Chapitre 45 : Briser les entraves (1/2)

6 minutes de lecture

« Cher journal,

Je m’ennuie beaucoup ici.

Combien de temps s’est écoulé depuis que j’ai été jetée dans cette cellule ? Des semaines, des mois ? Impossible de savoir, tant les journées se succèdent sans se différencier !

Il n’y a pas l’ombre d’un procès à l’horizon. Après son célèbre coup d’éclat au parlement ryusdalais, l’on eût imaginé que priorité serait donnée à sa tentative d’assassinat. Voilà la seule pensée qui me console : Héliandri Jovas doit être scandalisée que la sentence n’ait pas encore décidée !

Seules des rumeurs laissent présager de mon sombre futur. Serai-je transférée au barbant Nirelas, ou aurais-je la chance de rester ici, à admirer l’étendue océanique çà et là parée de coraux ? Une âme compatissante affirmerait que mon jeune âge m’épargnerait une peine à perpétuité. Mais même si c’était le cas, une fois que je sortirai, je ne serai plus au pic de ma forme, et adieu ma carrière d’assassin ! Alors que ce vaurien de Phiren, lui, aura le privilège de « collectionner » aussi longtemps que ça lui chante.

L’empathie… Une bien belle formule, éloignée de ma présente réalité. Mes geôliers n’en affichent pas le moindre à mon égard ! Apparemment, je suis assez dangereuse que pour être méprisée, mais pas assez pour être crainte ! Soit ils me dévisagent avec une condescendance suprême, proches de me cracher à la figure, soit ils me lâchent les rares insultes qu’ils ont retenues en nirelais. J’ai dû longtemps insister pour qu’ils accèdent à mes requêtes. Une plume, un carnet, une cinquantaine de romans d’amour, je ne pense pas être si exigeante !

Peut-être est-ce le moment où je m’installe, je médite, et je regrette. Une jeunesse gaspillée à cause d’un geste raté. La fortune n’était pas de mon côté, et maintenant, j’ai tout le temps pour ruminer.

Enfoirée de Héliandri. Enfoirée de Wixa. »

Un éclair de douleur cisailla le poignet de Loureja. Se pinçant les lèvres, la détenue relâcha sa plume et prit garde de ne pas renverser de l’encre sur son lit. Entre deux soupirs, elle admira l’esthétisme de son écriture, mais elle déchanta vite face à la vacuité envahissante.

Loureja s’endormit dès qu’elle eut refermé le carnet.

Elle escomptait un lendemain similaire, un surlendemain redondant. Peut-être que cuisinières et cuisiniers regorgeraient de créativité, et lui feraient découvrir d’autres merveilles de la gastronomie locale. Peut-être qu’elle essuierait encore et toujours le dédain des gardes, et feindrait l’insensibilité. Peut-être qu’elle envelopperait de nouveau le squelette avec ses draps et laisserait son imagination gribouiller le récit de cet anonyme.

Deux jours après s’être immergée dans ses notes personnelles, l’assassin perçut un sifflement inhabituel.

Elle apercevait la clarté vespérale au moment où le son parvint à ses oreilles. D’un bond elle s’extirpa hors de son lit, d’un autre elle se positionna à hauteur des barreaux torsadés, où elle enroula ses mains.

Il était ardu de distinguer quoi que ce fût depuis sa cellule. Mais quand une sombre fumée boucha ses narines, Loureja décida de combler sa vision incomplète. Des filaments carminés scintillaient le long du couloir, sillonnaient les mosaïques, diffractées à travers la grille.

Les lames tailladèrent sans merci.

Geôliers et geôlières tombèrent l’un après l’autre. Même avec des fentes aussi étroites, Loureja devinait les marques vermeilles striant leur armure. Quelques-uns brandirent lances, boucliers et hallebardes, tous échouèrent à se dérober, voire même bloquer, tant les attaques étaient assénées avec rapidité. Des hurlements de géhenne emplirent la prison alors que l’inconnu enchaînait aisément les meurtres. Il cisailla, égorgea et transperça, implacable. C’était une silhouette intangible, ralentissant à peine lorsqu’il tranchait dans le vif.

Les cris des prisonniers composaient une mélodie dans les oreilles de la jeune fille. Bien qu’ils revêtissent peu d’intérêt aux yeux de l’assassin, la plupart se réfugièrent sous leur lit. Pas Loureja. Elle s’accrocha vigoureusement au barreau, et jubila face à ce spectacle. Derrière l’intrus s’accumulait tant de dépouilles qu’elle pouvait admirer la précision avec laquelle ils avaient été décimés.

Chatoiement et miroitement impactèrent la rétine de Loureja. Face à cette magie souveraine, où teintes cramoisies et fuligineuses s’associaient harmonieusement, ses yeux ne pouvaient que pétiller. Ce même lorsque le flux s’approcha d’elle et sectionna les barreaux d’un coup net.

