Chapitre 12

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J’ouvre difficilement les yeux, encore embrouillé par le sommeil. Autour de moi, les ténèbres, et même en basculant sur la Facette du Chat, je ne distingue que Shirley allongée près des reliefs du feu de camp, dormant paisiblement. Pourtant, mes sens sont en alerte. Quelque chose m’a réveillé. Mais quoi ?

Mes oreilles apportent la réponse à cette question : des craquements retentissent non loin de nous. Les Narques nous auraient-ils retrouvés ? Impossible, nous nous sommes suffisamment éloignés… À moins qu’ils n’aient des Pisteurs parmi eux, ce qui compliquerait sérieusement la tâche.

Je rampe jusqu’au feu de camp pour attraper mon épée. Je laisse là le reste de mes affaires et Shirley. Si ce sont effectivement des Narques, inutile qu’elle assiste au combat.

Le plus silencieusement possible, je me dirige vers la source des bruits. S’il y a bien un avantage à avoir une ouïe affinée, c’est qu’on apprend à camoufler ses propres bruits de pas, même au beau milieu d’une forêt recouverte de neige. Cependant, ma « vision de nuit » ne m’est pas d’une grande aide. J’avance tout en faisant attention à ne pas perdre de vue notre campement. Sinon, je vais assurément me perdre, et c’en sera fini de moi.

Un grognement retentit dans mes oreilles, si fort que j’ai l’impression que la chose qui le produit est juste à côté de moi. Je me fige aussitôt, la main crispée sur mon épée. Je regarde à droite et à gauche. Rien. Et cette foutue Facette de Chat qui ne fonctionne pas !

Devant moi se trouve un gigantesque rocher. L’espace d’un instant, j’ai la bête illusion que monter dessus m’aidera à mieux voir. Stupide, je sais, mais assez convaincant pour me faire approcher dudit rocher. Je pose la main dessus en cherchant un bon appui parmi la touffe de poils.

Attendez, des poils ?

Je recule de terreur tandis que le rocher se relève soudain sur ses deux pattes arrières et rugit du haut de ses trois mètres. L’ours retombe brusquement sur ses quatre pattes en me regardant d’un œil mauvais qui ne peut signifier qu’une chose : je suis son prochain repas.

D’un geste mal assuré, je lève la pointe de mon épée dans sa direction. Qu’est-ce qui m’arrive ? J’ai combattu des dizaines de Narques et de créatures toutes plus dangereuses les unes que les autres… Alors pourquoi un simple ours me fait aussi peur ?

L’ours soulève une de ses immenses pattes et s’apprête à m’écorcher avec ses griffes meurtrières. Ma vue bascule d’elle-même sur la Facette de la Mouche, et j’ai le temps de me baisser de justesse. Je sens ses griffes frôler le sommet de mon crâne et manquer de m’emporter dans son élan. Je prends appui sur mes deux jambes et donne une grande impulsion en avant, l’épée dirigée droit sur le cœur de l’animal. Ce dernier, loin d’avoir peur ou de reculer, se rue vers moi. Je ne m’y attendais pas, et impossible d’éviter. L’épaule de la bête me percute et me projette à pleine force vers un arbre en coupant ma respiration.

Je tente désespérément de me relever tout en cherchant à retrouver mon souffle, mais mes poumons semblent bloqués et je ne parviens qu’à hoqueter. J’ignore la bête qui rugit une nouvelle fois devant moi, et alors que ma tête commence à être prise de vertiges, je tâtonne la neige en espérant remettre la main sur mon épée.

D’un autre coup de patte, l’ours m’envoie faire un vol plané de plusieurs mètres avant d’atterrir lourdement sur le sol. La neige ne parvient pas à amortir la chute et le choc est si violent que je sens la douleur se répercuter dans mes côtes et remonter le long de ma colonne vertébrale, me donnant la nausée. Point positif, il a dégagé mes poumons qui peuvent enfin s’emplir d’air à nouveau. Mais pas pour longtemps, car l’ours s’approche de moi en montrant ses dents, de la bave coulant de son long museau. Je vais vraiment finir dévoré par un ours ?

