Témoignage
Lorsque je fus extraite d’un gros carton, quelqu’un, dans mon dos, m’a fixée au sol face à un lac, devant un beau coucher de soleil. Je me suis dit que ma vie commencerait ici, devant ce paysage qui ne me déplaisait pas, malgré quelques odeurs curieuses que je ne parvenais pas à définir. Je n’avais pas à me plaindre : certaines de mes grandes sœurs étaient abandonnées au cœur de rues bruyantes, sinistres ou dangereuses, dans des villes industrieuses et polluées. Un sort que je craignais depuis mon assemblage.
Ma mission - que je n’ai pas le choix de refuser et qui me rend joyeuse - est la même que la leur : rendre les gens plus heureux, plus cultivés, favoriser les échanges autour des livres. Un luxe, dans un monde désenchanté, où tout doit aller vite, où tout a un prix. Une seule règle : quiconque prend un livre doit en déposer un. Evidement, nos pères ont oublié de graver cet adage sur le bois, histoire d’économiser quelques sous. Ils prétendent que cela ne sert à rien, que les hommes n’en feront qu’à leur tête, pour satisfaire leurs propres intérêts. J’espère qu’ils ont tort !
J’ai hâte que le premier livre soit déposé ! Hâte que des mains fébriles ouvrent ma jolie porte vitrée et considèrent ce que j’ai dans le ventre : un concentré de l’intelligence humaine, un bouillon de cultures. Hâte d’être le centre de toutes les attentions et de réveiller cette petite ville dont j’ignore encore tout.
Tiens, quelqu’un s’approche ! Deux femmes et un caniche un poil trop excité : en effet, on ne peut pas dire qu’elles sont pressées.
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