Dès que la liberté se présenta à elle, Loureja assista à la matérialisation de cette figure. Grand pour un ludram masculin, sa tunique anthracite et boutonnée soulignait sa carrure longiligne, tandis qu’une cape en laine de même couleur oscillait sur ses mouvements fluides. Des longues boucles cendrées encadraient un visage carré, mangé par une épaisse barbe de jais. Quoique la détenue ne pût discerner son âge, elle décela l’ambition gravée sur ses iris ambrés, tout comme l’estafilade sur sa tempe. Il venait de rengainer ses dagues smaragdines à sa ceinture où étincelait encore du flux.

Un frisson courba son échine quand il la détailla de la tête aux pieds, un sourire indicible au coin des lèvres.

— Qui est donc mon bienfaiteur ? demanda Loureja sur un ton faussement innocent.

D’abord elle fut accueillie par un silence, lors duquel l’inconnu joignit les bras et haussa les sourcils. Aux murmures d’agonie s’ajoutaient les derniers sifflements d’une magie s’infiltrant dans chaque interstice.

— Trazec Vensaron, révéla-t-il d’une voix éraillée.

— Oh ! s’exclama Loureja en frémissant. Quel honneur pour moi ! Tu es le premier terekas que je rencontre.

— Je ne m’identifie plus à ce peuple.

— Je n’en doutais pas moins.

Quand les traits de Trazec s’obscurcirent, Loureja presque ses propos, et refoula un tressaillement.

— J’étais dresseurs de krizacles, expliqua Trazec. Mais ils ont échappé à mon contrôle… La vocation de toute une existence, perdue à travers le passage des âges. Si ce monde n’a plus de sens, je dois lui en trouver un, dussé-je dérober des vies sur mon sillage.

— Quel rapport avec moi ? questionna Loureja, perplexe.

— Sans son intervention, j’aurais sans doute commis l’irréversible. Il m’a guidé vers une voie sanglante où je pourrai m’épanouir. Un chemin… où tu peux aussi avoir ton utilité.

— Tu proposes de me recruter ? Comme ton assistante ?

— Comme mon apprentie. Je ne prétendrai pas que tu rivalises avec moi… pour le moment. Tu seras ravie d’apprendre que Velk Dysmidan n’est plus. C’est grâce à Nevaleir. Il susurre à mes oreilles, complète mes gestes.

Loureja se força à sourire, toutefois une onde d’inquiétude la submergea. De la sueur lustrait même son front à force de demeurer en sa présence. Bouche bée, écarquillant des yeux, elle dut puiser dans son courage pour le fixer.

— Nevaleir ? s’écria-t-elle, manquant de s’étrangler. Le dieu du Mowa ? Je n’ai jamais entendu parler d’intervention divine aussi directe ! Ce qui signifierait… que toutes les autres croyances sont fausses ?

— Je n’ai pas fait irruption pour débattre de théologie, dit Trazec. Ceci dit, Nevaleir m’a investi précisément pour cette raison. Pour ma frustration de découvrir combien de nouvelles religions se sont développées durant ma stase. Et qu’avant mon retour, elle était même considérée comme minoritaire par rapport au Runyavoz et à l’Enhéralion.

— C’est une longue tirade, pour quelqu’un ayant une montagne de cadavres derrière lui.

— Justement, allons droit au but, avant que d’autres gardes ne doivent mourir.

— Pourquoi moi ? Si tu jugeais Velk faible, qu’est-ce que je suis ? Après tout, je lambinais dans cette cellule comme une vulgaire criminelle !

La jeune femme n’aurait pu se figurer un sourire plus comblé éclaircir un visage.

— Velk n’était pas faible, rectifia Trazec. Son arrogance posait problème. Ses… contradictions. Lui qui se targuait d’être l’instrument du chaos, il avait une obsession maladive avec la guilde, un ordre aux règles étouffantes. Toi, en revanche… Tu es plus dissidente.

— Comment ça ?

— Tu as été arrêtée uniquement car une magie surpuissante a été invoquée. Avec moi, tu pourras libérer ton potentiel. Néanmoins, je te laisse le choix. Tu peux aussi partir de ton côté, et peut-être poursuivre ta quête solitaire.

Loureja serra la main de Trazec sans une once d’hésitation, son étincelle d’ambition rivalisant avec la sienne. Deux sourires s’érigèrent au milieu du carnage, parmi les détenus apeurés.

— Un accord scellé, déclara Trazec. Un engagement irrévocable. Partons, à présent. Sois même rassurée : tu n’auras pas à te tracasser des monstres marins.

Quand la jeune femme réalisa, des particules voletèrent de plus belle autour d’elle. Ni une, ni deux, elle se saisit de son carnet de notes et s’ébaudit à la vue de ses tortionnaires occis, puis se plaça dans l’ombre de Trazec. Juste avant que la magie les emporta loin de cette île, Loureja avisa qu’une poignée de survivants claudiquaient, leurs blessures trop légères pour en succomber.

Et avec Trazec, il ne s’agissait pas d’une erreur.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Saidor C ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0