Chapitre 1:
On ne nous explique jamais rien. C'est toujours la même chose ici : exécute ce que l'on te dit de faire, et tais-toi. Ils ont de la chance : la plupart des gens sont des moutons. Et moi, je ne suis qu'une adolescente qui n'a aucun pouvoir et qui est seule. Je ne peux pas me rebeller seule contre le système. Sinon je finirais à l'asile, et personne, vraiment personne ne souhaite terminer dans l'asile, car personne n'y est jamais revenu.
Pourtant, les chefs qui nous surveillent tous les jours nous assurent que l'on peut y sortir un jour. Je me demande si ce n'est juste pas pour rassurer les plus jeunes et les plus angoissés, car si personne ne fait attention, moi oui, et je n’ai jamais remarqué quelqu’un qui avait fini dans l'asile faire son retour.
On ne sait pas grand-chose de l'origine de notre situation. Il y a des décennies, une guerre mondiale a éclaté et l'ensemble des dégâts et des produits chimiques ont tué quasiment toute l'humanité. Seulement les plus riches comme mes ancêtres ont survécu, grâce aux bunkers. Tous les autres sont morts. Ce que j'aurais aimé davantage savoir, c'est pourquoi nous ne remontons pas à la surface. Pourquoi ne parle-t-on jamais du passé ? Pourquoi n’y a-t-il aucune photo du passé mais aussi de la surface maintenant ? J'ai toujours su qu’on nous cachait des choses, mais je n'ai jamais cherché pour ne pas me mettre en danger.
Je fais partie des rares familles qui existent dans les bunkers. Ma mère est génitrice. Faire des gosses pour perpétuer l'espèce humaine, c’est son job ! Elle est totalement endoctrinée par le système des hauts-dirigeants. Ces derniers se cachent je ne sais où… c’est pour cela qu’on est une famille, uniquement les géniteurs ont le droit d’avoir leur propre gosse avec n’importe quelle personne, puis ils les élèvent séparément des autres enfants. C’est aussi pour cela que la plupart des adolescents de mon âge me détestent : j'ai une famille alors qu’ils ne connaissent même pas les noms de leurs parents. Par conséquent, seule ma famille m’apprécie.
Durant ma jeunesse, je ne me suis liée d’amitié avec personne. Si les autres enfants se supportent tout le temps, car ils vivent dans le quartier pour les enfants, tous ensemble, j'ai vécu toute ma vie dans le quartier pour adultes. Dans la partie réservée pour les familles. J'ai toujours été isolée puisque je ne parlais à aucun enfant après les cours et que l’on me faisait savoir que je n’étais pas désirable à leur côté. Cela me convient très bien puisque je suis une solitaire. Peut-être pas de nature mais les aléas de la vie on fait que je suis comme cela.
Je suis en ce moment le dernier cours commun de toute ma vie. Je fixe l'horloge en attendant que la sonnerie sonne. Au fil de l’année, la classe se vidait à chaque fin du mois. Il ne reste qu’une vingtaine de personnes alors qu’au début de l'année, on était une centaine.
Chaque personne fête son dix-septième anniversaire. Ici, à chaque dix-septième anniversaire, une série de tests et je ne sais quoi d’autres existe pendant les quatre derniers jours de chaque mois. Ses examens indiquent l'avenir de chaque individu. Cela s'appelle la période des tests qui s'ouvre sur une cérémonie et qui se clore par une cérémonie. Souvent, la première était plus joyeuse que la dernière. J’y avais déjà assisté. Quand j'étais petite, je ne comprenais pas pourquoi certains se faisaient endormir. Puis je compris au fil du temps : ceux qui se faisaient endormir étaient confinés dans l’asile. Je me souviens de certaines têtes, et je n’ai jamais revu leurs visages. J’en frémis rien que d’y penser. Tout le monde dit du mal de l’asile, si bien que tous en deviennent malades dès l'entente de ce nom.
— Mademoiselle Constance ! s’écrit le professeur alors que je sursaute.
Je me mords la langue alors que je relève la tête vers mon professeur. Il a une face de crapaud comme on le surnomme, et il a une calvitie très prononcée. Bref, il a une tête agaçante et il a le caractère qui va avec. Je ne connais pas son nom, et ici, à part les dirigeants, on n’a pas de noms, juste des prénoms. On l’appelle tous monsieur… cela doit être usant à un moment. Je ne l’aime pas, il traite chaque femme inférieure à lui et tous les élèves comme s’ils ne sont rien. Il me lance un regard qui signifie “tu vas finir comme ta mère et ta sœur”. Sauf que je me suis jurée un truc dès petite : ne pas avoir de gosses. Je suis toujours dans cette optique. Donc je ne veux pas être génitrice. Mais personne ne sait à l'avance ce qu’il va finir par devoir être.
— Il serait dommage, commence-t-il avec une voix dure. Qu’une si brillante élève comme vous finisse dans une section désobligeante… voire à l'asile, seulement car elle n’écoute pas le dernier cours de sa vie.
Il ne bluffe pas. Face de crapaud ne rigole jamais avec moi et me déteste. Il est capable d'écrire un avis qui ne soit absolument pas élogieux juste parce qu'il me déteste. Même dans sa notation il est plus strict qu’avec les autres en espérant que je tombe. Heureusement, je suis une des meilleures élèves, les notes combleraient l'avis négatif de ce salaud.
Je ne rentre pas dans son jeu et ne rétorque pas une réplique cinglante. À la place je réponds correct à sa question et je jubile comme tous les autres. Même si mes camarades ne m’aiment pas, ils haïssent encore plus notre professeur. Son intervention ne me dissuade pas de ne plus écouter.
La sonnerie retentit et j’enfouis mon visage dans mes mains. La cérémonie de commencement a lieu ce soir. Nous sommes à l’an 2120. En fin d’octobre 2120.
J’ai fêté mon dix-septième anniversaire le 8 octobre dernier.
Cette fois-ci, je n’assisterais pas à la période de tests, je la subirais totalement. Avant même qu’elle ne commence, je ressens déjà cette sensation.
Mon destin est dans des mains autres que les miennes mais pas complètement.
Je pourrais finir dans une section cool, tout comme une section nulle, mais je pourrais aussi finir à l’asile.
Pendant quatre jours j'allais devoir leur prouver que je peux rester dans leur système. Je sais d’avance, que je ne dois pas trop me livrer, sinon c'est direction l'asile.
Pour un aller simple, sans retour.
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