Un cri de guerre retentit derrière l’ours. Une petite ombre surgit d’entre les arbres et saute avec grâce sur la tête de la bête, s’accrochant à ses longs poils crasseux. L’animal pousse un nouveau hurlement et se dresse sur ses deux pattes. L’ombre lève les bras au-dessus de sa tête et, dans un éclair argenté, les abats sur le crâne de l’ours.

Ce dernier secoue vigoureusement son corps pour tenter de déloger l’intrus, en vain, et titube hors de mon champ de vision tout en hurlant de douleur. L’ombre crie aussi, mais de rage, et l’ours finit par se taire. De mon côté, je roule sur moi-même et la douleur me fait dégobiller mon repas. J’attrape de la neige et la mange pour nettoyer ma bouche. Finalement, malgré la douleur qui m’élance les côtes, il ne me reste que le goût du sang. Je rampe jusqu’à l’arbre le plus proche et m’y adosse.

Je bascule sur la Facette du Chat – ce que je n’avais pas eu le réflexe de faire plus tôt – et découvre Shirley, les vêtements maculés du sang de l’ours, me regardant avec inquiétude tandis que ma dague tremble dans sa main.

— Tout va bien ? demande-t-elle d’une voix tout aussi tremblante.

— Quelques côtes cassées, je vais pas en mourir…

Je pose les yeux sur la dague.

— Tu as réussi à tuer un ours seule avec ce truc ?

Elle imite mon mouvement d’un air coupable.

— Oui… Je sais, je ne devrais pas manier d’arme. Tiens.

Elle place la dague entre mes mains de manière abrupte en manquant de me couper.

— Je me suis réveillée et j’ai découvert que tu n’étais plus là, alors… J’ai pris ta dague et je suis partie à ta recherche, et c’est là que j’ai vu l’ours prêt à te tuer, explique-t-elle.

— Alors, malgré toutes mes interdictions, tu t’es quand même battu avec ce couteau à beurre…

— Hey ! s’exclame-t-elle, aussitôt indignée. Si je n’avais pas été là, ce truc t’aurait transformé en steak haché, alors tu pourrais au moins…

— Tiens.

Elle s’interrompt aussitôt en voyant que je lui tends l’arme qu’elle vient de me rendre.

— Tu as dû prendre un sacré coup sur la tête, commente-t-elle.

— Prends-la !

Elle s’exécute lentement, sans détourner son regard de moi, comme si elle avait peur que je lui fasse une blague.

— Mais c’est très dangereux, je lui explique très sérieusement. Tu ne dois t’en servir qu’en cas d’extrême nécessité. Au reste, garde-la bien cachée et à portée de main.

Je m’appuie sur l’arbre pour me relever tandis qu’elle cache la dague sous son pull. La douleur manque de me faire tourner de l’œil, mais je tiens bon. Je crois avoir un peu minimisé la douleur face à Shirley. Mais comme je lui ai dit, je ne vais pas en mourir. Je dois penser à ce qui m’attend au bout du périple : mon fils et ma vengeance.

Nous retournons dormir et repartons tôt le lendemain matin. J’avoue ne pas avoir beaucoup dormi, et mon sommeil n’était pas des plus confortables. Au fil des jours, nous traversons la forêt, la douleur s’atténue, et alors que je commençais à me demander si nous n’étions pas en train de tourner en rond, les arbres se sont de plus en plus écartés jusqu’à laisser apparaître les sinistres tours du château de Thoriel.

Shirley et moi échangeons un regard empli d’appréhension, mais il est trop tard pour rebrousser chemin. Pas après tout ça. Alors, un pas après l’autre, nous approchons lentement du repaire des Narques, sans savoir à quoi s’attendre.

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