la surface, mais nul ne pouvait témoigner de ces vagues se troubler.

Ces bouleversements de jadis s’apparentaient à une vétille, en comparaison de ce jour. Là où des littoraux scintillaient sous l’effet de la bataille, les eaux plus profondes s’assombrissaient d’heures en heures. Fracassements, fulgurations et déflagrations coalisaient en une macabre mélodie. Chaque grain de magie, fût-il isolé, convergeait vers deux figures. Elles déployaient un flux qui ne leur appartenait plus. Parées à déchirer les fondations du monde, prêtes à cumuler les éléments dans des piliers éblouissants.

Des plis avaient beau creuser son faciès, ses genoux avaient beau ployer sous la pression constante, ses expirations et inspirations avaient beau se saccader, Vazelya canalisait continûment. Plusieurs cicatrices striaient sa peau à force d’avoir recouvert ses blessures à coup de soin magique, mais il en allait de même pour son ennemi.

Son visage s’éclaircit alors : Nasparian trahissait des signes d’essoufflement.

— Tu es une adversaire exceptionnelle, reconnut-il. Tu as testé mon endurance… ainsi que ma patience.

— Il n’y aurait pas dû y avoir de dommage collatéral, regretta Vazelya, réprimant tout sanglot. Tu m’as tendu un piège !

— Auquel tu t’es jetée tête baissée. D’une certaine manière, nous nous sommes unis, et les faibles en ont payé le prix.

— Il s’agit de ton œuvre, pas de la mienne !

Dans son poing crispé se matérialisa un tourbillon noirâtre. Jamais Vazelya n’avait dévisagé quelqu’un avec tant de haine. Elle franchirait tout rempart qu’il élèverait contre elle. S’il le fallait, les incidents devaient être occultés, et les gémissements d’agonie arrêteraient cesseraient de la tarauder.

Des gouttes chutèrent sur cette terre vierge, cisaillée et calcinée.

— Leur sacrifice ne sera jamais oublié, déclara-t-elle. Ils auraient compris que c’était nécessaire.

— Tout ceci sera vain si tu ne peux m’atteindre, nargua Nasparian.

— Même lorsque tu concèdes mes talents, ton arrogance t’aveugle encore. Qui es-tu, engeance, pour influencer autant ces terres selon tes désirs ? Qui es-tu, monstre, pour dicter les voie de la magie, l’énergie suprême depuis l’aube des temps ? Qui es-tu, sinon un instrument du chaos ? Qui es-tu, sinon un fléau qu’une force salvatrice s’assurera d’annihiler ?

Vazelya s’élança sur cette impulsion et aussitôt ralentit face à deux colonnes de flux. Elles déchirèrent la surface avant de s’enfoncer dans les entrailles dans la terre. Anticipant un gouffre insondable, la mécène avisa des rougeoiements perforer sa rétine.

— Un mage compétent sait exploiter pleinement son environnement, se targua Nasparian.

Une abondance de sueur ruissela le long de ses bras malgré son refroidissement magique. Outre le grondement menaçant, les profondeurs elles-mêmes se rompaient sous la remontée du magma. Yeux dilatés, son cœur pulsant comme jamais, Vazelya dut se retirer de plusieurs foulées.

Seule son égide la préserva de la coulée de laves. Des sillons encerclèrent le terrain d’affrontement, isolèrent davantage Nasparian et Vazelya. Déjà la forêt avoisinante avait été rasée dans son intégralité tandis que la vallée chevauchante avait été déchiquetée. Même la montagne se fendait à force d’être impactée.

Dans ce ravin dominé d’anthracite, les roches rutilantes détonnaient à leur manière. Elles virevoltèrent autour de Nasparian, lequel s’érigeait avec hardiesse même si les hautes températures le martelaient aussi.

Il y eut un court moment de silence, chargé de tension, lors duquel les adversaires s’évaluèrent de plus belle. Un regard prompt à transpercer l’âme, à déraciner chacune des pensées. Des heures entières s’étaient égrenées sans issue à l’horizon. À mesure qu’ils se dévoilaient, néanmoins, Nasparian montra des tressaillements. Tout juste perceptibles.

Cela lui suffit.

Vazelya canalisa une profusion de magie. Ni les brûlures, ni la douleur ne l’entraveraient outre mesure, quitte à encaisser chaque projectile que Nasparian lui envoyait. Trop de déchirures se produisaient autour d’elle, derrière lesquelles le glas carillonnait, mais elle refusait de laisser les ténèbres la submerger.

Des flots conséquents collisionnèrent sur un éclat digne d’un déluge. Quelques piliers incandescents joignirent le ciel aves la croûte fracturée. Une myriade de particules tournoyait autour des réceptacles, s’amplifièrent jusqu’à construire une dense barrière d’orbes.

Elles se réunirent en un seul point que Vazelya retint sous ses doigts courbés. Se renforcèrent malgré les ripostes de Nasparian. Ce furent alors ses pupilles qui se dilatèrent : sa stature se fragilisa par-devers une magie dont il avait perdu le contrôle. La lave déborda de sa rivière, mais se solidifia bientôt sur la décharge de la mécène.

