Chapitre 9
Le matin du septième jour, tout s’enchaîne brusquement. Nous sommes réveillés, non par les coups de pieds d’Emily dans les barreaux, mais des cris.
— Ils donnent une fête ? demande Shirley d’une voix pâteuse, mal réveillée.
Mon ouïe affinée ne perçoit plus les légers gémissements habituels dans les cellules. Tandis que Shirley se frotte les yeux, je tends l’oreille pour mieux entendre. Non, ce ne sont pas des cris de joie… Des hurlements de terreur, des épées qui s’entrechoquent… Des combats.
— Shirley, lève-toi. Viens là.
Je lui tends la main sous son regard interrogatif. Elle semble finalement réaliser ce qui se passe, ou peut-être voit-elle simplement la gravité de la situation sur mon visage. En tout cas, elle saisit ma main, saute sur ses pieds et se plante à mes côtés contre le mur.
La respiration saccadée, nous attendons. Que pouvons-nous faire d’autre ? Je sens sa main trembler dans la mienne. Les hurlements se rapprochent, des cris de guerre, j’entends même un coup de feu, assez éloigné pour ne pas être entendu par la petite.
Parmi tous ces bruits, j’entends à peine quelqu’un courir dans le couloir. Par réflexe, je me place devant Shirley, prêt à la protéger de mes poings.
Quelqu’un s’arrête devant notre cellule et nous dévisage avec un grand sourire de soulagement. C’est un Kamkal grand, les cheveux noirs et gras, la peau sale, les yeux et les traits tirés de fatigue. Ses ailes sont de la couleur argent habituelle. Ses vêtements sont en lambeaux et tout aussi sales que sa peau, voire pire.
— Ici ! hurle-t-il à plein poumons à des gens que nous ne voyons pas. Deux de plus ! Un adulte et une enfant !
Il sort un trousseau de clés et déverrouille notre cellule. Je n’ai pas le temps de demander ce qu’il se passe qu’il ouvre la porte en grand et me tend une épée.
— Joignez-vous à nous, mon frère, ma sœur, déclare-t-il d’un ton solennel. L’heure de la rébellion est arrivée !
L’épée à peine dans mes mains, il part en courant et poursuit son chemin dans le couloir. Je jauge rapidement l’arme : elle ne vaut pas celle que j’avais, mais je ferais avec.
Prudemment, je sors la tête dans le couloir pour regarder à droite et à gauche : personne. Pourtant, les combats font toujours rage. Je me tourne vers Shirley. La pauvre a le teint livide.
— Reste près de moi. Nous allons trouver la sortie et nous enfuir.
Elle acquiesce sans rien dire, en déglutissant avec difficulté. Nous sortons. Dans ma main droite, je tiens fermement l’épée que le Kamkal m’a donné, dans la gauche, la paume tremblante de Shirley. Je me souviens que nous sommes arrivés dans notre cellule par la droite, alors nous prenons le chemin inverse.
Gauche, droite, deux fois à gauche, tout droit. Est-ce que c’était bien ça ? Il le faut ! Mes mains se font moites et celle de la petite glisse, mais nous ne lâchons pas prise. Comme si elle allait disparaître subitement au moment où cessera ce contact. Ce qui n’est pas totalement faux : si je la perds, impossible de la retrouver dans ce dédale de couloir. Avec le nombre de Narques qu’il y a ici, elle aurait peu de chance de s’en sortir… Mais pour le moment, elle est avec moi, et je ne la laisserais pas s’éloigner.
Au détour d’un couloir, nous apercevons deux Kamkals cernés par cinq Narques. Nous nous cachons derrière le mur et j’observe la scène en faisant bien attention à ne pas me faire repérer.
Les deux Kamkals sont dos à dos, brandissant leurs épées sans toutefois cibler qui que ce soit. Ils ont l’air aussi fatigués et déguenillés que celui qui est venu nous libérer, Shirley et moi. Pourtant, leur visage fait montre de leur détermination et leur témérité. Je ne peux que comprendre leur désespoir : Plutôt mourir que de passer un jour de plus ici. Ils sont prêts à se battre jusqu’à la mort pour gagner leur liberté.
Quelle bande d’idiots ! Mourir, c’est ça qu’ils appellent être libre ? Je préfère me faire discret et m’éloigner des combats pour vivre la vraie liberté.
— Votre tyrannie prends fin ! s’écrie l’un d’eux.
— Nous sommes des Kamkals libres ! surenchérit le second.
Là-dessus, ils bondissent sur leurs adversaires. Je me détourne avant de les voir porter le moindre coup, mais à deux contre cinq, je sais qu’ils n’ont que peu de chances.
J’attrape à nouveau la main de Shirley et prends une autre direction, loin des deux fous qui sont désormais en train de hurler. Sont-ce des cris de guerre ou de douleur ? Je ne tiens pas à m’attarder pour le savoir.
Soudain, devant nous, une volée de marches vers une grille qui donne apparemment sur une grande pièce – une des rares à avoir survécu. Sans réfléchir, nous nous y précipitons. La grille n’est pas fermée. J’entre, laisse passer Shirley sous mon bras avant de nous enfermer. Pour être sûr que personne ne nous dérangera, je fais tomber une lourde commode qui se tenait à côté de l’entrée. J’aimerais bien voir quelqu’un essayer de pousser ça.
— Où sommes-nous ? demande Shirley derrière moi.
Je me retourne pour inspecter la pièce. Elle est éclairée par une large fenêtre, un lustre et quelques chandelles aux murs. Partout, des coffres, commodes, armoires. Ici et là sont même disposés des râteliers d’armes. Mes yeux se posent vite sur une épée que je connais bien. Et pour cause, c’est la mienne depuis des années !
— C’est ici qu’ils gardent les affaires des prisonniers ! je m’exclame.
Nous nous affairons à chercher notre coffre. Je commence à désespérer lorsque Shirley s’écrie « C’est celui-là ! » plus loin. J’accours vers le coffre qu’elle a ouvert pour, effectivement, reconnaître mon manteau.
Nous venons tout juste de reprendre toutes nos affaires quand une voix familière derrière nous s’écrie :
— Stop ! Restez où vous êtes !
Nous levons les mains en l’air par réflexe. Nous nous retournons lentement pour découvrir Emily, une épée dirigée sur nous. J’étais tellement préoccupé par nos affaires que je n’avais pas vu la deuxième entrée de la pièce, celle par laquelle la Narque est arrivée.
— Vous n’irez pas plus loin !
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