Prologue
Les flammes dansent devant mes yeux. Mes genoux me font mal, mes yeux aussi tant ils sont envahis de larmes. En face de moi, je ne peux qu’observer ma maison brûler. Toute ma vie, tous mes souvenirs, tout ce que j’aimais est en train de partir en cendres. Un hurlement retentit à l’étage, une voix féminine. C’est le déclic.
Je me relève lentement, sentant la fureur m’envahir. Je me précipite vers l’entrée, ignorant la caresse des flammes qui m’entourent. La chaleur à l’intérieur est insoutenable, et ce qui était ma maison ressemble désormais à l’enfer. Absolument tout est recouvert de flammes, crache de la fumée, il fait si chaud que j’ai l’impression que mon corps même est en train de s’enflammer. Mais je ne suis focalisé que sur une chose : le hurlement.
L’escalier semble fragile mais ne s’est pas encore effondré, par chance. Le bois craque sous mes pas en envoyant des braises. Ma main tremble sur le pommeau de mon épée, dont la lame doit sûrement être chauffée au rouge dans son fourreau. Tout tremble autour de moi et l’air est noir de cendres, mais je poursuis mon chemin. J’arrive sur le palier sans encombre. La fumée est encore plus présente qu’en bas, elle me donne l’impression d’être directement dans mes yeux. À ma gauche, une porte barricadée par des poutres effondrées, rougeoyantes de feu. À ma droite, la porte tient bon mais la poignée semble sur le point de fondre.
— Anna ? j’appelle d’une voix rauque.
Aussitôt, j’aspire une grande bouffée de fumée qui me fait tousser et cracher mes poumons pendant des secondes interminables. Une douleur me plie en deux alors que la toux ne semble pas vouloir me laisser. Lentement, la douleur se dissipe et la toux s’arrête. Un nouveau hurlement retentit juste à ma droite, si fort qu’il me fait sursauter. Je me relève aussitôt, dégaine mon épée et enfonce la porte d’un coup de pied.
L’appel d’air crée une explosion de flammes qui me propulse en arrière. Essayant d’ignorer la douleur derrière ma tête, je me redresse sur mes coudes et observe l’intérieur de ce qui était la chambre d’enfant.
En plein milieu de la pièce, un être vêtu d’un plastron en cuir noir, de vêtements simples pour le reste, un foulard rouge noué autour de son nez pour filtrer l’air. À ses pieds, une jeune femme à la chevelure d’or que je reconnais immédiatement. Anna, ma femme. Elle ne bouge plus. Mon regard pétrifié se pose à nouveau sur l’autre, et malgré le foulard qui lui cache la moitié du visage, je reconnais ses yeux, ses traits durs. Je n’avais pas vu mon frère depuis des années.
Dans ses bras, il tient quelque chose soigneusement enveloppé dans des draps de soie. Deux petits poings en sortent et s’agitent furieusement alors que des pleurs retentissent. C’est mon fils, Owen. J’essaye de me relever, de lui hurler de me rendre mon fils, mais je suis à bout de force. Mon frère plante ses yeux dans les miens et hurle de sa voix grave quelque chose qui me hantera toute ma vie :
— La gloire de Manassé ne disparaîtra jamais !
Il déploie ses ailes – argentées parcourues de violet sombre – et avec un large rictus sur le visage, il prend son envol, emportant mon fils et la vie d’Anna d’un simple battement.
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