Le Magouilleur
Monsieur Zinzolin s’arrêtait deux fois par jour devant la boîte sans surprise : toujours il raflait, jamais il déposait. Certains voyaient cela d’un mauvais œil, à commencer par Gigi et Josy qui l’abordèrent un jour, sans ambages, le verbe haut, crispées comme deux boxeuses calcifiées.
« Et Zinzolin, le gros zinzin, t’en as pas marre de piller les livres ?
- C’est en libre accès, les vieilles. Vous avez qu’à vous servir avant.
- Tu les prends pas pour les lire, Zinzolin, constata Josianne. Tu les vends à la brocante de Maxiville !
- Tu connais le principe : tu prends un livre, t’en poses un, enchérit Gigi, contaminée par la philosophie boîte à livres depuis son excursion nocturne.
- J’en fais ce que je veux. C’est pas interdit.
- Y en a qui veulent les lire !
- Ah oui ? Et qui ? Ce sont des livres de collection. Les gens ne les ouvrent pas, jamais : ils ont peur de les abîmer. Et puis, ça pue ces livres.
- Repose-les, sacripant !
- Coquin de sort ! Mais vous êtes chiantes les biques ! Je fais ce que je veux à la fin ! »
Alors que le ton montait, Zinzolin prit la poudre d’escampette, trois livres sous le bras : la scène se passa si vite que personne ne saurait confirmer avec exactitude le titre des ouvrages - et tout le monde s’en fichait. Quant à cette petite querelle des anciens et des modernes, il y avait plus amusant au fond qu’une éternelle scène sur le bien et le mal, l’honnêteté ou Dieu sait quelle vertu… tous ces thèmes rabâchés depuis la nuit des temps.
De l’action, plus que des mots :
« Attaque, Chonchon ! » tonna Gisèle.
Et Chonchon, caniche cradingue, monta au créneau. Il mordilla Zinzolin jusqu’à plus soif, ce qui provoqua l’hilarité générale ; les muscles et le gras en saillirent sévère, des riverains, à ceux avachis sur les rives, pas si loin.
« Je vais porter plainte, » qu’il hurla le Zinzolin à qui voulait l’entendre, mais personne n’en voulait rien savoir de ce qu’il était grignoté du mollet par les molaires d’un canidé abject et que les guêpes en cortège le suivirent à la trace pour l’embrasser de leurs dards acérés. Tout le monde s’esclaffait, jusqu’aux gendarmes qui passaient par là, dans leur mini camionnette bleue propre comme un sou neuf : un zeste d’animation, cela ne fait guère de mal !
Personne ne revit Zinzolin devant le chalet à bouquins, que surveillèrent Gigi et son acolyte décrépi. Il fit disparaître son stand miteux des étals poussiéreux de Maxiville. Parfois, il errait dans les tripots les plus sombres, se retranchait vers les toilettes avec un demi, la tête gonflée comme celle d’Elephant Man ou d’une botoxée cannoise sous cortisone. À ceux qui se hasardaient à demander de ses nouvelles, il répondait invariablement :
« Le livre est bien trop dangereux. Il peut détruire des civilisations. Alors des hommes, vous comprenez…»
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