Chapitre 13

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Le château semble découper le ciel nuageux par ses contours abrupts et ses pointes d’aspect meurtrier. Tout, autour de lui, semble avoir perdu de sa couleur, la terre et le ciel semblent faits d’un gris uniforme seulement taché à quelques endroits par de hautes herbes vertes. Le tout donne l’impression d’avoir pourri, d’être recouvert de cendres.

Un décor monochrome qui sied parfaitement au caractère de Thoriel.

Devant nous, un peu avant l’entrée du château, se trouvent des ruines de ce qui devait sûrement être un village, des années plus tôt. Quoi qu’il se soit passé ici, tout a disparu, ne laissant des maisons que des petits tas de terre et de pierres recouverts de végétation. Nous dépassons la première « maison » avec anxiété. Même moi, je ne peux m’empêcher de réprimer un frisson.

Il règne ici un silence de mort que même le vent n’ose perturber. La neige grisâtre amortit nos pas, si bien que j’ai parfois l’impression de voler à quelques centimètres du sol tel un spectre, alors que mon pied s’enfonce dans le froid.

— Comment tu as su où était le château, déjà ? chuchote Shirley sans trop oser briser le silence.

— Tout le monde connaît son emplacement depuis la fin de Manassé, je lui explique à nouveau sur le même ton. Cassiopée et Gabriel l’ont indiqué aux Myrmes, mais personne n’a jamais osé s’y aventurer, et Thoriel en a profité.

— Pourquoi personne ne vient si Manassé est mort ?

— Les superstitions sont tenaces, chez les Myrmes.

Nous n’ajoutons plus rien en traversant les restes du village. Finalement, nous arrivons devant un large cratère qui semble sans fond, au centre duquel règne le château. Pour traverser le gouffre et rejoindre les portes, il n’y a qu’un seul moyen : un simple pont branlant qui n’a pas l’air d’avoir été entretenu depuis très longtemps.

— Euh… Toi d’abord, dit Shirley.

— On a le vertige ? — La ferme.

Son visage devient aussi pâle que la neige tandis que je pose le pied sur la première planche. Le vent a beau être silencieux, cela ne l’empêche pas de secouer le pont de toutes ses forces. Je m’agrippe aux cordes de chaque côté pour ne pas tomber.

— Allez, à ton tour ! je crie à la petite par-dessus mon épaule.

Elle m’imite, s’agrippe aux cordes, pose le pied sur la planche, mais n’ose pas faire un pas de plus. Ce qui risque d’être problématique pour rejoindre le château.

— Shirley !

Elle lève aussitôt son visage vers moi. Il a pris une teinte verdâtre.

— Regarde-moi. Ne regarde que moi, c’est compris ? Avance avec précaution, mais garde les yeux fixés sur moi.

Elle acquiesce et pose les yeux sur mon dos, le visage crispé, comme si cela lui demandait de sérieux efforts.

Nous progressons lentement, nous arrêtant quelques fois en attendant que le vent se calme avant de reprendre notre chemin. Lorsque je pose enfin le pied sur le sol solide, je ne peux m’empêcher de pousser un soupir de soulagement. Quant à Shirley, c’est tout juste si elle ne s’évanouit pas dans mes bras. Pauvre petite, ce pont n’est rien comparé à Thoriel et sa troupe de Narques qui nous attendent derrière ces portes.

Il y a cependant une question, qui doit sûrement brûler les lèvres de Shirley, à laquelle je serais incapable de répondre. Nous arrivons devant le château. Et après ? Nous nous présentons comme des prisonniers ? Nous frappons tous les Narques que nous croiserons ? Nous demandons poliment de voir Thoriel ?

Tiens, en voilà une idée…

— Peter ? demande Shirley pour me tirer de ma rêverie. On est arrivé, qu’est-ce que tu comptes faire maintenant ?

Quelque chose qui ne va pas te plaire, je le crains…

— Reste derrière moi.

Je m’approche des larges portes du château et, sous le regard ébahi de la petite, je frappe trois grands coups.

— Que… bredouille-t-elle.

Elle n’a pas le temps d’ajouter quoi que ce soit que les portes s’ouvrent déjà. Ils nous ont vu arriver, bien sûr. L’entrée à peine ouverte, ce n’est pas moins de cinq armes en tout genre qui nous accueillent, toutes affûtées et prêtes à tuer. Derrière elles, leurs porteurs nous regardent d’un œil féroce.

— Je viens voir Thoriel, j’annonce avant qu’ils aient le temps de dire quoi que ce soit. Je suis son frère et je viens récupérer ce qui m’appartient.

Ils échangent des regards consternés. L’un d’eux ouvre la bouche, mais avant qu’il ait pu dire quoi que ce soit, une voix grave tonne derrière eux. Décidément, les pauvres n’arriveront pas à en placer une.

— Son frère ? Peter ?

Mes muscles se crispent. Cette voix, c’est la sienne. La dernière fois que je l’ai entendue, ma maison brûlait.

« La gloire de Manassé ne disparaîtra jamais ! »

Il porte le même plastron noir ouvragé qu’à ce moment-là. Le même manteau noir, le même foulard rouge sang autour de sa gorge. Ses ailes vibrent dans son dos. Les traits de son visage sont déformés par un horrible rictus et ses yeux, sombres et effrayants, brillent de mépris.

Il descend les dernières marches d’un large escalier et écarte les bras, comme s’il nous souhaitait la bienvenue.

— Mon cher frère, quel plaisir de te voir !

Mais quel…

Il s’arrête à quelques pas de nous. Ses larbins s’écartent de son passage, mais je ne bouge pas. Thoriel reste les bras en l’air pendant quelques secondes avant de retomber le long de son corps.

— Je te dirais bien que c’est un plaisir partagé, mais nous savons tous les deux que ce serait un mensonge.

— Allons, allons, rit doucement le Narque en replaçant une mèche de ses cheveux de jais ébouriffés. Est-ce une chose à dire à son frère ? Mais entre donc, je ferais toujours bon accueil à ma famille !

Ses yeux se posent sur Shirley qui se cache derrière moi. Thoriel parvient même à faire disparaître tout le courage de cette gamine insolente.

— Mais qui est cette chère petite ?

— Ma protégée. Longue histoire.

— Venez donc dans mon bureau, tu vas me raconter tout cela ! lance-t-il en se dirigeant vers les marches.

— J’ai des tas de choses à te dire, je lance d’un ton menaçant tout en le suivant.

— Mais je n’en doute pas, s’esclaffe-t-il comme si de rien n’était, un éclat sournois dans les yeux.

Nous suivons donc notre « hôte » à travers un dédale de couloirs et d’escaliers. Au début, je tente de retenir le chemin, mais je me rends compte que c’est peine perdue. Si nous devons fuir, il faudra compter sur notre chance. J’espère que Shirley a un meilleur sens de l’orientation que moi.

Avec un grincement lugubre, Thoriel ouvre la porte de ce qui semble être son bureau. Il s’écarte pour nous laisser passer, mais un regard hostile de ma part lui fait comprendre que je ne le laisserais jamais être dans mon dos. Il rentre donc en premier. Pendant que je referme la porte, toujours avec cet horrible grincement, il s’assoit sur son bureau et nous observe avec un petit sourire. Il cache quelque chose, c’est évident.

Peu importe ce qui va se passer, je sens que je ne vais pas aimer ça.

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