Chapitre 14

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L’air est à la fois froid et fébrile. Le silence n’est interrompu que par le tic-tac régulier d’une pendule dissimulée dans un coin de la pièce. Il fait sombre, et la situation commence à me faire paniquer. J’ai l’impression que les murs et le plafond se rapprochent de moi, ma respiration s’accélère, de la sueur perle sur mon front. Il n’y a aucune autre échappatoire que la porte par laquelle nous venons d’entrer.

Shirley prend ma main timidement. Ce simple contact réussit à me calmer ; je dois être fort pour la protéger. Mes yeux cherchent une autre sortie, comme par réflexe. À la gauche de Thoriel, qui continue de nous fixer, se trouve une porte en bois, aussi sombre que les murs. Un large rideau recouvre l’unique fenêtre de la pièce, derrière le fauteuil du bureau.

— On a vu plus accueillant, comme déco, je laisse échapper.

— Que veux-tu, je n’ai jamais été doué dans ce domaine, sourit Thoriel.

Mes yeux se posent à nouveau sur lui, qui ne sourcille pas. Je prends une grande inspiration et viens résolument me planter devant lui. Au moment où j’ouvre la bouche, il lève la main pour m’interrompre.

— Allons, Peter, tu ne vas pas déjà me crier dessus ?

Il se tourne vers Shirley qui se cache encore à moitié derrière moi.

— Approche petite, tu n’as pas à avoir peur, dit-il en se voulant rassurant.

— Comme si vous pouviez me faire peur, rétorque-t-elle avec son audace habituelle.

Ses yeux s’écarquillent lorsqu’elle réalise ce qu’elle vient de lancer au chef des Narques. Elle rougit légèrement mais soutient son regard.

Bien joué, petite.

— Voilà une enfant qui ne manque pas de cran, s’exclame Thoriel en éclatant de rire. Tu as bien formé ta… comment l’as-tu appelée ? « Protégée ».

— Je n’ai rien fait, elle est assez grande pour se débrouiller toute seule.

Il ricane en posant les pieds à terre. Il contourne son bureau tout en nous faisant signe de nous asseoir.

— Je vous en prie, ne me faites pas passer pour un mauvais hôte, prenez place. Nous restons délibérément debout.

— Puis-je vous proposer quelque chose à boire ? poursuit-il comme s’il n’avait rien remarqué. Un thé, du café ? Quelque chose de chaud par ce froid mordant dehors.

— Nous ne sommes pas venus ici pour jouer à la dînette, Thoriel.

— Non, bien sûr que non. Il nous observe à tour de rôle, la commissure de ses lèvres toujours arquées.

— Asseyez-vous ! s’écrie-t-il d’une voix plus grave et beaucoup moins sympathique.

Son ton inattendu nous fait sursauter. Shirley me lance un regard interrogateur auquel je réponds par un hochement de tête. Mieux vaut obéir.

— Bien, dit-il en reprenant son ton faussement amical. Alors, que me vaut l’honneur de ta visite, cher petit frère ?

— Tu le sais très bien, je siffle entre mes dents en serrant les poings. Je viens chercher mon fils.

À ces mots, il éclate de rire. Je ne sais pas ce qui me retient de me lever pour enfoncer mon poing dans son horrible visage.

— Il t’aura fallu seulement dix ans pour réagir !

Il croise les mains avant de se pencher par-dessus son bureau.

— Tu te doutes bien que je ne te le rendrais pas… À moins que tu aies quelque chose à échanger, murmure-t-il.

— Papa ? Qui est-ce ? lance une voix à notre gauche.

Nous nous tournons d’un même mouvement et, si je n’étais pas assis, je me serais sans doute écroulé. Un petit garçon est en train de refermer la porte. Il a des cheveux blonds ébouriffés, de petits yeux noisette qui me regardent d’un air intimidé, ses petites joues se teintent de rose lorsqu’il croise mon regard.

Owen…

— Ah, mon petit ! Viens, n’ait pas peur, s’exclame Thoriel.

Il l’a appelé « Papa » ?