Nul bouclier n’était en mesure d’atténuer un tel éblouissement. Une lumière impératrice impacta Nasparian qui la reçut en hurlant. Et l’éclat entama son ascension, aspirant à tutoyer le ciel, à rivaliser avec la tour du savoir. Et l’éclat triompha des minutes durant, foyer d’une énergie atavique. Et l’éclat mit des minutes entières à faiblir.

Derrière son bouclier annihilé, renversé plusieurs mètres plus loin, Nasparian était étendu au creux de la désolation. Il était envahi de brûlures et lacérations, saignait comme rarement il avait saigné. Même son masque s’était rompu sous le choc, et dévoila de nouveau ses traits juvéniles.

Un instant d’hésitation pouvait être fatal, aussi la mécène refusa de se laisser attendrir, de lui accorder fût-ce une seconde. Des étincelles jaillissaient encore de ses mains, bien qu’elle peinât à puiser du flux dans cet environnement stérile. Elle savoura chacune de ses foulées tout en se hâtant.

— À l’aide ! hurla soudain Nasparian. Aidez-moi, tout de suite !

— Tu supplies pour ta vie ? s’étonna Vazelya. De toute mon existence, ce doit être la plus pathétique scène qu’il m’ait été donné de voir. Aie au moins la décence de partir avec dignité !

Une part d’elle était tentée de prolonger ce moment. De s’ébaudir sous les frissons de cette impavide force de la nature. D’assister à la décomposition de Nasparian, sondant désespérément une échappatoire. Ce qu’elle rejeta contre un sort lancé promptement.

Mais les krizacles avaient déjà atterri entre elle et sa cible.

Une douzaine de ces créatures la cernait, lui occultait la vue. Griffes et crocs s’illuminèrent alors qu’elles la contemplaient de leurs globes d’orichalque. Il ne lui fut pas non plus concédé la moindre trêve, ce qu’elle comprit à la façon dont ses nouveaux adversaires fouettèrent l’air de leurs queues.

Rassemblant ses bras, la mécène invoqua sa propre égide, sur laquelle les coups s’abattirent telle une averse, se multiplièrent depuis toute direction. Contrainte en posture défensive, Vazelya s’inclinait peu à peu sous le poids des collisions. Les sources d’enchantement s’étaient raréfiées, et les particules clairsemées manquaient à ses appels. Pourtant elle modéra ses tressaillements, surtout quand elles avaient recourbé leurs ailes massives. Pourtant elle ne se rendit pas sous l’impact des pattes menaçant la stabilité de sa protection.

— Il était un guerrier ordinaire, se remémora-t-elle. Adelris Frayam maniait sa hache avec adresse, mais ne maîtrisait pas le plus banal des sorts. Même lui a réussi à occire l’une d’entre vous. Comment moi, héroïne des temps présents, légendes universelles pourraient se courber face à vous ?

Frémissements après frémissements la traversèrent. C’était une impulsion passagère, agréable compte tenu des circonstances. Absorber les rémanents de magie environnante relevait du défi, et affaiblissait une égide déjà fort endommagée, mais elle n’envisageait aucune autre réplique.

Vazelya délivra une salve colossale de flux, qui partit à une vitesse démesurée, déchira les écailles des krizacles, et les perfora en un instant.

Vazelya triompha de l’adversité, souriant sitôt que les créatures s’effondrèrent. Leur ultime gémissement ne pouvait s’éloigner davantage de leur rugissement caractéristique. À la fin, malgré l’histoire contenue en eux, elle n’aperçut les krizacles qu’à travers un amas de chair et d’os.

Vazelya ne jubila pas longtemps. Projetée dans la débâcle, elle chercha son adversaire, mais il avait déjà parcouru une grande distance. À peine pouvait-elle distinguer ce point dans le ciel éclaircissant : l’adversaire déchu, s’accrochant à la monture, s’échappant d’une défaite cuisante.

Vazelya sentit son sang bouillonner.

— Où te rends-tu, espèce de lâche ? tonna-t-elle. Je t’ai vaincu, tu ne peux survivre ! Tu ne peux réchapper miraculeusement à ton destin ! Reviens immédiatement, ou je te traquerai jusqu’à l’autre bout du monde, et je…

Sans ses indignations, un mutisme total se serait emparé des lieux. Toute magie avait été exploitée jusqu’à sa dernière particule. Dans un tel contexte, il n’était guère surprenant que des sanglots parvenaient à ses oreilles. Le village se situait toutefois à l’est, là où la voix écorchée avait surgi du nord.

La mécène chemina en contrebas. De douloureux pincements serraient son organe vital tandis que son estomac se nouait. Tôt ou tard, la silhouette aurait grandi dans sa vision, mais elle ralentit malgré à elle à mesure qu’elle se rapprochait. Il lui suffisait de clore les paupières, et elle serait épargnée des tourments. Il lui suffisait de se couvrir les tympans, et son esprit s’allègerait des dégâts volontaires.

Inévitablement, elle retrouva Julari, qui se bornait à étreindre son ami en dépit du trou béant de son estomac. Dans un frisson, Vazelya identifia le rayon qu’elle avait dévié, achevant sa trajectoire sur son protégé.

Elle avait tué Dehol.

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