— Comment va papy ? demande-t-il au petit garçon.

— Comme d’habitude, répond ce dernier avec un léger haussement d’épaules.

Est-ce vraiment mon fils ? Est-ce vraiment lui qui s’assoit tranquillement sur les genoux de celui qui a tué sa mère ?

— Alors, où en étions-nous Peter ? demande Thoriel en reportant son attention sur moi.

Son sourire. Il cache de la haine, de la malveillance. Il me donne envie de l’étrangler. Mais je n’ai plus la force de bouger, ni même de parler. Cet enfant… C’est mon fils. Et mon frère lui a volé dix années de sa vie.

Je reprends contenance.

— J’ai quelque chose qui devrait te convenir.

— Je t’écoute.

— Une formule pour reproduire la Caïna.

Shirley pousse une exclamation de surprise horrifiée en se tournant vers moi. Quant à Thoriel, je vois passer de l’étonnement dans ses yeux pendant une fraction de seconde. Mais il maîtrise rapidement ses émotions, et me regarde avec le même sérieux qu’à l’accoutumée.

— Tu sais que c’est impossible.

Je me tourne vers Shirley.

— Donne-lui.

— Peter ! s’exclame-t-elle.

Elle s’apprête à protester.

— FAIS-LE !

Elle se recroqueville, surprise que j’aie à ce point haussé le ton envers elle. Sa bouche s’ouvre et se ferme comme une carpe, incapable de se décider si elle doit m’obéir ou non, si elle doit m’empêcher de donner cette formule à Thoriel.

— Eh bien, petite ? demande poliment ce dernier.

Elle n’a plus le choix.

— Tournez-vous.

Le Narque hausse des sourcils amusés.

— J’ai caché la formule et je préférerais que vous ne voyiez pas où, explique-t-elle plus ou moins.

— Il me tarde de voir cette fameuse « formule », rit Thoriel en se retournant sur son fauteuil.

Il murmure à Owen de sortir, ce que le petit fait en trottinant. Je me retourne aussi en attendant que Shirley nous donne la formule de la Caïna.

Je suis désolé, Shirley. Je fais quelque chose d’impardonnable, je le sais bien. Mais je suis prêt à tout pour revoir mon fils. Même donner le plus grand secret des Kamkals au chef des Narques.

Je ne suis pas un héros, je ne suis pas venu ici pour vaincre Thoriel et son armée, j’en suis incapable. Je suis venu lui donner la formule et reprendre mon fils. Ensuite, d’autres pourront mettre un terme à ses agissements. Moi, je veux seulement vivre avec mon enfant, rattraper ces dix années que nous avons perdues.

Un jour, tu comprendras.

— C’est bon.

Nous nous retournons pour découvrir Shirley, un parchemin chiffonné au creux de sa main. Elle me regarde avec colère.

— Je n’arrive pas à croire que tu fasses ça, Peter.

Je ne réponds rien. Après tout, je n’ai rien à répondre. Elle m’observe encore quelques secondes avant de se tourner vers Thoriel. Le cœur battant, je la regarde tendre sa main au-dessus de celle tendue du Narque. Le parchemin frôle sa paume.

Shirley ramène le papier vers elle et le déchire. En deux, quatre, huit. Bientôt, il ne reste de la formule qu’un petit tas de confettis.

— Non ! je m’exclame avec horreur.

— Je ne peux pas te laisser faire ça, dit-elle avec fureur.

Qu’as-tu fait ? Shirley… Pourquoi ?

Je l’attrape par les épaules et commence à la secouer.

— Pourquoi ? Tu ne veux pas que je récupère mon fils, c’est ça ? Réponds-moi !

Ses yeux regardent ailleurs, son visage reste impassible. Je m’arrête et m’affale dans le fauteuil en la dévisageant avec mes yeux éteints. Thoriel éclate de rire.

— Eh bien, ce fut très gentil de ta part de venir me voir, Peter. Maintenant, peut-être voudrais-tu visiter ta cellule ?

L’air hagard, je ne réagis pas lorsque des gardes viennent nous attraper et nous jeter en prison.

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